L’ADN, Paul Jorion : « Sauver l’humanité en moins de 100 ans », le 24 avril 2017

Sur le site de L’ADN : Sauver l’humanité en moins de 100 ans

Sauver l’humanité en moins de 100 ans

INTRODUCTION

Trois générations. C’est ce qu’il pourrait nous rester avant l’extinction de la race humaine. Les solutions sont pourtant là. Paul Jorion, docteur en sciences sociales, écrivain et chercheur nous donne les pistes de résolution.

Q. Vous vous êtes penché sur le scénario selon lequel l’humain a tout intérêt à préparer sa fuite vers une autre planète. Pourquoi ?

R. PAUL JORION : Cela part du constat que nous exerçons un poids considérable sur notre environnement qui dépasse désormais sa capacité à nous soutenir. Nous utilisons 1,6 planète chaque année en termes de renouvelables et de durables. Un processus qui touche nécessairement à sa fin.

Nous sommes de véritables imbéciles quand il s’agit de maintenir notre planète en état pour continuer à y vivre mais nous sommes par ailleurs des génies quand il s’agit de produire de la technologie. À tel point que l’on peut se poser la question si « notre destin dans l’univers » n’est pas de produire les machines qui nous succèderont. C’est un thème classique de la science-fiction. Il est possible que nous soyons incapables de maintenir les conditions qui nous permettent de continuer à vivre sur Terre mais que nous soyons capables de créer les machines qui vont coloniser l’univers après nous.

Si l’on pense à des propos comme ceux de Martin Rees, Astronomer Royal en Grande-Bretagne, on constate que des visions fatalistes existent. Il explique qu’une espèce qui a besoin d’accéder à de l’oxygène toutes les 15 à 20 secondes, qui a besoin de boire de l’eau non polluée toutes les quelques heures, qui a besoin de manger des aliments très spécifiques par rapport à ce que l’on peut trouver de manière spontanée sur une planète… cette espèce est dans une aventure qui doit nécessairement aboutir à son terme.

Q. Nous avons conscience de ces scénarios catastrophes, nous en connaissons les tenants et les aboutissants et pourtant nous nous y précipitons tout de même. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

R. Dans mon livre Le dernier qui s’en va éteint la lumière (2016), j’ai tiré parti de ma formation en psychanalyse pour essayer de comprendre ce phénomène. Il s’avère que nous sommes très mal outillés pour agir sur cette question.

Par exemple, nous pouvons certainement nous assigner des objectifs, des buts… mais dans notre vie quotidienne, ce que nous appelons notre volonté, la réalisation de nos intentions, est en réalité une illusion car nos intentions ne parviennent à notre conscience que plusieurs secondes en général après que notre corps a pris la décision d’agir. Notre conscience n’intervient donc qu’après la bataille. Nous compensons cela en étant devenus particulièrement habiles à produire des récits plus ou moins cohérents de la raison pour laquelle nous avons posé ces actes.

Il y a également le fait que nous avons beaucoup de mal à nous représenter un danger terrifiant dans l’avenir. Un danger du type « extinction de la planète » ne nous fait pas peur car il n’évoque rien de particulier en nous. Voir une grosse araignée dans ma chambre va me faire sursauter, mais je peux réfléchir une heure à l’extinction de l’humanité sans que cela me fasse ni chaud ni froid.

Q. Que penser des initiatives « colibri » qui fourmillent à moindre échelle ?

R. Il ne faut absolument pas les décourager, mais le problème avec ce genre d’initiatives est essentiellement une question d’échelle de temps. Les physiciens, chimistes et climatologues nous disent que la menace d’extinction va se poser de manière extrêmement aiguë dans les trois générations à venir (90 ans), alors que ces actes de bonne volonté se situent sur une échelle de temps beaucoup plus étendue. Si l’on encourage les gens à utiliser leur vélo plus que leur voiture, c’est excellent, mais un changement notable n’aura lieu que sur une durée de temps sans commune mesure avec la menace que nous essayons de conjurer.

Q. Comment doit-on s’y prendre pour inverser la tendance ?

R. Il faut changer de système. J’ai rédigé récemment un programme et un manifeste des choses à faire, qui devrait paraître bientôt, où je livre des recommandations.

On y retrouve, par exemple, la création d’une « taxe robot » qui permettrait de redistribuer dans la population dans son ensemble une partie de la richesse créée par la mécanisation (pas seulement les robots). Cela éviterait d’arriver à une situation parfaitement déséquilibrée où les propriétaires des machines récolteraient toute la richesse et ceux qui étaient salariés autrefois soient entièrement privés de ressources.

Une autre préconisation que je formule est celle d’assurer la gratuité sur l’indispensable. Dans un monde où nous ne tenons pas compte du fait que la destruction de l’environnement soit irréversible ou non, il faut décourager la consommation excessive ou sans nécessité. Or, distribuer un revenu universel à des gens qui n’auront pas un besoin immédiat de ces sommes, reviendrait à les encourager à les dépenser. Quant à ceux pour qui elles seraient indispensables, il faudrait pour les mettre à l’abri de la prédation éventuelle du monde de la finance et du consumérisme, adopter une stratégie qui consisterait à assurer la gratuité. C’est un système que nous connaissons puisque nous l’avons déjà utilisé pour l’éducation et la santé.

La gratuité protège de la dépense et n’encourage pas la consommation. On présente de façon tragique le fait que, aux États-Unis, 15 % de la population assure son alimentation grâce à des food stamps (coupons donnés aux familles dans le besoin pour acheter de la nourriture). Or il n’y a là rien de tragique : le système pourrait être étendu à toute la population. Cela ne veut pas dire que celui qui en a les moyens ne pourrait pas s’acheter du caviar s’il en a envie, mais ces sommes ont le mérite d’être encadrées et protégées pour ne pas être dépensées en billets de loterie, prostitution, armes, drogues, etc., comme cela pourrait être le cas avec le revenu universel.

J’y parle également de faire de l’État providence une institution inscrite de manière irréversible dans une constitution globale pour l’économie, de la nécessité de faire de la zone euro l’embryon d’un nouveau système monétaire international, etc. J’ai d’ailleurs eu le plaisir de voir qu’au mois de mai, des constitutionnalistes français organisent un colloque autour de cette idée que j’ai lancée : celle d’une constitution économique pour l’ensemble de l’humanité. Des principes généraux qui nous permettraient de maintenir une planète durable et renouvelable de notre point de vue pour que nous puissions continuer à y vivre. C’est une idée que j’ai lancée en 2007 dans une tribune libre du Monde. L’idée a heureusement fait son chemin !


Paul Jorion sera présent à L’Echappée Volée dont L’ADN est partenaire. Pour réserver vos places pour les 11, 12 et 13 mai prochain c’est ici.

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