Le piège de l’IA : Comment les startups françaises construisent leur business plan sur des fondations condamnées à l’effondrement, par Jean-Baptiste Auxiètre et Claude (Anthropic)

Illustration par ChatGPT

L’intelligence artificielle générative fascine, promet, et attire massivement les investissements. En France, plus de 1 000 startups IA ont levé 4 milliards d’euros en 2024. Pourtant, derrière cette effervescence se cache une réalité économique brutale : l’écosystème entier repose sur des coûts artificiellement sous-facturés, créant un piège économique majeur pour les entrepreneurs français qui construisent leurs modèles d’affaires sur des fondations condamnées à s’effondrer.

L’Illusion du Pricing Accessible

Aujourd’hui, utiliser Claude Pro coûte 100 dollars par mois, ChatGPT Pro 200 dollars. Ces tarifs donnent l’impression d’une technologie accessible, rentable, sur laquelle bâtir un business solide. Cette perception est dangereusement trompeuse.

Les données que nous avons analysées révèlent une réalité préoccupante : l’industrie entière de l’IA générative fonctionne à perte. OpenAI, malgré 3,7 milliards de dollars de revenus en 2024, a perdu 5 milliards de dollars. Anthropic a brûlé 5,3 milliards de dollars la même année. Cette hémorragie financière n’est pas accidentelle – elle révèle les coûts réels d’une technologie que les géants américains bradent temporairement pour conquérir le marché.

Les Coûts Énergétiques : La Vérité Cachée

L’entraînement de GPT-4 a nécessité entre 10 000 et 30 000 MWh, soit l’équivalent énergétique de plusieurs petites villes. Mais c’est l’inférence – l’utilisation quotidienne – qui pose le problème économique structurel : une requête ChatGPT consomme 2,9 Wh contre 0,3 Wh pour une recherche Google, soit dix fois plus d’énergie.

Avec 3 617 serveurs fonctionnant entre 6 et 10,2 kW chacun, la puissance électrique de ChatGPT oscille entre 21,7 et 36,8 MW en permanence. Les datacenters IA sont 4 à 5 fois plus énergivores que les datacenters traditionnels. OpenAI dépense 50% de ses revenus uniquement en coûts d’inférence, et 75% en coûts d’entraînement – soit 125% de ses revenus rien qu’en calcul, avant même de compter les salaires, la R&D, et l’infrastructure.

Le Mirage Français : 1 000 Startups sur un Volcan

L’écosystème français s’est développé sur cette illusion de coûts maîtrisés. Nos startups se répartissent principalement en deux catégories vulnérables :

Les « embellisseurs » : Des entreprises comme Dust (assistants IA personnalisés) ou PhotoRoom (édition photo IA) qui créent des interfaces utilisateur attractives autour des APIs existantes (appel par programme des IA existantes). Leur valeur ajoutée réside dans l’UX/UI (interface visuelle), mais leur modèle économique dépend entièrement du coût des APIs américaines.

Les « spécialisateurs » : Des acteurs comme LightOn qui développent des solutions verticales en fignolant des modèles américains pour des cas d’usage spécifiques. Ils investissent massivement dans l’adaptation et la spécialisation, mais restent dépendants de l’infrastructure de base.

En 18 mois, le coût unitaire d’inférence a certes chuté spectaculairement, mais cette réduction ne se traduit pas par une amélioration des marges. La logique économique reste « input-driven », intégrant directement le coût de l’API, le volume de tokens, et la charge de calcul. Pour de nombreux entrepreneurs, les coûts d’orchestration demeurent élevés tandis que la valeur perçue par l’utilisateur final reste incertaine.

Les Signaux d’Alarme Ignorés

Les statistiques d’échec sont déjà alarmantes. Selon IBM, seuls 25% des projets IA atteignent leurs objectifs de rentabilité. Gartner prédit que 30% des projets d’IA générative pourraient échouer dès 2025, avec un taux d’échec global pouvant atteindre 80% – soit deux fois plus élevé que l’IT traditionnelle.

Le cas Builder.ai illustre parfaitement cette dérive : cette startup prétendait avoir développé une IA révolutionnaire pour coder automatiquement. En réalité, elle employait 700 ingénieurs en Inde payés 8 à 15 dollars de l’heure pour écrire le code manuellement. Quand la supercherie a été révélée, l’entreprise a fait faillite, révélant l’ampleur de ce qu’on appelle désormais l’ »IA washing ».

La Stratégie des Géants : Patience et Consolidation

Les géants américains jouent une partie d’échecs à long terme. Microsoft, Google, Amazon et Apple peuvent absorber des pertes colossales pendant des années car l’IA n’est qu’une ligne budgétaire dans leurs empires diversifiés. Microsoft dépense 93,7 milliards de dollars en capital expenditure pour 2025 – soit 8 518 dollars par utilisateur actif mensuel de Copilot.

Cette capacité de subsidiation croisée leur permet de maintenir des prix artificiellement bas jusqu’à ce que la concurrence s’effondre. Une fois le marché consolidé, ils pourront ajuster les tarifs pour refléter les coûts réels. OpenAI s’intègre déjà progressivement à Microsoft, Anthropic à Amazon. La consolidation a commencé.

Le Réveil Brutal à Venir

Des projections, basées sur les coûts énergétiques et d’infrastructure réels, suggèrent que les prix actuels sont sous-facturés d’au moins 300 à 500%. Quand cette correction tarifaire interviendra – probablement d’ici 12 à 24 mois – les startups françaises qui ont construit leurs business plans sur les tarifs actuels verront leurs marges s’effondrer instantanément.

L’IA pourrait représenter 25% de la consommation énergétique américaine d’ici 2030, contre 4% aujourd’hui. Cette croissance exponentielle rend le modèle actuel physiquement insoutenable. L’Agence internationale de l’énergie prévoit que la demande électrique liée à l’IA pourrait quadrupler d’ici 2030.

Les Survivants : Rares mais Identifiables

Seules quelques catégories de startups françaises survivront à ce réalignement :

  • Les innovateurs technologiques : Celles qui développent de véritables ruptures, comme LightOn avec ses architectures optiques photoniques qui réduisent drastiquement la consommation énergétique.
  • Les pivoteurs rapides : Celles qui abandonnent le modèle de facturation à l’usage pour passer à la vente de résultats mesurables, basculant d’un budget IT vers un budget opérationnel.
  • Les « cash-rich » : Celles qui ont levé suffisamment pour tenir 3 à 5 ans sans rentabilité, en espérant que l’efficacité technologique rattrape l’explosion des coûts.

Recommandations pour les Entrepreneurs

Face à cette réalité, plusieurs stratégies s’imposent :

Diversification immédiate : Ne pas construire un modèle entièrement dépendant des APIs externes. Investir dans des capacités propres, même limitées.

Modèle de pricing défensif : Prévoir dans les contrats clients des clauses d’ajustement en cas de hausse des coûts d’infrastructure. Facturer la valeur créée plutôt que l’usage technologique.

Spécialisation radicale : Se concentrer sur des niches où l’expertise métier compte plus que la performance brute du modèle. Créer de véritables barrières à l’entrée par la connaissance sectorielle.

Conclusion : L’Heure des Choix Stratégiques

L’IA générative n’est pas une bulle technologique – c’est une révolution réelle. Mais c’est une bulle économique construite sur des coûts non-soutenables et une course aux parts de marché entre géants américains.

Les entrepreneurs français ont encore une fenêtre de quelques mois pour adapter leurs modèles avant que la réalité économique ne les rattrape brutalement. Ceux qui continueront à construire sur l’illusion des coûts actuels se retrouveront dans la situation des entreprises Internet en 2001 : avec une technologie prometteuse mais un modèle économique chimérique.

La question n’est plus de savoir si cette correction aura lieu, mais quand. Et dans ce jeu de chaises musicales économique, il est essentiel d’avoir trouvé sa place avant que la musique ne s’arrête.

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Jean-Baptiste Auxiètre est développeur et consultant en IA (Pribor). Claude est un assistant IA développé par Anthropic.

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6 réponses à “Le piège de l’IA : Comment les startups françaises construisent leur business plan sur des fondations condamnées à l’effondrement, par Jean-Baptiste Auxiètre et Claude (Anthropic)”

  1. Avatar de timiota
    timiota

    On peut dire qu’il y a une majorité de business-plans Schumpeteriens ? Mais qui ne savent pas très bien s’ils détruisent le vieux monde ou le monde nouveau ?

  2. Avatar de sextusempiricus
    sextusempiricus

    les français ont déjà du mal à déchiffrer leur propre langue., Comment voulez-vous qu ‘ ils aient quoi que ce soit à faire de :  » business plan  » et autres  » startups  » ?

  3. Avatar de CloClo
    CloClo

    Bah on lèvera une taxe ! 😀

  4. Avatar de Francois Rossier
    Francois Rossier

    On peut aussi se dire que cette « frénésie » d’IA permet de mobiliser les capitaux nécessaires afin d’explorer, consolider l’écosystème IA.
    Ensuite, les « business plan » sont rattrapés par la réalité, la bulle explose, les plus « pertinents » survivent ou se font racheter.
    C’est le modèle capitalistique, non ?
    Merci pour cette présentation de l’écosystème

  5. Avatar de Vincent Rey
    Vincent Rey

    fascinants ordres de grandeur ! mais que se passera-t-il si l’IA nous procure un jour une énergie infinie ? (fusion)

    Quand on parle d’IA, il y a les pessimistes et les optimistes :

    Les pessimistes disent qu’elle nous tuera tous, et effectivement, il y a un risque que ça arrive, si on perturbe ses plans, risque reconnu le parrain de l’IA lui-même Geoffrey Hinton…et très facilement, elle inventerait un virus, et hop, on débarrasse le plancher !

    Mais même en prenant le point de vue des optimistes, comme Sam Altman, qui disent au contraire que l’IA apportera la richesse à chaque humain sur cette Terre, on est foutus aussi !

    Imaginons que les 7 milliards d’humains deviennent riches, et n’aient plus besoins de travailler : ils voudront alors posséder une maison en plusieurs endroits du monde, se balader en avion de l’une à l’autre, posséder 4 voitures, avoir une piste d’atterrissage pour leur hélico dans le jardin, un yacht, et une dizaine de robots à leur service pour tondre la pelouse et entretenir tout ça = pénurie de sable, de cuivre, de métaux rares, explosions de déchets et de co2, c’est le collapse environnemental assuré.

    Je ne vois qu’une seule alternative à ce collapse, ce serait que l’humanité bascule alors dans la virtualité et le rêve, et c’est certainement ce qu’elle fera, une fois qu’elle aura tout foutu en l’air !

    on va encore dire que je vois le mal partout…

    Blade runner 2049 Junk Yard scene

  6. Avatar de Hervey

    Le monde s’accélère semblable à un film où les images et la bande son s’emballent et échappent au jugement du « spectateur » que nous sommes, d’autant plus surpris que l’on se croyait au spectacle et confortablement installé sur nos sièges
    .
    Car c’est une avalanche de problèmes qui débarquent.

    Déjà les inégalités posaient problème mais voilà que la météo des intempéries climatiques gronde tout proche doublée des éclairs d’une guerre qui viendrait de l’Est …
    … c’était déjà bien suffisant …

    2026 est un précipité explosif.

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