Le transfert, à partir de Lacan

Il y a quelques semaines, j’ai ouvert la caisse où – bien des déménagements plus tard – se trouvaient les œuvres publiées de Lacan. J’ai découvert alors à ma surprise qu’il y avait là un ouvrage dont je n’avais lu que les premières pages. Si vous aviez l’occasion de voir comment je maltraite mes livres – même les plus précieux – de grands surlignages de marqueurs fluos et de commentaires plus ou moins iconoclastes, vous comprendriez pourquoi j’étais sûr que je n’avais pas lu de Jacques Lacan, Le séminaire livre VIII, Le transfert, Paris : Éditions du Seuil, 1991.

Sa lecture m’a à ce point aussitôt passionné que je vous ai proposé de consacrer aux réflexions de Lacan sur le transfert et le contre-transfert, plusieurs « lectures non-« bibliques » de Freud, Lacan, &c. » dont j’ai entrepris la série l’année dernière. Cela aura lieu à l’automne et je continuerai de vous informer d’ici-là. Mais cela ne m’empêche pas de cogiter déjà « furieusement », sur la question, pour m’exprimer comme le faisait en son temps, Jean-Jacques Rousseau.

Vous trouverez ci-dessous le fruit de mes premières cogitations. J’ai, de l’amour, une conception moins tragique, moins désespérée, que Lacan, mais cependant suffisamment proche de la sienne que je puisse intituler mes premières réflexions    :

Le transfert, à partir de Lacan

Dans l’amour, l’aimé, est celui dont le corps, c’est-à-dire l’aimé en tant qu’objet (et non en tant que sujet), est ce qui induira chez moi la jouissance que me procure le vacillement de mon sentiment d’être sujet. La double sensation de l’aimé comme pur corps, pur objet de mon corps à moi, et de moi comme pur corps, pur objet pour lui, débouche sur ce vacillement.

Lacan : « Ce dont il s’agit dans le désir, c’est d’un objet, non d’un sujet. C’est en ce point que gît ce que l’on peut appeler le commandement épouvantable du dieu de l’amour. Ce commandement est justement de faire de l’objet qu’il nous désigne quelque chose qui, premièrement, est un objet, et, deuxièmement, un objet devant quoi nous défaillons, nous vacillons, nous disparaissons comme sujet. Car cette déchéance, cette dépréciation, c’est nous, comme sujet, qui l’encaissons » (Lacan 1960-1961 : 203).

Dans l’analyse, les voies conduisant à l’amour sont différentes pour l’analysant (le « transfert ») et l’analyste (le « contre-transfert »).

Dans le transfert, l’analyste se définit comme sujet supposé savoir quelle est la source de la souffrance de l’analysant. Si la souffrance disparaît grâce à lui, il sera aimé en tant que sauveteur : il m’a permis d’être sujet en me rendant mon âme, et mon corps voudra, en offrande, communier avec le sien.

Dans le contre-transfert, l’écoute de l’analyste n’est authentique que si elle entend la souffrance de l’analysant : si elle compatit. La compassion (l’« empathie ») va consister en ceci que l’analyste va permettre que se bâtisse à l’intérieur de lui-même un double de l’inconscient de l’analysant. Cette réplique étant indemne des blessures ayant conduit chez l’analysant au refoulement, l’analyste pourra énoncer le signifiant qui fait l’objet d’un tabou chez l’analysant, c’est-à-dire « interpréter », le libérant ainsi de sa souffrance. L’analysant est aimé par l’analyste au sens où au moment où l’analyse atteint son terme, leurs deux âmes n’en constituent plus qu’une seule pour lui.   

Lacan : « … mieux l’analyste sera analysé, plus il sera possible qu’il soit franchement amoureux, ou franchement en état d’aversion, de répulsion, sur les modes les plus élémentaires du rapport des corps entre eux, par rapport à son partenaire. Ce que je dis là va un peu fort, en ce sens que cela nous gêne » (Lacan 1960-1961 : 220).

Si dans l’amour, le corps de l’aimé n’attire pas, l’amour sera dit « platonique ».

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Une réponse à “Le transfert, à partir de Lacan

  1. Avatar de PHILGILL
    PHILGILL

    Très bizarrement, après avoir lu les premières réflexions de Paul Jorion au sujet du « transfert » et du « contre-transfert » à partir de Lacan, ma première interrogation a été de me demander la chose suivante : « Mais quel rapprochement pourrions-nous faire entre la triple dimension « imaginaire, réelle, symbolique »* dans laquelle l’être humain pense et vit, et le danger majeur que représente le réchauffement climatique pour la survie de l’espèce humaine ? »
    Pour le dire plus précisément, s’il s’avérait que cette triple dimension était elle-même en crise affectivement et/ou intellectuellement**, dans quelle mesure pourrait-elle perturber gravement les repères dont l’être humain a si besoin pour structurer les relations non seulement entre le père, l’enfant et la mère, mais hypothétiquement, et par voie de conséquence, dans les relations nécessairement intimes, quand bien même elles demeurent compliquées avec… Gaïa ?
    De là, le problème du réchauffement climatique serait-il un aspect planétaire qui s’offre à nos yeux du complexe d’œdipe ?
    ?
    * : Jacques Lacan, Le génie de l’analyse par Isabelle Taubes (extrait) :
    « L’être humain pense et vit dans la triple dimension « imaginaire, réelle, symbolique ». L’imaginaire est la relation que nous entretenons avec tous ceux qui sont des « images » de nous, en qui nous pouvons nous reconnaître affectivement ou intellectuellement. Dans une seconde acception, c’est le lieu du moi, avec ses effets leurrants d’illusion, de fascination pour des tromperies. Le réel est l’impossible à penser et à nommer, le lieu de la folie. Le symbolique est, à l’inverse, le monde du langage, de la loi, de ce qui nous structure : l’être humain a besoin de repères symboliques pour s’humaniser. Au moment de l’œdipe, le père intervient sous la forme de la loi pour séparer l’enfant de sa relation fusionnelle avec sa mère. »
    https://www.psychologies.com/Culture/Maitres-de-vie/Jacques-Lacan
    ** : Albert Einstein : « Le mental intuitif est un don sacré, le mental rationnel est un serviteur fidèle. Nous avons créé une société qui honore le serviteur et qui a oublié le don. »
    https://pbs.twimg.com/media/FULE2-YXEAAEuxM?format=jpg&name=large

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