La petite fille pauvre

Pour certaines religions ou certaines de leurs variantes, la pauvreté relève d’un système éthique simple fait de punitions et de récompenses : le pauvre est celui qui a « péché » ou a enfreint quelque principe apparenté, le riche au contraire a été récompensé pour sa vertu. Que pense alors en son for intérieur celui qui sait devoir sa fortune à sa malhonnêteté ? Il perd probablement sa religion. Encore qu’il y ait dans chacun de ces systèmes place pour les situations paradoxales, selon le principe des « accommodements avec le ciel ». Ainsi, les samouraïs étaient zen et certains pirates anglais étaient quakers. Quant au vertueux qui ne voit pas sa vertu récompensée et crève la dalle, Dieu merci pour le maintien de l’ordre au sein de ces sociétés, il continue d’espérer.

Quand j’avais sept ans, j’étais amoureux de Marie-Rose Mertens (*), une amie de ma soeur. Marie-Rose était une petite fille comme dans les livres, toute pimpante avec une robe rose comme son nom et un grand noeud dans ses cheveux blonds.

Une cuisine-cave dans les étroites maisons belges, c’est un sous–sol partiel entre la rue et le jardin. La fenêtre qui donne sur la rue est dans sa moitié supérieure au-dessus du niveau de la chaussée et dans sa moitié inférieure, en-dessous. Il existe donc une fosse dans le trottoir, comme un très large soupirail, qu’une grille recouvre en général pour éviter que les détritus de la rue ne s’y accumulent, sans jamais y parvenir complètement. Seule consolation, la partie arrière donne sur le jardin et débouche sur celui-ci par une courette, suivie d’une demi-volée d’escaliers. Il y avait une cuisine-cave dans la maison de mes grands-parents : du côté de la rue, mon grand-père avait un petit atelier de cordonnerie, et vers le jardin, du côté gauche, il y avait une cave à charbon.

Je me suis un jour rendu chez Marie-Rose pour son anniversaire. La famille entière logeait dans une cuisine-cave.

Marie-Rose, j’espère que la vie t’a été douce.

Je ne me fais guère d’illusions.

Quelques années plus tard, alors qu’il neigeait, j’ai rapporté à la table familiale, comme une bizarrerie, que Plachaud (*) venait à l’école en chaussures de tennis. La réponse de mes parents fut un grand silence. Le silence de ceux qui ont censément accès à toutes les réponses, engendre chez l’enfant, le désespoir. Cette découverte de la manière dont le monde fonctionne en réalité – les coulisses de l’arbre de Noël – on l’appelle le désenchantement, un mot qui renvoie à l’innocence mais signale le dévoilement à l’enfant des temps encore préhistoriques où il est né.

(*) Ce n’est pas son vrai nom.

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