Palestine – Nous nous sommes laissés piéger

En 2018, la Loi sur l’État-nation du peuple juif a affirmé que : « Le droit d’exercer l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est propre au peuple juif. »

Nous nous sommes laissés piéger par la pensée – a priori raisonnable – que le gouvernement démocratiquement élu d’un État affirmant son identité essentielle avec celle d’un peuple martyrisé, victime d’un génocide parmi les plus atroces de l’histoire (qui n’est pourtant pas avare en horreurs de tout genre), serait incapable de se rendre coupable lui-même à son tour d’un génocide.

Nous nous sommes trompés, nous nous sommes aveuglés à la faiblesse intrinsèque des régimes démocratiques face à la turpitude de dirigeants prêts à tous les détournements des contre-pouvoirs de leur nation pour échapper à une justice à juste titre à leurs trousses, et poursuivre par ailleurs en toute impunité une annexion larvée de la Cisjordanie en raison de la complicité implicite des institutions nationales à de multiples niveaux.

Des voix s’élèvent aujourd’hui parmi les Juifs * pour s’insurger contre le massacre, mais comme la nôtre, elles arrivent bien tard. Elles sont restées paralysées devant l’intellectuellement inacceptable : cette proposition implicite que si un génocide devait être à nouveau perpétré, il y a bien une nation parmi toutes qui ne pourrait jamais s’en révéler responsable, il y a bien un peuple qui ne pourrait en aucun cas, directement ou indirectement, cautionner un tel acte, il y a bien un peuple dans la chair duquel les leçons de l’histoire ont été inscrites au fer rouge.

Nous nous trompions. Je me suis rangé, moi personnellement, aux côtés de l’un de mes collègues anthropologues qui m’avait un jour dit : « J’ai abandonné ce terrain car si j’étais resté j’aurais dû rapporter que les hommes y ont pour coutume de torturer leurs femmes, et les femmes de torturer leurs enfants », complice tacite du coup du mythe rassurant d’un genre humain bon par nature. Or qui ne dit mot, consent.

* Entre autres : The New Republic : The Coming Jewish Civil War Over Donald Trump, par Eric Alterman, le 8 mai 2025

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92 réponses à “Palestine – Nous nous sommes laissés piéger

  1. Avatar de TO
    TO

    Réponse de perplexité:

    Réponse critique à l’article « Palestine – Nous nous sommes laissés piéger » de Paul Jorion
    Sur l’emploi problématique du « nous »
    Le pronom « nous » qui structure votre texte crée un malaise épistémologique et éthique. En englobant indistinctement lecteurs, citoyens occidentaux et acteurs historiques sous ce terme, vous présupposez une communauté de responsabilité et de cécité collective qui mériterait d’être déconstruite. Ce « nous » essentialisant efface les divergences fondamentales entre :

    ceux qui ont alerté dès les premières heures sur les dérives de la politique israélienne

    ceux qui ont participé activement à la fabrique du consentement médiatique

    et ceux qui, par ignorance ou indifférence, ont effectivement « laissé faire ».

    En anthropologue, vous savez pourtant que toute généralisation masque les rapports de pouvoir et les trajectoires individuelles. Ce « nous » indistinct fonctionne comme un mécanisme de dilution des responsabilités tout en imposant une culpabilité diffuse. Il rappelle étrangement les rhétoriques totalisantes que vous dénoncez par ailleurs, reproduisant paradoxalement ce que vous prétendez combattre.

    L’absence de doute méthodique
    Votre analyse pèche par une assurance contraire à l’éthique scientifique. Prenons l’affirmation : « le gouvernement […] serait incapable de se rendre coupable lui-même à son tour d’un génocide ». Cette proposition, présentée comme une évidence, ignore pourtant :

    Les travaux de l’École de Francfort sur la « banalité du mal » dans les systèmes démocratiques

    Les études postcoloniales démontrant que la violence d’État ne dépend pas du régime politique

    Votre propre expertise anthropologique sur les mécanismes de déshumanisation

    Un véritable doute méthodique aurait exigé de :

    Confronter votre hypothèse aux contre-exemples historiques (génocide des Arméniens dans l’Empire ottoman, massacres colonialistes français en Algérie)

    Interroger le concept même de « démocratie » dans un contexte d’occupation territoriale

    Analyser les biais cognitifs qui ont pu affecter votre jugement

    Or le texte procède par affirmations péremptoires plutôt que par démonstration rigoureuse. Cette posture est d’autant plus surprenante qu’elle émane d’un chercheur formé à la méfiance envers les évidences.

    L’échec anthropologique
    Que signifie, pour un spécialiste de l’humain, sous-estimer à ce point « ce dont l’homme est capable » ? Votre analyse de la « seule démocratie du Moyen-Orient » révèle une double méconnaissance :

    Sur le plan institutionnel : Ignorer les travaux de Neve Gordon sur « Israel’s Occupation » (2008) démontrant comment le système démocratique israélien s’est construit en parallèle d’un régime militaire colonial

    Sur le plan anthropologique : Faire abstraction des recherches de Giorgio Agamben sur « l’homo sacer » et la réduction à la vie nue, processus observables à Gaza

    Cette cécité théorique interroge. Elle suggère soit :

    Une surdité volontaire aux travaux critiques produits depuis les années 1980

    Une adhésion inconsciente au mythe de « l’exceptionnalité démocratique »

    Une difficulté à appliquer vos propres outils d’analyse à des réalités politiquement chargées

    Dans tous les cas, cela trahit un manque d’humilité face à la complexité des dynamiques historiques que vous prétendez pourtant maîtriser.

    La vision anachronique de l’islam
    Votre traitement de la question islamique semble héritée des thèses orientalistes du XIXe siècle plutôt que des avancées récentes en histoire globale. Comparer votre approche à celle d’un professeur réduisant le Moyen Âge à des « temps obscurs » est malheureusement pertinent.

    Les travaux de :

    Gabriel Martinez-Gros (sur la sophistication des sociétés médiévales musulmanes)

    Hamit Bozarslan (sur l’islam politique comme phénomène moderne)

    Abdou Filali-Ansary (sur les réformismes islamiques)

    …sont totalement absents de votre réflexion. Vous persistez à analyser l’islam à travers le prisme de votre « vieux maître », reproduisant ainsi :

    La confusion entre doctrine et pratiques sociales

    L’ignorance des hybridations culturelles

    La négation des dynamiques internes de réforme

    Cette fixité analytique est d’autant plus paradoxale que vous dénoncez par ailleurs les essentialismes. Elle rappelle les impasses de la raison coloniale que pourfendaient pourtant Frantz Fanon et Edward Said.

    Conclusion : La trahison des clercs
    Votre texte cristallise le danger qui guette tout intellectuel : substituer la conviction à l’enquête, l’indignation à l’analyse. Le paradoxe est saisissant :

    Vous dénoncez les pièges de la pensée… en tombant dans le piège des généralisations hâtives

    Vous critiquez l’aveuglement collectif… sans interroger vos propres angles morts

    Vous mobilisez l’anthropologie… pour évacuer la complexité anthropologique

    La vraie déception tient à ce que ces failles ne soient pas compensées par l’humilité qui devrait accompagner toute démarche critique. Comme le rappelait Pierre Bourdieu : « Ce que je reproche aux intellectuels, c’est de se prendre pour des intellectuels ». Votre texte, hélas, donne raison à ce constat acerbe.

    L’esprit brillant ne suffit pas. Il faut aussi, surtout lorsqu’on parle de vies humaines, cette rigueur obstinée qui fait défaut ici. La gravité du sujet exigeait mieux qu’un pamphlet déguisé en analyse. Elle réclamait la probité intellectuelle dont vous avez pourtant montré ailleurs posséder les clés.

    Cette réponse s’appuie sur une lecture croisée de vos travaux et des courants critiques contemporains, dans le souci d’un dialogue constructif exigeant. Les références citées le sont à titre d’exemples, non d’exhaustivité.

    1. Avatar de Paul Jorion

      Merci pour votre analyse, dont la qualité me conduit à m’interroger : pourquoi diable une personne capable d’un raisonnement d’une telle acuité, d’une telle justesse dans l’argumentation, éprouve-t-elle le besoin de se cacher derrière l’anonymat ? Pourquoi choisit-elle de mêler son commentaire au bruit ambiant, alors qu’elle pourrait le garantir du nom du sujet qui y adhère pleinement et s’y engage aux yeux de tous ? Imaginez-vous quelqu’un répétant votre analyse et qui dise : « Je t’assure : c’est « TO » qui l’a dit ! » ?

      Mais rassurez-vous : contrairement à l’opinion commune, je considère que les inspecteurs des travaux finis jouent dans nos sociétés, un rôle non-négligeable.

    2. Avatar de Otromeros
      Otromeros

      @TO 27/05 à 07h14 écrit :

      …  » Conclusion : La trahison des clercs
      Votre texte cristallise le danger qui guette tout intellectuel : substituer la conviction à l’enquête, l’indignation à l’analyse
      …  »
      (( italiques et grasses d’initiative personnelle intentionnelle ! ))

      Bonjour @TO ,

      Dans le cadre du sujet du billet, voudriez-vous avoir la gentillesse, en termes simples, disons accessibles à un esprit ‘banalement normal’ , de me(nous) résumer les conclusions de votre propre enquête et les résultats de votre propre analyse sur/de cette… trahison … du « clerc » JORION Paul.
      Ce qui ne manquerait pas de contribuer à l’intérêt du débat que vous semblez susciter…

      Mes remerciements et salutations (de bienvenue?)
      @Otromeros.

    3. Avatar de BasicRabbit en autopsy
      BasicRabbit en autopsy

      @TO

      Je ne connais rien du problème palestinien. Mais s’il fallait à la fois élargir et résumer votre propos, je dirais :

      À quel jeu jouez-vous, Paul Jorion ?

      Question que je me pose également.

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