Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Mes chers amis commentateurs : vous avez, la plupart d’entre vous, quelque chose en commun, et j’ai moi quelque chose en commun avec Mr. Sarkozy. Pas, comme vous le soulignez et comme je le dis moi-même, les opinions qui nous viennent naturellement à lui et à moi, mais le fait que quand il parle c’est en tant que lui-même et moi aussi, de mon côté, c’est en tant que moi-même.
Vous vous exprimez pour la plupart sous un pseudonyme. Je ne vous le reproche pas : c’est la règle par défaut ici. Mais le fait que je m’identifie, moi Paul Jorion, à tout ce que j’écris ici, m’oblige automatiquement à un devoir de cohérence. Je sais que tout le monde ne voit pas les choses de la même manière et certains, et pas des moindres, ont fait carrière d’expliquer pourquoi ils voient les choses autrement aujourd’hui qu’ils ne le faisaient cinq ans auparavant. Comme vous le savez, cela les oblige à de grands travelings de gauche à droite, et dans le pire des cas, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, et retour.
La chose que je redoute le plus, quand je retombe sur l’une de mes publications les plus anciennes, datant des années soixante-dix ou quatre-vingt, c’est que j’aurais changé d’avis : que j’aimerais dire aujourd’hui les choses autrement que je ne l’ai fait à l’époque. Heureusement je n’ai pas encore eu de mauvaise surprise sur ce plan-là. C’est d’ailleurs l’une des choses que j’admirais le plus chez Lacan : bien sûr, sa pensée a évolué – on lit, on réfléchit, on est convaincu par d’autres – mais quand on relit des textes au hasard dans ses Écrits, il n’est pas nécessaire de se demander si ça datait de la période rose ou de la période bleue : c’est « la pensée Lacan », comme on dit en chinois.
Plusieurs d’entre vous me reprochent d’attacher trop d’importance à ce qui est dit et pas assez à ce qui est fait. Ce qui aura été fait comptera à l’arrivée bien davantage que ce qui aura été dit. C’est bien simple : seul comptera vraiment ce qui aura été fait. Mais je vois peut–être davantage que certains d’entre vous que nous ne sommes pas aujourd’hui dans la répétition du même : nous nous trouvons à l’un de ces tournants que l’on appelle « historiques » : des événements de ceux dont on parle encore mille ans plus tard. Et c’est pourquoi, dans la situation présente, il n’y a pas de recettes toutes prêtes, il n’y a pas de solution-miracle que « tout le monde sait bien ».
En m’identifiant, en m’assimilant pleinement, à ce que je dis, je ne tends de piège à personne : je me contente de voir dans les êtres humains des êtres de raison, adhérant pleinement à ce qu’ils disent. Je n’en définis pas moins un terrain : j’établis cela automatiquement comme une norme et j’exige du coup la même rigueur de quiconque parle en face de moi, même si ce qu’il dit a été écrit par quelqu’un d’autre dont c’est le métier. Cette exigence de ma part, c’est peut-être trop demander à certains, mais cela, je ne peux le préjuger.
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