Les femmes qui sont à louer

La femme la plus enjouée qu’il m’ait été donné de connaître m’avait suivi dans les couloirs de l’hôtel où j’étais descendu à Freetown – Sierra Leone, et qui avait saisi l’instant où je me baissais pour ramasser mes bagages pour bondir dans la chambre avant moi et s’était déjà installée sur le lit avec un rire de victoire qui fendait son charmant minois. J’ai dit « Mademoiselle, vous allez sortir tout de suite ! » Convaincue que je plaisantais, elle n’en a rien fait. J’ai dû la poursuivre autour du lit sur lequel elle bondissait alors comme un cabri en riant de plus belle. Je ne devais pas avoir l’air sérieusement courroucé puisqu’elle s’amusait énormément et avait l’air de considérer mon manège comme une gaminerie constituant une excellente entrée en matière à ce qu’elle avait prévu pour la suite. J’ai fini par l’enlacer mais ce fut seulement pour mieux la pousser vers la porte.

La femme la plus triste que j’aie pu rencontrer exerçait la même profession. Un jour à Aflao, à la frontière du Ghana et du Togo, j’avais également été suivi, cette fois dans l’escalier menant à ma chambre qui occupait seule le sommet du petit hôtel inachevé et, arrivés à la porte, la jeune femme me fait une proposition et je lui dis non, et comme elle insiste, je suis obligé de réitérer, cette fois avec davantage de fermeté. Mais plusieurs minutes plus tard je perçois des bruits furtifs derrière la porte qui me font comprendre qu’elle est toujours là. J’ouvre et je la vois assise sur les premières marches de l’escalier. Je lui dis « Vous savez, ce n’est pas la peine d’attendre : je ne changerai pas d’avis ». À quoi elle répond qu’elle a compris mais qu’elle ne veut pas descendre tout de suite. Je lui demande pourquoi et elle me dit : « Il va me frapper très fort ! » Et je me souviens alors en effet du type avec qui elle se trouvait au bar un peu plus tôt dans la soirée, un très bel homme, jeune, très grand, sapé, mais pas du genre en effet à se distinguer par son sens de l’humour. Je lui ai dit : « Combien vous m’auriez demandé ? » Elle était élancée, très mince, très belle, très élégante, les hommes devaient rarement l’éconduire. Elle a mentionné une somme en cédis et je lui ai donné l’argent. Toutes les femmes à louer n’aiment pas la vie autant que le petit cabri du Sierra Leone, ce qui se conçoit bien quand on n’est pas libre de faire ce que bon vous semble.

Partager :

Contact

Contactez Paul Jorion

Commentaires récents

  1. « Je m’efforcerais d’avoir un dialogue honnête et de rester fidèle à mes principes.  » kr kr kr

  2. L’ambigüité des intellos, ravis ou pas de faire sécession d’avec la pâte humaine mafflue et charnue … ?

  3. MARGARET ATWOOD (réfléchissant) C’est une vision charmante. Mais sa réalisation nécessitera une extrême prudence et prévoyance. Nous devons être des…

Articles récents

Catégories

Archives

Tags

Allemagne Aristote bancor BCE Bourse Brexit capitalisme centrale nucléaire de Fukushima ChatGPT Chine Confinement Coronavirus Covid-19 dette dette publique Donald Trump Emmanuel Macron Espagne Etats-Unis Europe extinction du genre humain FMI France Grèce intelligence artificielle interdiction des paris sur les fluctuations de prix Italie Japon John Maynard Keynes Karl Marx pandémie Portugal psychanalyse robotisation Royaume-Uni Russie réchauffement climatique Réfugiés spéculation Thomas Piketty Ukraine ultralibéralisme Vladimir Poutine zone euro « Le dernier qui s'en va éteint la lumière »

Meta