Les forces politiques face à la crise

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

On nous pose de très bonnes questions à Jean-Luc Gréau et à moi-même pour un entretien en face-à-face à paraître dans Marianne. Les questions sont nombreuses et la place, très limitée, et il faut donc répondre de manière lapidaire. J’ai le loisir ici d’offrir une réponse plus détaillée.

A propos des réformes que nous préconisons, assimilées à se débarrasser d’une vulgate néo-libérale, il nous est demandé ceci :

Quelles sont les forces politiques selon vous capables de mettre en œuvre ce projet en France et au sein de l’Union Européenne ?

En fait, ces forces politiques n’existent pas aujourd’hui. Commençons par la droite : elle s’est engagée tout entière aux côtés du système qui s’écroule sous nos yeux par pans entiers. La gauche, de son côté, est tétanisée depuis la chute du mur de Berlin. Le centre-gauche s’est lui rallié au néo-libéralisme. La gauche-gauche s’est montrée incapable en vingt ans de proposer le moindre projet de société alternatif. L’extrême-gauche a toujours été une pépinière d’idées neuves mais les applications et tentatives d’applications de celles-ci couvrent un éventail qui va du peu convaincant au catastrophique. Les verts nous ont appris que la richesse se mesure à la santé de la planète mais là aussi je ne vois pas émerger de réels projets : des utopies très indigestes oui, souvent très anciennes d’ailleurs.

Le mouvement « décroissant » est sans doute le plus cohérent mais j’ai déjà fait état de mes objections à son égard. En deux mots : la décroissance ne peut être un projet, elle est un symptôme. Elle a lieu sous nos yeux en ce moment-même où elle accompagne une crise financière et économique sans précédent. Lorsque les effets du « peak oil » se feront sentir – ce qui n’est pas encore le cas mais ne saurait tarder – la décroissance aura lieu si le solaire n’a pas été pleinement maîtrisé d’ici-là. Mais un symptôme n’est pas un projet et celui-ci reste à définir.

Les seules forces politiques susceptibles de forcer le pouvoir dans la voie d’un changement de paradigme émaneront donc de la base, et pour pouvoir constituer une majorité, devront ignorer les clivages politiques traditionnels. Cette base est constituée de tous ceux qui partagent le sentiment que l’espèce est menacée dans son existence, dans l’immédiat par la crise et dans dix ans par l’épuisement des ressources non-renouvelables. Un tel sentiment est par nécessité planétaire, mais non centré sur l’environnement conçu comme la planète sans nous : la justice sociale fait partie de son horizon. Planétaire au sens de Gaia : le système dans son entier, et une solution des problèmes fondée sur l’éthique. Deux soucis à première vue divergents ont empêché jusqu’ici la coalition nécessaire d’émerger et il faut rappeler aux deux bords : pas de redistribution sans survie, mais pas non plus de survie sans redistribution.

Un projet de cette nature peut produire de l’absolument neuf mais est également exposé à toutes les dérives. Il faut que les politiques se réveillent, se rallient à ce mouvement de la base et mettent leur expérience de la chose politique au service d’une canalisation de cette colère dans un cadre qui doit demeurer à tout prix démocratique parce que les ennemis de la démocratie sont prêts et s’agitent déjà dans les marges où la crise est évoquée dans une perspective critique.

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

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69 réponses à “Les forces politiques face à la crise”

  1. Avatar de marianne

    Tes réflexions et celles d’André Gorz que tu transmets m’ont suggéré de quand-même y ajouter ce qui suit:

    Je pense que nous devrions réfléchir un peu sur les points suivants:

    – que compte l’être humain, l’Homme, dans tout cela. Quel est notre rapport au POUVOIR? Car c’est quand-même le fondement de toute démocratie. Or, toutes les réflexions vont dans le sens d’une augmentation de la servitude au lieu de la réduire. Il est inconcevable que, pour augmenter un PIB qui ne lui profite en réalité que très peu, l’homme doive sacrifier chaque fois plus de temps de vie pour produire d’abord et consommer ensuite, En plus, une bonne partie de sa production se perd pour engrosser des non-productifs.

    – nous sommes des centaines de millions qui nous laissons ainsi enbrigader. Nous laissons nous IMPOSER des nécessités qui n’en sont pas, ce qui nous coûte notre temps et surtout notre santé, physique et mentale sans en retirer des satisfactions qui justifieraient de tels efforts.

    – si nous apprenions a calculer le temps de vie que nous coûtent ces efforts, nous pourrions peut-être apprendre à vivre autrement.

    – l’application de ces propositions générerait du temps libre pour nous et surtout aussi pour nos enfants. Mais cela supposerait des changements de chip auxquels pour l’instant rien ne nous prépare. Gérer son temps libre est plus difficile qu’appliquer les ordres que nous donne un supérieur! Toute une éducation devrait être modifiée

    . et enfin l’autogestion et la solidarité. Rien ne nous prépare pour créer des êtres autonomes. Nous sommes éduqués pour obéir et non pas pour PENSER et agir librement.

    – fonder un enième nouveau parti qui prendrait en compte ce genre de desiderata ne mènerait à rien. Il faut vraiment partir de la BASE comme il est suggéré quelque part et non pas du haut d’une pyramide. C’est la base qui compte, puisque c’est elle qui crée toute richesse, quelle qu’elle soit.

  2. Avatar de Stef

    Bonsoir,

    Tout d’abord, je voudrais vous présenter mes excuses pour l’austérité de ma précédente intervention. Je suis nouveau … et discipliné ; le nom est obligatoire sur le formulaire, alors je mets le nom : Madelaine

    A la lecture des messages récents, je voudrais préciser mon intervention sur la Décroissance, soit pour souscrire, soit pour disconvenir.
    – La Décroissance est collective. Il ne faut pas confondre avec la « simplicité volontaire », qui est une démarche individuelle. Elle s’inscrit bien sûr dans la Décroissance collective, mais elle a ses limites, surtout dans la société de croissance actuelle.
    – De plus, la somme de toutes les « simplicités volontaires » ne suffiraient pas à créer une société de Décroissance : un projet collectif n’est pas uniquement la superposition d’initiatives individuelles. Il y a des interactions à créer. Je pense particulièrement à la question de la relocalisation (merci A-J Holbecq pour les documents et liens)
    Si tout le monde, dès aujourd’hui, chacun dans son coin et sans transition, décidait d’adopter la « simplicité volontaire », ce serait la cata’ !!!!

    La décroissance (avec un petit « d » cette fois-ci) est malgré tout inévitable. Elle sera accompagnée ou subie. Le partage se fera inéluctablement… mais de quelle manière ? Avec quel système et quels Dénouements ? Plusieurs possibilités :
    – Système : autoritariste, démocratique, autogestionaire, ou mélange de tout cela ?
    – Dénouements : les inégalités qui se creusent encore plus qu’aujourd’hui ? Aux échelles mondiales et locales (des inégalités fractales). Ou au contraire, la sobriété permettrait-elle de cultiver la solidarité et l’équité ?
    Imaginons toutes les combinaisons. Un système autoritaire qui assure l’équité, ou bien un système d’autogestions générateurs d’inégalités, ou encore des systèmes de démocraties a différentes échelles assurant un juste partage des richesses, etc…
    Il ne va pas falloir qu’on se loupe quand viendra l’heure de « trouver un nouveau barycentre des intérêts (politiques/économiques) et des attentes (demande politique/sociale) », qui mènera au « nouvel équilibre » (dixit Strategix) !!!!

    Parce que même s’il faut persister dans l’utopie, il ne faudrait quand même pas rester naïf ; la BASE est multiple, et parmi les quelques milliards d’humains de cette base, il y en aura bien « un » ou « deux » qui ne voudront pas de partage équitable, de solidarité ou d’autogestion. Et peut-être même qu’ils auront la fâcheuse tendance à vouloir l’exprimer violemment. En général, c’est toujours moins facile de rester indifférent à la violence qu’à la passivité. …
    Alors ? Comment gérer collectivement, à toutes les échelles, les groupes qui manifesteront de la violence (de quelques natures que ce soit) ???
    In ne va pas falloir qu’on se loupe, et il ne faudra pas trop compter sur « tout le monde se donnera la main ».

    Toutes ces questions sont politiques.
    Elles ne doivent pas rester l’exclusivité d’une élite. La BASE doit s’approprier ses questions. La politique regarde tout le monde. Et si le thème de la Décroissance devient important, la BASE doit le mettre en débat sur l’échiquier politique. Le plus tôt possible.
    Peu importe s’il faut un appareil politique de la Décroissance ou pas. L’essentiel est que ce thème soit enfin porté médiatiquement. Qu’on sorte enfin des débats exclusivement portés sur les « les moyens-d’obtenir-toujours-plus-de-croissance » sans avoir préalablement ouvert ceux de « quelle est la finalité de la croissance !!? », et « est-ce qu’on en veut encore de cette croissance ?? »

    C’est politique, non ?

    Amitiés

    Stéphane, en direct du Havre
    http://decroissance.lehavre.free.fr/accueil.htm

  3. Avatar de sounion
    sounion

    Je partage vos analyses. Si j’ai bien compris, l’individu doit prendre en main son destin et les changements viendront d’un mouvement de fond de la base emportant l’adhésion de chacun. Bien…mais comment faire sans organisation politique ?
    Agiter nos idées se limite à  » la possibilité inouïe de faire partager de façon planétaire le constat de notre protestation impuissante ». C’est grandement insuffisant.

  4. Avatar de Stef

    @ sounion

    Je suis heureux d’avoir réussi à me faire un peu comprendre. ;-).

    Enfin presque : « bien…mais comment faire sans organisation politique ? »
    d’où les tentatives suivantes (j’insiste sur « tentatives » 😉 )
    http://decroissance.lehavre.free.fr/elections.htm
    – à Lyon, Paris et ailleurs aussi : http://decroissance.lehavre.free.fr/cantonales08-france.htm
    http://www.partitodecrescita.it/ (je viens de le trouver)
    – sûrement d’autres en Europe
    – et un parti français qui va peut-être (sûrement) émerger !!!

    stef

  5. Avatar de Stef

    @ sounion, marianne & quileveut

    Une dernière précision.
    La notion de base n’est pas nécessairement contraire à la notion de parti politique !
    Certes, il existe des partis politiques dictatoriaux. Il en existe aussi pour lesquels c’est la base des militants qui génère les décisions (de plus, rien n’empêche quiconque d’adhérer à cette base. donc…). Il existe même des partis politiques qui ne compte que 15 membres : c’est du type « base » ou « pyramidale » ??

    – Ce n’est pas facile de vivre à plus de deux personnes !
    – Pas de chance, on est obligé de vivre à plus de deux personnes : on est plusieurs milliards.
    Bref, il faut s’organiser.

    Et quand il s’agit de s’organiser politiquement (au sens 1er du terme), on se regroupe pour défendre des points de vue. Alors, on appelle ça « mouvement », « front », « union », « ligue » ou « parti ».
    On peu appeler ça « base » si on a peur que « parti » soit une maladie transmissible, mais ce qui compte c’est le fonctionnement … de la base… ou du parti : ce fonctionnement ne tient qu’aux membres.

    Bon, il est temps que j’aille faire dormir mes yeux.

    Stef

  6. Avatar de thomas

    Et si ce n’était pas une question de compréhension, mais de sensation

    Que ce qui nous manque ne soit pas une idée, mais du vécu….

    C’est peut-être le Hard Ware humain qui pose problème

    Un jour ou l’autre il faudra qu’il y ait la guerre
    on le sait bien
    On aime pas ça, mais on ne sait pas quoi faire
    on dit c’est le destin

  7. Avatar de Pierre-Yves D.
    Pierre-Yves D.

    @ thomas,

    le capitalisme n’est-il pas la continuation de la guerre par d’autres moyens ?

    La guerre classique avait pour but de s’accaparer les ressources d’autre partie, territoriales et- ou matérielles.

    Mais le capitalisme ne fait pas autre chose. Le travail qui devrait être une source d’épanousissement, est secondarisé, de sorte qu’il n’a aucune finalité humaine en lui, puisqu’il sert en réalité à faire fructifier le capital.
    Le travail, quelque soit son contenu, sa finalité, son organisation, est par les capitalistes consitué en marché.
    Les salariés offrent sur un marché du travail leur force de travail. Le travail de ce qu’il pourrait être, une qualité, est réduit à une pure quantité. Une abstraction pure. Sa valeur se confond avec son prix.

    La valeur travail comme pure quantité, simple variable d’ajustement, est ce qui permet aux yeux des capitalistes de justifier les pires inégalités. Au nom de l’idée que la croissance du capital ferait le bonheur des travailleurs, les capitalistes ont tiré profit d’une division internationale du travail, manière d’exploiter les différentiels de coûts du travail entre les divers marchés du travail, d’un pays à l’autre, d’un continent à l’autre.

    Cette réalité n’est pas la paix, mais déjà la guerre. Une guerre économique qui laisse sur le carreau des millions de chômeurs, de précaires facilement manipulables du fait de leur faiblesse. C’est une guerre parce qu’elle maintient, rend l’humanité à son état de nature. Or le marché sous l’égide capitaliste c’est l’exploitation habile et sophistiquée de cet état de nature, où l’humain est réduit à un animal défini simplement par sa condition de survie, au lieu d’être un projet. Relire le Léviathan de Hobbes.

    Il importe donc :

    1. de revenir avec force sur la question du partage du travail.
    2. s’interroger sur l’organisation, le contenu et la finalité du travail (cf André Gorz : Les métamorphoses du travail)

    Ne pas lier la question du travail en tant que facteur de production d’un point de vue macro économique
    à la question du travail en tant que source (ou non) d’émancipation c’est se condamner à répéter les mêmes erreurs.

    Tout le débat actuel sur le retour de l’Etat sera vain s’il s’agit simplement de déplacer le problème.
    Un travail dans le cadre d’un capitalisme de marché dérégulé ou un travail dans le cadre d’un capitalisme d’état est-il fondamentalement différent ? Il est vrai que l’Etat assurre certaines missions et que ipso facto certaines finalités du travail vont être redefinies, mais cela sera-t-il vraiment la nouvelle norme ? Rien n’est moins sûr. L’ancien système soviétique était un capitalisme d’Etat. Le travail y était-il ce que Marx prétendait qu’il devait être, un facteur d’émancipation ? Evidemment non.

    Le capitalisme régulé des « trentes glorieuses » si souvent vanté, en France qualifié d’écomie mixte, était-il le monde idyllique que l’on prétend ? Si effectivement, comparé à la situation actuelle, la part dévolue à la rémunération du travail était plus importante, il n’en demeure pas moins, qu’une grande part de la richesse des pays occidentaux provenait de l’exploitation des pays du sud dont les ressources énergétiques, minières étaient « pillées », avec la complicité d’Etats corrompus et soutenus à bout de bras — y compris militairement — par les pays riches (en france la Françafrique).

    Conclusion : ce n’est pas parce que les banques ou certains groupes seraient nationalisés qu’ils seraient moins capitalistes.
    On ne le voit que trop bien actuellement. Les prêts ou participations consentis aux banques se font hors de tout cadre démocratique.

    L’urgence c’est donc réintroduire de la démocratie dans les entreprises, banques, y compris dans celles qui seront sous le contrôle de l’Etat.

  8. Avatar de thomas

    Pierre Yves D,

    Merci de ta réponse. Tu parles d’introduire de la démocratie, mais la démocratie est un être vivant, aujourd’hui à bout de souffle. C’est l’envie de démocratie, qu’il faut ranimer.
    Je ne baisse pas les bras, je n’attends pas la guerre. Je crois que l’espoir est dans les enfants, ce sont eux qui ont la marge de progrès, à condition que l’on s’en préoccupe.

  9. Avatar de Bertrand

    – Les traditionnels clivages politiques GAUCHE/GAUCHE – DROITE/DROITE sont-ils aujourd’hui la seule voie politique d’accès vers une meilleure réussite collective?

    – Les adversaires de la réussite collective ne sont-ils pas EN DEHORS des clivages politiques?

    – Les clivages politiques GAUCHE/GAUCHE – DROITE/DROITE, ne deviennent-ils pas finalement la cause de notre incapacité à résoudre les problèmes récurrents de société?

    – Pourquoi demeurons-nous en CAPTIVITÉ des clivages G/G – D/D qui ne déjouent plus les écarts d’inégalité dans le monde?

    à suivre ….
    http://www.la-convergence-ethique.org/

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