La dépression, le 28 octobre 2021 – Retranscription

Retranscription de La dépression, le 28 octobre 2021.

Paul Jorion : 

Bonjour, nous sommes le 28 octobre 2021 et je fais l’une de mes petites vidéos. Mais, comme vous le voyez, aujourd’hui, j’ai une invitée. Vous savez que j’ai eu des invités à une certaine époque : j’avais repris le modèle que m’avait donné François Ruffin en m’invitant dans sa cuisine pendant le confinement et je faisais PJ TV mais jamais avec quelqu’un « en studio » [ma salle à manger] avec moi parce qu’il y avait le confinement et la distance [imposée]. Mais là, il se fait que j’ai comme invitée aujourd’hui Stéphanie Kermabon qui est hypnothérapeute à Vannes et comme nous habitons dans la même ville, nous nous trouvons ensemble. Je lui donnerai la parole tout à l’heure. Je vais un petit peu expliquer pourquoi je l’ai invitée.

Vous vous souvenez sans doute que j’ai fait très récemment un billet qui était un compte-rendu de ce livre [P.J. montre le livre] qui s’appelle donc : Figures littéraires de la dépression par Patricia De Pas. Et que fait Patricia De Pas dans ce livre qui vient de paraître ? Elle s’intéresse à 14 auteurs, des auteurs connus : Fitzgerald, Baudelaire, Clarice Lispector, un certain nombre d’auteurs qui ont parlé de périodes de dépression dans leur vie. 

De Pas insiste beaucoup sur le fait que ce terme « dépression », en fait, il est apparu de manière un peu inattendue, c’est-à-dire qu’on parlait surtout de mélancolie, on parlait de spleen, on parlait d’abattement. Il y avait des tas de mots pour parler de cet état particulier et c’est simplement au moment où on a inventé un certain nombre de produits pharmaceutiques qu’on a appelé « antidépresseurs » que la catégorie « dépression » est apparue. 

Pour parler de la dépression, je sais que Stéphanie a envie de nous parler aussi de la manière dont elle est sortie de la dépression et nous ferons sans doute un deuxième épisode consacré à cela mais là, je voudrais d’abord qu’elle nous dise son expérience personnelle de la dépression : ce qu’elle a envie de nous dire à ce sujet. 

Stéphanie Kermabon : 

D’accord. Eh bien, bonjour. Je suis donc Stéphanie Kermabon, hypnothérapeute à Vannes, et oui, quand j’avais 20 ans, j’ai vécu une dépression.

Je ne sais pas par où commencer… Ce que je retiens de la dépression, c’est un état où on se sent complètement vide. On n’a plus de flamme à l’intérieur. Je pense que j’ai pu réfléchir à tout ce qui s’est passé et comprendre pourquoi j’avais vécu cet état-là et en fait, ce qui m’apparaît clair, c’est qu’on a une flamme à l’intérieur qui s’éteint progressivement et quand on n’en prend pas conscience, elle finit par complètement s’éteindre. Quand elle s’éteint complètement, non seulement on se sent vide mais plus rien n’a de saveur. On peut rester des heures devant une penderie à ne pas savoir comment s’habiller. On est… enfin, j’ai vécu en étant… j’avais vraiment l’impression d’être une loque. Donc cet état léthargique : on ne sait pas quoi dire, on ne sait pas quoi faire. 

Paul Jorion : 

Avant que tu n’ailles plus loin, je pourrais peut-être dire un mot du commentaire que j’ai fait sur le livre de De Pas. J’ai intégré les éléments qui sont dans le livre et j’ai voulu tenir compte aussi de ce que j’ai pu voir non seulement dans la pratique que j’ai de la psychanalyse – d’avoir un certain nombre de gens avec des états que l’on pourrait décrire comme dépressif – mais aussi un épisode, moi aussi, à peu près au même âge que toi, à 20 ans – dont je parlerai sans doute tout à l’heure – qu’on pourrait classer dans cette catégorie. 

Ce que j’ai voulu dire – et je l’abstrais en grande partie – on aurait pu ajouter Robinson Crusoë bien sûr dans la liste mais là, c’est un héros de roman, celui de Defoe, ce qui nous arrive quand nous avons le sentiment qu’il n’y a plus d’empreinte de nous véritablement dans le monde. Parce qu’on a le sentiment que la dépression, c’est fort lié au fait que nous avons ce sentiment en tant qu’être humain de voir une différence dans le monde due au fait que nous sommes là : que nous fassions une différence véritablement dans le monde. Et pas seulement le sentiment personnel mais que le fait que nous fassions une différence dans le monde soit perçu par les autres, que les autres reconnaissent cela : que le monde serait très différent sans nous, que c’est important que nous soyons là. 

On le voit, par exemple, dans les extraits qui sont cités de Baudelaire. Baudelaire en particulier, il écrit à un moment où il n’est absolument pas reconnu, non seulement cela, mais sa mère le met en tutelle. Sa mère considère qu’il dépense beaucoup trop d’argent de l’héritage familial et elle le met en tutelle et il en parle comme : « On m’a enlevé en réalité, dit-il, entièrement le moyen d’avoir un impact sur le monde. Ce que je fais, c’est quelqu’un d’autre qui en est le responsable ». 

Un commentaire là-dessus ? Est-ce que tu pourrais nous dire quelque chose sur ce que tu crois être les circonstances qui ont conduit à ce que tu entres dans cet état-là ? Est-ce qu’il y a quelque chose de particulier dans ta vie qui aurait conduit à cela ?

Stéphanie Kermabon : 

Oui, effectivement. A l’époque, je vivais avec quelqu’un qui n’était pas du tout en adéquation avec mon être véritable, qui est maintenant et qui était aussi à l’époque, mais que l’on perd en étant avec quelqu’un qui ne nous correspond pas. 

Je me suis rendue compte que c’était dû aussi à mon histoire personnelle familiale, où je ne me sentais pas forcément aimée. 

Ça peut être difficile d’entendre ça mais voilà, c’était un fait à l’intérieur de moi, que les hommes ne pouvaient pas m’aimer. 

Donc, c’était facile… enfin j’ai trouvé ça facile, de rester avec un homme qui, finalement, ne me correspondait pas mais qui était là et qui voulait de moi. Comme si, finalement, je n’aurais pas pu avoir quelqu’un par le fait que je ne pense pas mériter quelqu’un de bien. 

Donc, je me contentais finalement de ce que j’avais, sauf que mon être intérieur ne se contentait pas du tout. Au final, petit à petit, on s’éteint. 

Paul Jorion : 

Oui, il y a souvent dans les fratries quelque chose de cet ordre-là. Quand les parents considèrent qu’un des enfants est la vedette et qu’ils ne laissent pas grand-chose comme place pour l’autre. Je crois que tu m’as parlé de choses de cet ordre-là. 

Stéphanie Kermabon : 

Oui, j’ai un frère qui est très très intelligent, qu’on a mis en avant parce qu’au niveau des études, il est très brillant et c’est vrai que moi, j’étais beaucoup dans ma tête. J’étais une enfant qui partais dans des aventures extraordinaires et du coup, j’ai toujours été comme ça. C’est vrai qu’au niveau des études, voilà, ce n’était pas ma tasse de thé à l’époque et à force d’entendre qu’on n’est pas, qu’on ne correspond pas à ce que la société veut, enfin à ce que l’école souhaite pour un enfant, eh bien, on finit par dire :« C’est OK » en fait. Finalement, on est nul et c’est très bien comme ça. Enfin, on finit par coller à ce qu’on nous met comme étiquette. 

On reste comme ça puisque de toute façon, tout le monde le dit, tout le monde le pense. 

Paul Jorion : 

Ça me fait penser à l’épisode qui avait sans doute déclenché l’état dans lequel j’étais entré, dans un état de ce type-là. Là, je vais en dire un mot. 

Il s’est fait que je suis entré dans un état dépressif. Ça a duré 2 ou 3 mois, quelque chose de cet ordre-là. Je suis allé voir un psychiatre et il se fait que ce psychiatre avait eu l’occasion de rencontrer mon père auparavant parce que quelqu’un essayait de saboter sa carrière et ça l’affectait profondément. Il était allé voir ce psychiatre bruxellois très connu et donc, quand je vais voir moi ce psychiatre, c’est quelqu’un qui sait déjà qui est mon père : il lui a parlé. 

Et voilà, quand je décris l’état dans lequel je suis, ce psychiatre – qui s’appelait François Debauche – trouve très facilement l’évènement déclencheur. L’évènement déclencheur, c’est le suivant : c’est que je suis étudiant en sciences sociales à l’Université de Bruxelles et il se fait que mon père enseigne dans la même faculté : « Sciences économiques, politiques et sociales » à l’Université de Bruxelles. Il n’est pas mon professeur, je n’ai jamais suivi un cours donné par mon père mais il se fait que lors de la proclamation des résultats – je crois que c’est le moment où j’obtiens une licence en anthropologie – il fait partie du jury. Et les résultats sont déclarés. Et après, il se fait que mon père est à quelques mètres de moi et nous engageons, voilà, une petite conversation. Et à ce moment-là apparaît à 5 ou 6 mètres un de mes professeurs, un de mes professeurs qui se dirige vers nous, mon père et moi, en tendant la main, avec un très très grand sourire, et au moment où il arrive devant moi et où je suis prêt à saisir la main qu’il me tend, en fait, il serre la main de mon père sans me regarder. Avec un grand sourire, il dit : « Félicitations ! » et il s’en va. 

Et François Debauche découvre que c’est ça : j’ai réussi à ces examens – je crois me souvenir que je suis le premier de ma promotion – je suis content de moi. Tout le monde a entendu qu’on reconnaissait mon mérite et ce professeur à moi se précipite vers mon père. Il me vole entièrement…

Stéphanie Kermabon : 

La vedette… 

Paul Jorion : 

Eh bien, le mérite qui était le mien, comme si c’était absolument celui de quelqu’un d’autre.

Stéphanie Kermabon : 

Tu te sens complètement dépossédé en fait. 

Paul Jorion : 

Je suis complètement dépossédé, oui. 

Nous avons, je crois, dans un premier temps, fait un peu le tour. Est-ce qu’il y a encore quelque chose que tu as envie de dire ?

Stéphanie Kermabon : 

Oui, oui. Ce qui est très drôle, c’est que je ne voulais absolument pas voir en fait que je n’étais pas dans une situation convenable avec cet homme et donc, j’étais tombée dans un état complètement léthargique. 

Je suis allée voir un psychiatre pour qu’il me donne un traitement, parce qu’il me fallait vraiment un traitement. J’en avais vraiment besoin. Donc, ça, c’était après l’hospitalisation en ayant encore des traitements…

Paul Jorion : 

Tu as été hospitalisée longtemps ?

Stéphanie Kermabon : 

J’ai été hospitalisée une semaine. 

Paul Jorion : 

Une semaine…

Stéphanie Kermabon : 

Oui, oui, mais après bon, « sous traitement » pendant près d’un an et puis, je ne voyais pas le bout donc je suis allée voir un psychiatre. Je ne l’avais jamais vu et donc, je lui parle de cet homme avec qui je vis depuis plusieurs années et il me dit à la fin de l’entretien : « Non, non, vous n’avez pas besoin de traitement ! ». 

Paul Jorion : 

Ah !

Stéphanie Kermabon : 

Il me dit : « Vous savez ce qu’il vous reste à faire ». 

Alors, je le regarde complètement ahurie en me disant : « Mais qu’est-ce qu’il raconte ? ».

Et il me dit : « Eh bien, vous m’avez parlé pendant trois-quarts d’heure de votre ami, mais qu’en négatif ». 

Et il s’arrête en haussant des épaules comme ça et il me laisse avec ça. 

Je suis rentrée chez moi : « Mais qu’est-ce que c’est que ce psychiatre ! ». 

Mais enfin, ça a fait le cheminement dans ma tête et puis, je m’en suis séparé. 

Paul Jorion : 

Par ailleurs, je sais que tu as fait d’autres choses par la suite. 

Stéphanie Kermabon : 

Oui. 

Paul Jorion : 

C’est de cela que nous parlerons la fois prochaine parce que j’aimerais bien que ce soit un dialogue aussi. 

Stéphanie Kermabon : 

Exactement. 

Paul Jorion : 

Parce que je parlerai d’autres techniques. 

Bien, merci beaucoup ! Je crois que nous avons dit des choses qui éclaireront un petit peu les gens qui nous regardent sur cette question de la dépression. 

Merci Stéphanie Kermabon et à bientôt ! Et je dis au revoir aux gens qui me regardent d’habitude. Merci d’avoir regardé ! 

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