LE DÉSASTRE QUI PEUT ENCORE TOUT JUSTE ÊTRE ÉVITÉ, par François Leclerc

Billet invité.

À l’approche de l’échéance qui se précise, un désastre est désormais dans toutes les têtes, l’unité de façade qui avait été tant que bien mal préservée ne tenant plus. Le FMI a le premier dévoilé ses batteries, et des rumeurs non établies se multiplient. Il est question d’un plan Juncker d’urgence qui consisterait à verser 5 milliards d’euros à la Grèce en contrepartie de l’établissement d’un taux unique de TVA, en préservant seulement quelques secteurs et un taux de 15 % appliqué pour les paiements par carte bancaire, ainsi que la maintien de la très impopulaire taxe sur l’immobilier. Ces deux mesures seraient censées rapporter la même somme en deux ans, et les discussions sur les autres réformes devraient reprendre une fois ce cap difficile passé. Ce qui ne réglerait donc rien, car les échéances vis-à-vis de la BCE de l’été ne seraient pas couvertes. Le chaud et le froid soufflent, car simultanément l’idée d’un référendum organisé en Grèce reçoit l’appui de Wolfgang Schäuble : il n’y aurait pas mieux à ses yeux que de faire ainsi avaliser une capitulation forcée du gouvernement, les Grecs sommés de choisir entre cela ou une sortie de l’euro qu’ils ne souhaitent pas. À moins qu’ils s’y refusent et prennent la responsabilité de la sortie.

Il est désormais établi que Christine Lagarde aurait été informée par Alexis Tsipras de l’incapacité dans lequel le gouvernement se trouvait de faire face à sa dernière échéance vis-à-vis du FMI, et l’accord de débloquage des réserves grecques a été donné afin de le permettre. Il avait auparavant filtré que le FMI n’était pas prêt à s’engager dans un nouveau programme d’aide financière, puis qu’il pourrait ne pas apporter sa quote-part au dernier versement du second plan de sauvetage, toujours en suspens. On avait enfin appris que si le FMI n’était pas par principe opposé à un compromis avec le gouvernement grec, il y mettait comme condition que les dirigeants européens acceptent en contrepartie le principe d’une décote sur la dette grecque, enfermant ces derniers dans leur intransigeance s’ils ne voulaient pas l’admettre. Faute de celle-ci, le FMI pourrait se retirer séance tenante.

Le FMI considère que, pour que le remboursement de la dette soit crédible, les moyens budgétaires adéquats doivent être réunis, à commencer par les coupes qui sont toujours refusées par le gouvernement grec. Cette logique ne contribue pas à renforcer le camp des timorés qui souhaitent un compromis sans oser le revendiquer ouvertement, et elle sacrifie à l’idée qu’un remboursement de la dette est possible si les conditions les plus dures l’emportent. Le FMI privilégie tout simplement son propre remboursement, dont les échéances sont plus rapprochées, avant de tirer sa révérence.

Le sommet européen de Riga apparait cette fois-ci comme étant réellement la dernière chance de trouver un compromis. Pierre Moscovici ne l’annonce pas, qui fait état comme à l’accoutumée du « gros travail » qui reste à accomplir, identifiant comme posant « un gros défi » les réformes du marché du travail et des retraites, travestissant sans vergogne les faits en déplorant que les représentants du gouvernement grec soient « plus prompts à dire ce qu’ils ne veulent pas garder dans le programme qu’à proposer des choses », comme si les éléments de ce programme étaient autre chose que les anciennes exigences de la Troïka que même le gouvernement Samaras avait repoussées. Le principal souci du représentant de la Commission européenne ne semble pas d’aboutir à un accord mais de se décharger avec ses pairs de toute responsabilité, démontrant qu’ils ont du métier à défaut de convictions affirmées !

L’hypothèse de placer les dirigeants grecs devant un ultimatum – qui avait fonctionné lors du sauvetage de Chypre – du type « vous acceptez toutes nos conditions ou vous n’aurez rien ! » aurait été étudiée, mais la décision n’en aurait pas été prise, car elle irait à l’encontre du théâtre qui a jusque-là prévalu, avec pour objectif de faire porter sur les Grecs l’entière responsabilité de l’échec des négociations s’il advient.

En tout état de cause, le moment est venu de s’interroger sur les conséquences d’une reddition plus ou moins affirmée du gouvernement grec, faute d’une autre issue. Au plan financier, cela ne se mesure plus en termes d’engagement des banques européennes, depuis que leur exposition a été réduite aux bons soins de la BCE. Il est par contre au minimum prévisible que le marché obligataire, dont le comportement vient de surprendre en repartant brusquement à la hausse, en subirait les contrecoups. Ce qui alourdirait le poids d’une dette qui ne pourrait plus être refinancée à bas prix sur le marché, au détriment du financement d’une hypothétique relance de l’économie.

Elle aggraverait l’insoutenabilité de la dette grecque, car elle plongerait la Grèce dans une dépression prolongée, et rendrait illusoire la perspective de dégager un excédent budgétaire primaire permettant son remboursement. Et, si une nouvelle aide financière était accordée afin de l’engager, elle ne contribuerait au mieux qu’à stabiliser son montant, tout du moins jusqu’à son épuisement. Le gouvernement grec serait déstabilisé, ne pouvant honorer ses engagements de campagne après avoir du franchir le Rubicon contraint et forcé. Il s’en suivrait une période d’incertitude, mélange de crise sociale et politique aggravées, faisant obstacle à l’application des plans sur la comète européens. Et il n’y a pas de prétendant crédible au remplacement de l’équipe de Syriza si elle quittait le pouvoir, quelles que soient les circonstances d’un tel départ.

Dans ces conditions, il faudrait aussi que la négociation sur la nouvelle aide financière soit très rondement menée, afin qu’elle intervienne à temps pour permettre les remboursements de la BCE qui arrivent à échéance cet été. Et la tentation sera forte, côté grec, de faire cette fois-ci défaut, n’ayant vraiment plus rien à perdre. Avec comme seule bouée de sauvetage des accords économiques avec la Russie et la Chine. Cela devrait faire réfléchir, mais il n’est pas garanti que des dirigeants aveuglés par leurs certitudes ou empêtrés dans leurs intérêts à court terme en soient capables. Ils risquent tout au contraire de faire la démonstration qu’ils ne sont pas à la hauteur de leurs responsabilités, mais qui s’en étonnera désormais ?

Le sort des Grecs n’est pas enviable, mais il pourra toujours faire réfléchir ceux qui voudraient s’opposer à leur politique, peut-il être calculé. Les dirigeants européens n’en sortiront pas pour autant renforcés, pris au piège d’une situation dont ils ne peuvent plus sortir et n’ayant comme seule solution que de repousser au plus tard possible le moment où il sera inévitable de le reconnaître (en espérant ne plus être au pouvoir à ce moment là). Cette cavalerie financière – car il faut bien lui donner son nom – sera entre-temps devenue un désastre proprement européen, le FMI ayant retiré ses billes pour ne pas y être davantage associé.

Tout va se précipiter.

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