14 mars 2023 : le jour où le genre humain fut assailli par le doute II. L’Intelligence Artificielle : cette fois, copier l’oiseau battant des ailes

Illustration par Stable Diffusion (+PJ)

L’habitude a été prise de situer la naissance de la discipline qu’est l’Intelligence Artificielle au séminaire qui se tint sous cette enseigne à Dartmouth College dans le New Hampshire en 1956 : le Dartmouth Summer Research Project on Artificial Intelligence. Alan Turing, pionnier fameux de l’informatique, y avait cependant consacré déjà plusieurs écrits sous le nom, il est vrai légèrement différent, d’« intelligence machinique ». Son premier texte sur le sujet, en 1948, s’intitule : « Intelligent Machinery ».

Que la machine calcule plus efficacement que l’être humain n’avait donc que modérément surpris. Bien plus ambitieux apparaissait le projet de faire penser la machine comme l’être humain en toute matière, résolvant une variété de problèmes de la manière versatile qu’on nous connaît et cela, quel que soit le domaine où un problème vient à se poser. Ce qui veut dire que l’objectif initialement assigné à ce champ tout neuf qu’était l’Intelligence Artificielle (ou IA) couvrait ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui l’« intelligence artificielle générale » (IAG), « générale » au sens de généraliste.

Dans un article publié en 1950, intitulé « Computing Machinery and Intelligence », Turing définissait l’objectif visé : que lors de conversations avec elle, l’interlocuteur d’une intelligence artificielle soit incapable de la distinguer d’une intelligence naturelle, autrement dit humaine ; soit le fameux « test de Turing », qu’il appelait aussi « jeu de l’imitation ».

Les premières voies qui furent explorées dans cette expédition vers une intelligence artificielle généraliste, ne s’écartaient pas pour autant du royaume des mathématiques.

Les progrès furent substantiels dans cette voie mais non décisifs : quelque chose résistait : il apparaissait clairement qu’il y avait à l’intelligence humaine un mécanisme dont le soubassement n’était pas une simple procédure se déroulant de l’exposé clair des termes d’un problème jusqu’à sa solution.

La philosophie implicite au champ naissant de l’IA avait été la généralisation de la leçon qui avait été tirée lors des débuts de l’aéronautique : que l’avion n’avait pu être inventé que lorsqu’avait été écarté comme voie de garage, le projet de mimer un gros oiseau battant des ailes. Ironiquement, l’intelligence artificielle au contraire, ne parvint elle à prendre son envol que lorsque fut oubliée la leçon de l’aéronautique et que l’on revint à l’équivalent du schéma pour l’avion de l’oiseau battant des ailes, en l’occurrence, lorsque l’on simula au cœur de la machine un réseau neuronal dont on savait qu’il en existait une variété dans l’espace de notre boîte crânienne. C’est en 1957 que Frank Rosenblatt (1928-1971) créa sur un ordinateur IBM un embryon de réseau neuronal artificiel qu’il appela « perceptron », capable de reconnaître si une image qui lui est présentée est bien celle d’un objet pré-désigné, un chat ou un chien, par exemple. Alors que l’IA, qui au départ ignore tout, se trompe bien entendu une fois sur deux dans l’identification de l’objet, à l’issue d’une période d’apprentissage durant laquelle un éducateur humain la corrige en cas d’erreur d’identification, elle finit par cesser de se tromper : les poids associés aux liens reliant les neurones du réseau se sont stabilisés dans les valeurs lui permettant désormais de reconnaître un objet sans faillir. Dans le cas de l’intelligence artificielle, l’équivalent de l’imitation d’un oiseau battant des ailes lui avait permis de prendre son envol.

Bien sûr le perceptron de Rosenblatt n’était qu’une approximation grossière du réseau neuronal naturel qu’est notre cerveau mais rien n’interdisait dès lors en principe que les capacités d’un réseau neuronal artificiel habilement conçu ne dépassent un jour celles de la version naturelle dont nous sommes équipés, une multitude de machines n’étant en effet que des variétés sur-performantes de nos propres organes. Ce que les événements récents ont révélé, c’est qu’il fallut un peu plus d’un demi-siècle pour en arriver là : les soixante-cinq ans séparant le perceptron de Rosenblatt de ChatGPT, né le 30 novembre 2022.

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