Les responsables et les irresponsables, par Stéphane-Samuel Pourtalès

Billet invité.

Le peuple allemand se suicide lentement, depuis quelques décennies, accumulant un passif bien plus insoutenable à terme qu’une dette bancaire : un déficit des naissances. Le système des retraites, encore à 90% par répartition malgré les incitations récentes à la capitalisation, n’y survivra pas. L’exigence de croissance portée par les taux d’intérêt ne pourra pas non plus s’en satisfaire. Sur le papier, l’État pourrait toujours faire appel à une immigration massive de jeunes pour combler le manque, mais cela ne semble pas compatible avec le pacte social allemand basé sur l’identité « dem deutschen Volke ». L’apparition d’un « droit du sol » pour l’acquisition de la nationalité n’a fait son apparition, timide, qu’en 2000. La montée de mouvements anti-musulmans, mais aussi l’apparition d’une certaine « fraîcheur » à l’égard de communautés étrangères comme l’importante communauté française de Berlin, par exemple, ne semblent pas suggérer une issue paisible du problème dans ce sens.

Les citoyens allemands sont bien les victimes de la situation actuelle : comme encore endeuillés et honteux du régime nazi et de la défaite de 45, ils ont accepté la précarisation de leurs conditions de vie sous les réformes des années 1990/2000. Ils ont bu la potion amère vendue sous l’étiquette étrange de patriotisme économique. Quelque chose qui ressemble à un héroïsme sacrificiel pour leur permettre, peut-être, de leur point de vue, de relever la tête collectivement et de restaurer leur présence au monde. En oubliant, au passage, ce qui fonde les règles de toutes les sociétés, sans exception : les enfants. C’est à dire, les dépenses.

Dans l’affrontement Nord-Sud en Europe, les peuples sont bel et bien perdants, d’un côté comme de l’autre, et il faut se détacher de l’essentialisme ambiant qui voudrait les mettre en conflit et qui introduit intempestivement des notions morales de cigale et de fourmi au lieu de faire ressortir les décisions politiques européennes sans cohérence qui ont voulu faire cohabiter l’euro unificateur, le chacun pour soi de chaque état membre, et la voie dégagée à tous les spéculateurs (qui fructifient toujours de ce genre de « gradient de cohérence »).

L’excédent qui est apparu en Allemagne à partir des années 2000, conséquence des choix de contraction salariale, s’est retrouvé « sans transition », du fait de l’unification monétaire, à l’autre bout de l’Europe, en Espagne et en Grèce, où il s’est « offert » avec des taux extrêmement bas, sans rapport avec le besoin réel de ces pays, créant ainsi un déséquilibre favorisant les investissements hasardeux, clientélistes ou spéculateurs que l’on a vu fleurir.

Michael Pettis met en exergue un parallèle étonnant avec le paiement des indemnités de guerre après 1870 :

« De 1871 à 1873 d’énormes quantités de capitaux ont afflué depuis la France vers l’Allemagne. […] L’impact global en Allemagne a été très négatif. Les économistes ont bien démontré que l’économie allemande a été durement touchée par l’encaissement de ces indemnités, à la fois en raison de son impact sur l’équilibre des échanges, qui a miné l’industrie manufacturière allemande, et de son rôle dans le déclenchement de la spéculation menant à la bulle boursière de 1871-1873, qui, entre autres choses a déclenché une vague d’investissements improductifs et une poussée de l’endettement. »

Il est à noter que les investisseurs se préoccupant plus de l’avenir que du passé, un défaut des pays du Sud ou une indexation des échéances sur la croissance comme proposé par Varoufakis pourrait donner par la suite une attractivité nouvelle à ces pays, qui sont jeunes et attendent beaucoup de l’avenir. La fenêtre de tir donnée par l’élection de Syriza doit être utilisée rapidement. L’Allemagne, par contre, semble dans une impasse plus profonde et plus préoccupante, murée entre sa puissance de circonstance, la contrition de son projet collectif et l’idéologie de ses élites. La crise grecque est peut-être sa chance, si elle veut bien la saisir, pour s’ouvrir à l’avenir autrement et revenir-enfin- dans le jeu politique des nations.

Voir :

Syriza and the French indemnity of 1871-73

Résumé ici : Michael Pettis explains the euro crisis (and a lot of other things, too), par Matthew C. Klein

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