Est-ce que je parle français ou est-ce autre chose ?

Illustration par DALL·E (+PJ)

Certains d’entre vous ont dû le deviner : quand je parle français, je traduis à la volée de l’anglais. Souvent ça se manifeste par d’abominables anglicismes (je ne veux pas dire parler banalement de « trédeurs » ou de « louseurs »), il y a quelques jours dans une vidéo, j’ai dit : « j’ai payé attention », de to pay attention, au lieu de dire, en français estampillé, « j’ai fait attention ». Très souvent, cela se manifeste par un silence : j’ai le mot anglais, ou l’expression anglaise, en tête, et une traduction française ne me vient pas ; je finis parfois par dire l’anglais – vous avez dû entendre ça – que je paraphrase ensuite lourdement en français. Je dois dire à ma décharge que dans ces derniers cas, en général, le français équivalent n’existe tout simplement pas ou bien une traduction standard existe, mais elle parle de tout autre chose : la connotation est toute différente, la nuance n’a rien à voir.

Cela fait un moment que j’avais envie de parler de cela mais il me manquait le mot pour le dire, or ce mot, je l’ai trouvé dans les discussions récentes à propos des Grands Modèles de Langage (LLM) : « Je parle anglais et je simule parler français ».

Illustration par DALL·E (+PJ)

P.S. L’explication est la suivante : je vais à l’école primaire en français mais jusque-là j’ai essentiellement parlé néerlandais, ma langue maternelle à proprement parler, ma mère étant Hollandaise, native de Rotterdam. Quand j’apprends l’anglais, il ne vient pas se couler dans le moule du français mais du néerlandais. Pendant tout un temps je cherche à me défaire d’un abominable accent hollandais quand je parle anglais, dont il me reste quelque chose : une façon de dire un certain type de « o » anglais, celui de la fin de « Scarborough » ; je prononce sans problème le « o » correspondant à « mop », ainsi que celui correspondant à « rozijn », mais avec celui-là, je dois toujours encore un peu me battre.

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5 réponses à “Est-ce que je parle français ou est-ce autre chose ?

  1. Avatar de timiota
    timiota

    En tant que victime mentale de l’attracteur langagier que sont les jeux de mots (auquel le français se prête bien) et des polysémies heureuses fâcheuses qu’il induit, il y a quelque chose d’analogue.
    La prononciation joue un rôle différent, mais peut favoriser ou défavoriser les « liens ».

    Peut-on faire des jeux de mots avec des mots néerlandais impénétrables à l’intuition française comme « eeuw » ?

  2. Avatar de Hervey

    Vrai de vrai, vous feriez un bon analyste.
    🙂

  3. Avatar de Tout me hérisse
    Tout me hérisse

    Une question : l’étalement des langues de par le monde est-il dû à la qualité intrinsèque d’une langue considérée ou plutôt de l’une de ses qualités extrinsèques acquise par la force, telle que guerre ou autre type d’application d’un désir d’imposition (anglais, espagnol, français) ?
    Dans le domaine de l’IA, de l’informatique, l’anglais s’est imposé de fait, mais cela ne fait semble-t-il pas suite à une étude sérieuse de linguistes et de philologues, et qui sait, probablement d’autres langues seraient plus adaptées à la tâche visée ?
    Avant ces diverses langues, y-a-t’il eu une langue unique comme l’indique le mythe de la tour de Babel ?

    1. Avatar de Paul Jorion

      Si vous avez lu l’article de l’équipe Anthropic, vous aurez noté que les langues, Claude 3 … s’en contrefiche ! Il y a manifestement dans son cerveau quelque chose de beaucoup plus efficace que chez nous de ce point de vue. Dès qu’on aura trouvé quoi exactement, il suffira de modifier nos quelques gènes qui font obstacle au polyglottisme. (Hi ! hi ! je fais mon petit Laurent Alexandre, je ne devrais pas, ce n’est vraiment pas drôle 😀 ).

  4. Avatar de pierre guillemot
    pierre guillemot

    La contamination des vocabulaires est aussi un procédé littéraire. Il y a le discours de la regrettée Jane Birkin (contemporaine presque exacte de notre hôte, et actrice dans le premier film que j’ai vu en achetant le billet avec de l’argent gagné par mon travail) qui le fit d’abord sans le vouloir. Un peu plus tôt, l’anglophone distingué Alphonse Allais, le personnage de Sarah Vigott ( https://fr.wikisource.org/wiki/Pour_cause_de_fin_de_bail/R%C3%A9sultat_Inesp%C3%A9r%C3%A9 ). Ou bien, plus lourd, l’épouse américaine du duc de Maulévrier dans « L’Habit Vert » (Flers et Caillavet, 1912, https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99habit_vert ), dont la langue maternelle refait surface quand elle est émue.

    Digression : Heureux multilingues de naissance. J’étais au lycée à l’époque où les professeurs d’anglais, en France, pouvaient expliquer Shakespeare mais pas acheter un ticket de métro à Londres. J’ai donc vécu en unilingue heureux, jusqu’à ce que j’aie besoin de l’anglais pour travailler. J’ai atteint rapidement un niveau utilisable, et le mécanisme langue maternelle – langue étrangère s’est solidement installé. Puis, très tard, j’ai eu l’idée d’apprendre le chinois (la langue normalisée ; parmi mes condisciples il y avait des jeunes Chinois de France, enfants d’immigrés, qui parlaient un dialecte du cantonais à la maison et voulaient apprendre le « vrai chinois »). Et j’ai eu l’occasion de me servir du chinois quelques années dans la vie réelle. Aujourd’hui, quand j’essaie de parler anglais, les mots de la langue étrangère me viennent naturellement, mais cette langue étrangère est devenue le chinois donc ce sont les mots chinois qui s’imposent, et je dois poursuivre les mots anglais (à l’écrit, ça ne se produit pas). Je suis très jaloux d’un ami Suisse, né avec le français du Valais et l’allemand de Berne, qui n’a pas eu de grande difficulté à apprendre l’anglais, le russe, le chinois, sans jamais confondre. Au point qu’un jour, à Xi’an, ayant repéré une jeune touriste indigène qui essayait de parler anglais avec un touriste occidental, il l’a interpellée en allemand, après avoir repéré un « nur » bien accentué dans son discours ; en effet c’était une étudiante en allemand ; ensuite ils ont conversé en passant du chinois à l’allemand, trop vite pour que je puisse suivre. Pour l’avenir, comme le grand âge fait disparaître ce qu’on a appris tard, je perds déjà mon chinois et l’anglais devrait reprendre le dessus, avant que je l’oublie aussi. Fin de la digression.

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