Nous mettons la dernière main, l’équipe de Gallimard et moi, à Comment la vérité et la réalité furent inventées et comme on m’a très justement fait remarquer que mon chapitre consacré à Aristote manquait d’une conclusion, j’en ai profité pour appuyer encore davantage mon hommage à celui qui fut aussi le maître d’Alexandre (ce qui débouche sur la question : se désaltérer à la source de la meilleure philosophie rend-il mégalomane ?)
Quand le nouvel esprit scientifique émergera à la Renaissance, le savoir neuf demeurera contraint de deux manières : par une exigence forte, celle de ne contredire en aucune façon l’enseignement de l’Église et par une seconde exigence, moins radicale sans doute et justifiée par le gant de velours du bon sens plutôt que par le gant de fer de la foi : bâtir sur les fondations posées autrefois par Aristote.
Quiconque n’a pas lu le chapitre qui s’achève pourrait légitimement se poser la question : « Pourquoi Aristote ? Comment l’œuvre d’un seul philosophe a-t-elle pu faire contrepoids, comme son pendant, à un savoir pourtant aussi infaillible par définition que celui du Dogme ? » La réponse, nous la connaissons maintenant : le Stagirite a construit, comme une œuvre solitaire, non pas la science sans doute – qui est nécessairement une tâche en constant développement sur son versant empirique – mais ce qui constituerait son cadre conceptuel tout entier au sein de la culture occidentale.
La méthode de la raison scientifique nous a été offerte par l’analytique aristotélicienne et celui de l’argumentation raisonnable dans la vie quotidienne, par sa dialectique. Il faudrait alors combler petit à petit par l’enquête l’espace réservé à la connaissance empirique en décrivant de manière exhaustive ce qui est. Avec les moyens du bord tels que le monde antique les déterminait dans son contexte historique, Aristote en avait posé les jalons lui-même et quand sa théorie physique du mouvement se trouva ébranlée au Moyen Âge par les coups de boutoir de Nicolas Oresme, elle fut remplacée sans à-coup – au chagrin sans doute de quelques-uns mais sans que l’édifice entier ait à en pâtir gravement – parce que son apport essentiel n’était pas de l’ordre du contenu singulier mais de celui de la forme : relatif seulement aux concepts qui doivent être convoqués et à la manière de prouver de manière irréfutable.
Bien sûr, ce cadre aurait pu être autre qu’il ne fut et les Chinois inventèrent la boussole, le gouvernail d’étambot et la poudre sans l’aide d’un Aristote mais notre civilisation technicienne est à ce point redevable au cadre épistémologique qu’il établit, engendrant à la volée la vérité et la réalité (objective) comme sa progéniture, que nous n’éprouverons pas le besoin, pour les siècles à venir, de sortir du cadre que le Stagirite définit. Ma modeste pierre à l’édifice constitue, on l’aura compris, un tribut de plus – si la chose était nécessaire – à l’œuvre d’un homme en adéquation parfaite avec le monde tel qu’il nous est offert.
50 réponses à “Aristote et nous”
Il me semble que traditionnellement on associait Aristote plutôt au Moyen-Age, et Platon à la Renaissance.
Dans tous les cas, je suis heureux de voir à quel point les penseurs Grecs sont et seront incontournables, fût-ce de façon cyclique.
Ils sont effectivement les « codes-sources » sur lesquels on bâtit nos châteaux de cartes. Ces châteaux peuvent s’effondrer, il restera toujors les fondations, à la différence de l’un de ces malheureux rois de Sacré Graal, des Monthy Pythons, qui a dû construire 3 ou 4 châteaux l’un sur l’autre pour vaincre enfin les sables mouvants !
Etonnant de porter aux nues un modele de pensée qui produit les désastres que nous connaissons actuellement, en particulier pour la finance, l’économie. L’écologie aussi. Et qu’on ne me dise pas que c’est l’usage fait du modèle qui est perverti. Un modèle qui se veut générique et qui est de facto pervertit à qui mieux mieux est simplement mauvais. Si ce modèle a pu rendre quelques services à l’humanité, il est pour le moins obsolète, le cadre social dans lequel il a été bati n’ayant aucun rapport avec ce que nous connaissons. Mais c’est une constante humaine de se tourner vers le passé quand les problèmes présent semblent insolubles. Et il est agréable à presque tous de surfer sur cette vague temporaire.
@ Scaringella,
Fallait oser, tu l’as écrit. Et tu nous proposes quoi pour refonder?
@Paul
J’attends votre livre avec impatience et intérêt ! Il est évident que revenir aux origines est nécessaire quand un monde arrive à une crise liée à ses apories…(par ex. volonté de domination absolue de la Nature…)
François Jullien développe depuis des années une approche passionnante qui met en perspective la pensée grecque et la pensée chinoise : la seule réelle altérité qui nous est offerte à ce cadre conceptuel ‘occidental’ que vous décrivez. Comme Joseph Needham l’avait montrés les apports empiriques chinois sont parois sous-estimés mais le point à souligner est qu’ils procèdent d’une façon complètement différente d’aborder la nature (immanent vs transcendant).
Je ne suis pas philosphe mais je pense que l’oeuvre de François Jullien est fondamentale comme éclairage à partir de cet ‘ailleurs’ de la pensée grecque et judéo-chrétienne.
Qu’en pensez-vous?
Paul parle aussi de son livre ici : A paraître : Comment la vérité et la réalité furent inventées. Un billet qu’il conclue en par termes : « j’offre à la science contemporaine le moyen de sortir de son impasse actuelle, celle où elle postule un monde dont de nombreux objets ne sont rien d’autre que les artefacts qu’une modélisation négligente amène avec elle, ainsi que celui d’échapper aux apories dont elle est aujourd’hui prisonnière. »
On pense aussitôt à la physique quantique, un modèle dont l’interprétation échappe à l’entendement, mais que les scientifiques n’en finissent pas de confirmer par l’expérience. Mais le paradoxe EPR, par exemple, ne résulte pas d’une « modélisation négligente », c’est un fait établi. A la fois tellement solide et tellement incompatible avec notre monde, qu’aucune analyse ne conduira jamais à sa compréhension. C’est plutôt la société qui est dans l’impasse, avec sa science qu’elle identifie à la connaissance.
@ Scaringella :
23 mai à 08:49
La logique dite de l’identité et du tiers exclu d’Aristote, soit: il n’y a pas de milieu entre A et non-A , telle chose est ce qu’elle est e ne peut pas être autre chose ou son contraire en même temps est le principe qui règne sur notre logique occidentale, ses applications et ses modes d’investigations. Ceci a été non pas démenti, mais « doublé », ou mis en parallèle ça ma paraît mieux, par l’apparition de la mécanique quantique. Mais la logique de l’identité et du tiers exclu reste opérationnelle par exemple pour la macrophysique et aussi pour, disons ainsi pour faire rapide et simple: la morale, la conduite et l’apprentissage de la vie en général.
Ceci étant dit, il existe bien une ou des dimensions où la projection de nos mesures (mais comment faire autrement, au moins dans un premier temps?) n’est plus opérationnelle. Les débats historiques entre E. Schrödinger, A. Einstein et N. Bohr, témoignent des difficultés d’interprétation de la mécanique quantique qui ne relève pas, ou pas comme cela, de la logique aristotélicienne.
Je ne crois pas qu’il faille opposer, ou « conflictualiser » les modèles.
Plusieur fois, j’ai souligné ici l’importance (à mes yeux exceptionnelle) d’un épistémoloque tel que Stéphane Lupasco (1900-1988) qui ne dément pas la logique aristotélicienne, mais en a pointé scrupuleusement ses limites et cela ne signifie pas qu’on en « aurait fini » avec cette logique aristolélicienne. La recherche de Lupasco porte bien davantage sur le fait d’avoir – trouvé – une logique existente dans l’univers, que sur le fait des limitations avérées de l’approche aristotélicienne d’une partie des phénomènes.
Ce qui est fondamental à comprendre et à retenir à la base, base maintenant « banale » dans tout laboratoire de physique, mais aux implications infinies, ce sont les images de corpuscule et d’onde dont les représentations, donc corpusculaires et ondulatoires, sont très importantes, et même fondamentales parce qu’elles impliquent, respectivement, le discontinu et le continu – entraînant donc une contradiction lorsque chacune de ces représentations définissent la même donnée – et tout un monde, ici présent, dans les faits et dans les « lois » dont on est loin d’avoir fini l’ « inventaire » (s’il devait finir).
Je pense ici personnellement que Lupasco, sans qu’il l’ait jamais dit ou annoncé que je sache, est – entre beaucoup d’autres éléments – celui qui sans l’avoir cherché à mis en relief et explicité la logique chinoise. C’est mon idée après m’être intéressé à la logique (on peut dire l’énergétique) chinoise (je ne sais pas si cela a été constaté et dit par ailleurs). Les investigations fructueuses de Lupasco, référencées sur des bases scientifiques constantes et irréprochables, essentiellement les dévelopements de la mécanique quantique, cette phase majeure de la connaissance apparue à partir du XXème siècle, et très loin d’être achevée si elle devait l’être. Il est celui qui aura trouvé et mis en relief une logique présente dans les phénomènes, cette logique doit devenir le pendant de la logique aristotélicienne, et non pas une « concurrente ». Le problème restant est que ce type de logique est souvent balayé idiotement par nous d’un revers de la main tellement nos réflexes portent sur l’ « être », l’ « identité » des êtres et des choses que nous ne percevons pas leur – actualisation – qui relève d’une dynamique constante engendrée par l’antagonisme constitutif, justement, des êtres et des choses. Pourtant, c’est ce qui ouvre quantités de portes. On entend dire parfois: la logique de Lupasco, c’est inexact, c’est la logique – trouvée – par Lupasco.
En tapant son nom sur Goggle il y a des sites qui donnent pas mal d’informations
@Tolosolainen : « une façon complètement différente d’aborder la nature (immanent vs transcendant) »
Pour moi, c’est Antigone contre Créon, un vieux conflit dont on considère encore de nos jours que Créon « doit » en sortir vainqueur. Ce conflit se retrouve presque trait pour trait dans celui qui oppose l’état aux Français mariés à un/e conjoint/e en situation illégale : les arrêtés de reconduite à la frontière, (légitimes en dépit du mariage), leur interdit d’exercer sur le sol français leur devoir de conjoint, comme Antigone le fut d’accomplir le sien à l’égard de son frère. Si l’on n’en fait qu’une question de droit, l’on aboutit forcément à trancher pour la primauté de l’état, mais c’est oublier que le devoir n’est pas seulement une question de morale : c’est aussi un besoin humain fondamental, bien plus fondamental que le respect de n’importe quelle transcendance.
Dans « L’économie en questions » (France culture,18/5)
YAEL PIERRE DOCKES « ..a choisi de nous parler du philosophe anglais Thomas Hobbes (1588 – 1679), qui influença considérablement la philosophie politique moderne. »
http://sites.radiofrance.fr/listen.php?file=/chaines/france-culture/emission/economie/bibliotheque_economique/dockes.rm
Longueur 11:58mm
Dans un petit mémoire établi en 1973 à l’occasion d’un séminaire à l’EHSS sur les « pèlerinages du Gange » dirigé par Pierre AMADO, j’avais noté « La conception indienne de la çakti se rapproche par bien des points de la conception moderne de l’énergie telle qu’elle se dégage par exemple des travaux de Stéphane Lupasco ». C’est peut-être d’un monde oriental plus étendu que celui de la seule chine que se rapproche la pensée de Lupasco.
Vive les joueurs du Non-A 🙂
COLLOQUE sur crise
Mardi, jeudi et samedi de 13h à 17h
3ème partie
perte de traçabilité, manque d’informations, assymétrie ….
http://sites.radiofrance.fr/chaines/france-culture/nouveau_prog/connaissance/alacarte_fiche.php?src_id=35000008&diff_id=255000101
programme
De la crise financière à la crise économique : les relations étroites entre finance et économie (1/3)
– Introduction
avec David Mourey, organisateur et animateur
– Ouverture
avec Jean-Claude Billiet, IGEN Economie et Gestion et pilote national du BTS Banque et Philippe Louchet, IA-IPR Economie et Gestion
– Le rôle de Banques dans le déclenchement et la propagation de la Crise Financière
avec Jean-Paul Betbeze, Chef économiste de Crédit Agricole SA, Membre du Conseil d’Analyse Economique ; Mathilde Lemoine, Directrice des Études Économiques à HSBC France, Membre du Conseil d’Analyse Economique ; Olivier Pastré, Professeur à l’université Paris-VIII, Président d’IM Bank, Tunis et Erik Izraelewicz, Directeur de la Rédaction de La Tribune
– Quelles régulations dans le futur ?
avec Patrick Artus, Directeur de la Recherche et des Études à NATIXIS, Membre du Conseil d’Analyse Economique ; Eric vergnaud, Direction des Etudes Economiques BNP Paribas ; Jean-Marc Sylvestre, Journaliste et Gérard Rameix, Secrétaire général de l’AMF
– Clôture
Avec Pierre Jaillet, Banque de France, Directeur Général des Études et des Relations Internationales.
De la crise financière à la crise économique : les relations étroites entre finance et économie 2/3
– Ouverture
avec Isabelle Knock, Déléguée Générale du CODICE
– Comprendre les comportements des différents acteurs sur les marchés financiers : une approche microéconomique, rationalité, mimétisme, croyances
avec Laurent Braquet, Professeur de Sciences Economiques et Sociales ; Olivier Godechot, Sociologue, chargé de recherche CNRS au Centre Maurice-Halbwachs et au Laboratoire de Sociologie ; Bertrand Jacquillat, Président directeur général d’Associés en Finance, Membre du Conseil d’Analyse Economique ; André Orlean, Directeur d’études à l’EHESS, Membre du Conseil Scientifique de l’Autorité des Marchés Financiers et David Thesmar, Professeur associé à HEC, Membre du Conseil d’Analyse Economique
– Les déséquilibres financiers internationaux : une approche macroéconomique, mouvements de capitaux, de taux de change, de taux d’intérêt, réserves des BC
avec David Mourey, Professeur de Sciences Economiques et Sociales ; Patrick Artus, Directeur de la Recherche et des Études à NATIXIS, Membre du Conseil d’Analyse Economique ; Agnès Benassy-Quere, Directrice du CEPII, Professeur agrégé à l’Université Paris-Nanterre, Ecole polytechnique ; Olivier Garnier ; Directeur général adjoint à la Société générale Asset Management, Conseil d’Analyse Economique ; Xavier Timbeau, Directeur du Département analyse et prévision à l’OFCE, Maître de conférence à l’ENA, Sciences-po
– Allocution
avec Bernard Simler, Inspecteur Général MEN et Vice-président IEFP.
De la crise financière à la crise économique : les relations étroites entre finance et économie (3/3
– Allocution
avec Monique Delessard, maire de Pontault-Combault
– Le rôle de banques (sous contrôle et hors contrôle) dans le déclenchement et la propagation de la crise financière
avec Françoise Crouigneau, présidente de l’AJEF ; Michel Aglietta, professeur de sciences économiques à l’Université de Paris-X Nanterre, conseiller au CEPI ; Henri Bourguinat, professeur émérite à l’Université Montesquieu- Bordeaux IV, fondateur du LARE ; Grégoire Chertok, associé-gérant de Rothschild & Cie, membre du Conseil d’Analyse Economique et Jean-Paul Pollin, professeur à l’Université d’Orléans, membre du Cercle des Economistes
– Quelles régulations dans le futur ?
avec David Mourey, professeur de sciences économiques et sociales ; Elie Cohen, directeur de recherche au CNRS, FNSP, membre du Conseil d’Analyse Economique ; Christian Chavagneux, rédacteur en chef adjoint d’Alternatives Economiques et rédacteur en chef de L’Economie politique ; Antoine Merieux, délégué général de l’AEF, Association d’Economie financière et Jacques Mistral, directeur des études économiques de l’IFRI, membre du Conseil d’Analyse Economique
– Clôture
avec Agnès Belaisch, économiste, conseillère du Directeur au FMI.
@ Crapaud Rouge
Mon commentaire (d’un simple amateur) visait uniquement la ‘nature’ comme objet des sciences ‘naturelles’… et non celle d’un débat éthique (par ex. nature humaine). Je suis d’accord sur le point qu’aucune transcendance ne peut prétentendre à forcer nos choix moraux pas plus que n’importante quelle immanance ne peut justifier des actions humaines…
Needham nous donne une clé amusante. L’Inquisition jugeait un coq qui aurait pondu un oeuf ; il était évidemment diabolique! Aucun Chinois n’aurait jamais pu imaginer ça ! Et le paradoxe (les ruses?) de la pensée c’est que c’est dans ce monde européen où l’on jugeait que la nature a des lois (avant même de les connaître plus avant) que la méthode scientifique au sens moderne est née, pas en Chine. Elle est née aussi car les Grecs ont pensé d’une certaine façon…(Nomos, Logos…). Aussi parce qu’une transcendance était supposé régler le Monde (Dieu créateur …cf. le célèbre ‘Dieu ne joue pas aux dés’ d’Einstein).
Mais comme des commentaires l’on mieux dit ci-dessus il est bien possible qu’il soit venu le temps de dépasser certains de nos modes de pensées… et donc une ‘critique’ d’Aristote est fondamentale au sens propre !
PS @VBS : oui vive Van Vogt ! Les Armuries d’Isher devrait être le livre de chevet de B. Obama…
Pour ceux qui voient dans l’orient la panacée autant religieuse que de pensée, je les enjoins à se tourner plutôt vers les plus modernes de notre culture occidentale où ils retrouveront sous une forme qui leur est accessible les thèses orientales. Ces pensées lointaines sont inaccessibles à notre entendement. Leur donner une quelconque valeur dans notre cadre de pensée est un non-sens. J’enjoins donc ceux qui voudraient appréhender les problématiques humaines avec une vue moins étroite que la philosophie, ou la logique, ou la mathématique, ou les sciences naturelles en général, disciplines connexes relevant de la même capacité humaine, de commencer par la systémique, puis d’y aller voir du côté des arts, de la pratique de terrain, enfin d’exprimer leur liberté intime. Car quand un gourou ou un quelconque des ces « sages » parait-il orientaux parle de liberté il ne peut pas parler de ce que celà signifie dans la culture occidentale, il en est incapable tout bonnement. Seuls ceux qui entendent ce qu’ils ont envie d’entendre peuvent croire celà. Quand à ceux qui diraient que tous les hommes sont semblables leur ignorance est navrante. Il semble d’ailleurs que nombreux ici abondent dans mon sens en dépassant Aristote par des références à des penseurs plus modernes. Ainsi la question reste entière. Que peut bien apporter un livre (de plus?) hypostasiant, divinisant Aristote?
Que la valeur marchande de cet opuscule soit indéniable puisque ressortant quelques vieilleries afin de rassurer les communs apeurés, à l’image du curé et de sa bible, il devrait générer quelques émoluments bienvenus pour Paul (Dieu fasse qu’il s’en vende des nuées afin d’assurer une vie convenable à l’hôte de ces lieux). Quand à sa valeur épistémologique? J’ai le plus grand mal, là. Pour conclure sur Aristote, inventeur de la méthode scientifique, il est risible de voir que l’application de cette même méthode à ses écrits est impossible puisque reproduire les paramètres de leur création est impossible. Ainsi donc les lire et porter aux nues leur contenu théorique à pour ainsi dire la même valeur que de porter aux nues le contenu philosophique d’un conte. Ce qui n’arrive jamais car il est explicite que le conte est un conte. Ce que se garde bien de dire Aristote en introduction de sa pensée. Mais la capacité de transcendance étant générale aux hommes, et l’idolatrie son corollaire inexpugnable, de tels errements perdurent. Dieu fasse que notre hôte ne cherche qu’un de beurre pour accompagner ses épinards en en refaisant ainsi du vieux avec du vieux.
Quand à ceux qui demandent? So what else ? Toi Scaringella, grand pourfendeur de pensée idolâtre et obsolète ? Je reponds simplement, rien. Ah, si, lisez Gagnepain. Lupasco c’est bien, Gagnepain c’est mieux, celq dit … sans idolatrie … Et puis, Ah oui, je vais biner mon potager avant l’averse.
@Paul
Vous mettez a la poubelle la Sémantique générale ?
@ Scaringella,
Merci de la précision que tu apportes à ceux qui n’avaient pas compris.
Je me demande comment réagiraient les anciens « maîtres » grecs, Aristote en tête, s’ils pouvaient voir notre monde moderne.
Imaginons par un de ces délires propre à la science fiction, une espèce de trou, de vortex spatio temporel où Aristote au lieu de mourir serait transporté en 2009.
Imaginons notre Aristote confronté à notre monde moderne. Serait-il réjouit de l’usage qu’on a fait de la raison ? Serait-il enthousiasmé ou au contraire horrifié par les développements de notre époque moderne ? Après une période d’adaptation à plus de 2000 ans d’évolution et de progrès, est-ce qu’il assumerait la paternité des bases de la raison, de la méthode rationnelle, ou au contraire est-ce qu’il se dépêcherait de se démarquer de tout cela en cherchant à démontrer où quand et comment il y a eu des erreurs et des égarements par rapport aux bases qu’il a donné ?
@ Rumbo,
Ce que Gagnepain a decouvert en premier concerne la façon dont des « opérateurs logiques » en nous nous permettent d’émerger au langage, de tous les jours aussi bien que scientifique; mais dont les dysfonctionnements permettent de repérer PREDICTIVEMENT les fautes structurales que les aphasiques feront (peut importe qu’ils nous parlent concrètement de la pluie du beau temps ou de la crise). C’est le modèle explicatif du langage lui-même qui est devenu falsifiable-vérifiable, bref un petit saut supplémentaire jusque dans l’idée même de scientificité!
@Scaringella
il faudrait prendre la peine de lire avant de biner… Quelle étroitesse d’esprit de dire que « Ces pensées lointaines sont inaccessibles à notre entendement. »
Pourquoi ??? il y aurait -il un gène oriental ? Dire ça c’est inepte.
C’est bien pour ça que je cite Needham ou Jullien car il y a des « passeurs », pour moi parmi les meilleurs penseurs sont les passeurs qui comme des traducteurs nous ouvrent à l’autre. Par ex. les philosophes arabes ont rempli (et pas seulement ça ) cette grande mission avec la pensée grecque au Moyen-äge… De plus s’intéresser à l’orient n’interdit pas de s’intéesser aux autres développements !
Je ne me sens pas transcendant! mais pas méprisant non plus. De toutes façons les gens qui parlent d »opuscules ‘avant même d’avoir lu son contenu – en supposant qu’il y aura hypostasie (quel terme mal choisi d’ailleurs) !!-ont une démarche de censure intellectuelle.
Bien triste dans un blog de cette qualité…
@ tolosolainen,
Vous connaissez aussi je suppose aussi les difficultés de la traduction donc celles du transfert d’une problèmatique d’une culture contemporaine à l’autre, ni plus ni moins analogue qu’entre celles du passé et du présent.
Personnellement à Jullien (François?) je préfère Anne Cheng véritablement à l’aise dans les deux cultures avant d’être univesitaire!
@ Tolosolainen,
j’oubliais de vous dire que dans le passage d’une culture à l’autre, le progrès ne vient pas tant de la transmission positive, que de l’exploration des malentendus des fautes et des erreurs qui elles provoquent des remaniements parfois complets du savoir
question d’un inculte en la matière d’Aristote (il m’a fallu faire une recherche pour comprendre « Stagirite » c’est dire… 🙁 ) :
par quels ouvrages commencer sans être couler pour mieux comprendre?
merci par avance
Je ne vois pas en quoi Aristote serait « responsable » de la catastrophe actuelle… certes, il y a un lien évident entre la domination du monde par les occidentaux et l’invention d’un certain genre de discours, qui n’existe pas ailleurs, et qu’on appelle « philosophie ». Il est vrai aussi, si l’on suit Heidegger, que si la deuxième guerre mondiale a bien débuté au XXe siècle, elle a en vérité commencé il y a plus de 2500 ans.
Certes, Leibniz ruine la distinction conceptuelle acte/puissance en découvrant le concept de « force ». Certes la physique de Newton met fin à la cosmologie d’Aristote, pourtant dotée d’une cohérence conceptuelle supérieure. Certes c’est au génie Pascal que l’on doit la découverte et la formalisation du « protocole expérimentale », dont est issue la quasi totalité du corpus scientifique actuel. Certes c’est avec Kant que le temps n’est plus une chose dérivée (par exemple la mesure du mouvement… et peut-être est-ce une erreur d’ailleurs) mais première (une condition a priori de toute expérience possible). Mais il reste que toute l’histoire de la pensée occidentale est écrite dans les marges de Platon-Socrate et d’Aristote. Que l’histoire du monde se réduise à l’histoire de la pensée occidentale est une autre question, ouverte de surcroit. Mais sans cette idée que la philosophie est un type de discours qu’on pourrait appelé « la connaissance rationnelle par concepts » et sans la découverte du principe de non-contradiction, nos vies ne seraient pas ce qu’elles sont aujourd’hui.
Que les catégories des systèmes de croyance malgache/vaudou/hindou/asiatiques soient bien supérieures à la misère/niaiserie du discours psy occidental (ce qui est mon point de vue), ne change rien à la grandeur d’Aristote et à l’effort de géant qui fut le sien dans une matière où les autres sont de facto hors-jeu, et qui a déterminé le cours du monde. Certains diraient que c’est avant tout à la langue grecque elle-même qu’il faut rendre hommage: je dis qu’il ne faut pas abuser non plus…
@ Eugène
« Vous connaissez aussi je suppose aussi les difficultés de la traduction donc celles du transfert d’une problèmatique d’une culture contemporaine à l’autre, ni plus ni moins analogue qu’entre celles du passé et du présent. »
C’est séduisant sur le papier, mais ce n’est pas le cas.
« Ceci étant dit, il existe bien une ou des dimensions où la projection de nos mesures (mais comment faire autrement, au moins dans un premier temps?) n’est plus opérationnelle. Les débats historiques entre E. Schrödinger, A. Einstein et N. Bohr, témoignent des difficultés d’interprétation de la mécanique quantique qui ne relève pas, ou pas comme cela, de la logique aristotélicienne. »
OK, mais rafraichissez moi la mémoire… quelles méthodes met-on en œuvre pour accéder aux faits qui commandent ces interprétations? N’est ce pas la méthode expérimentale qui permet d’accéder aux données? Fondamentalement on n’y accède pas en dehors du cadre défini par Aristote. J’ajoute que rien dans la physique quantique ne remet en question à mon sens le principe de non contradiction, contrairement à ce qui est affirmé à tort et à travers. Nous débattons toujours de ces questions en appliquant le principe de non contradiction entre nous. CQFD.
@ Pi
Octave Hamelin, Le système d’Aristote
Sir David Ross, Aristote
@Multi-carte : j’ai trouvé une petite erreur gigantesque dans le texte de Wikipedia que vous avez mi en lien :
« N’oublions pas que les théories scientifiques modernes se sont constituées précisément en prenant ‘conscience’ du caractère superflu d’un certain nombre de prémisses, comme le postulat des parallèles en géométrie. »
Je pense que l’auteur voulait dire arbitraire…
@Eugène,
Tout à fait d’accord avec vos remarques…
Cela dit pourquoi opposer, préférer tel à tel ; bien sûr il y des polémiques et ça peut être source de progrès (au sens intellectuel) et au fond j’aime bien François Jullien ET Anne Cheng…
Pour ce qui est des remaniements complets du savoir, il est inutile d’aller en Chine : Vernant, Veyne, Vidal-Naquet, Detienne ont apporté une vison totalement nouvelle des Grecs qui nous paraissaient si familiers à travers les lectures de la Renaissance et des siècles suivants… Pour moi cette avancée montre que l’effort d’une transmission même si il est extrêmement difficile et évidement source d’erreurs vaut la peine.
Une nouvelle de Borges est emblématique de cette discussion sur la traduction, la transmission et les échanges entre cultures avec malentendus mais finalement si nécessaires, la Quête d’Averroës (L’Aleph). Une discussion sur la traduction de comoedia et tragedia quand Avérroës traduit Aristote et bute sur ces concepts. Mais je ne paraphraserai pas : lisez la si ce n’est fait ! Immense plaisir garanti!
@Antoine : votre remarque me semble essentielle. Comme dit Paul, Oresme (que je ne connais pas) ne remet pas en cause le cadre aristotélicien ; je ne suis pas capable de vraiment juger sur la mécanique quantique mais je pense que l’on confond nos limites (logiques et autres) avec celle d’une théorie qui fait deviner la complexité réelle du monde.
@ multicarte
À mon avis, l’approche de Paul ne condamne pas la sémantique générale. J’ai été très surpris, Paul met en évidence l’inachèvement de la pensée d’Aristote à propos de « l’adhésion » au discours, et « l’adhésion » c’est en fait une forme de la « conciousness of abstracting » de Korsibsky, à mon avis, le traitement du paradoxe du menteur par Paul est parfaitement exemplaire de la « pensée non A ». Paul sera donc, après Aristote, le second Aristotélitien Non A.
cf. « La linguistique d’Aristote » sur le site de Paul.
PS. Par contre, je trouve que Paul remballe un peu vite la « proposition T » de Tarsky, je la trouve très bien cette proposition, car pour moi, elle marque très bien les niveaux d’abstraction et la cohérence nécessaire entre niveaux d’abstraction.
J’ai toujours pensé celà!
D’abord parce que les grecs font coïncider la raison et le langage (O logos) ;
Ensuite à cause de la richesse syntaxique de cette langue, qui dispose pour conjuguer ses verbes de :
– 3 voix (active, passive, et moyenne : les actions que l’on fait pour soi-même),
– 6 modes (indicatif, impératif, subjonctif, infinitif, participe à tous les temps, optatif : conditionnel et/ou souhait )
– 3 nombres (singulier, pluriel, et duel – quelque chose comme « toi-moi », ou « l’un l’autre »),
– 7 temps (présent, imparfait, parfait, plus-que-parfait, futur, futur du parfait, aoriste : l’action sans la notion de durée, ou bien une sorte de passé simple)
… sachant que la plupart des formes composées sont possibles : on peut former un infinitif aoriste moyen, ou un participe futur passif, etc…
… sans parler de la morphologie des mots avec un système très souple de préfixes et suffixes, les bénéfices de l’article PLUS ceux de la déclinaison…
Pouvoir dire toute la finesse d’une interminable phrase de Proust en quelques mots, dès l’âge de 4 ans, simplement en parlant sa langue, sûrement, ça aide! 😉
Et quelle perte de ne plus enseigner le grec : certains pensent que c’est encore plus ringard que la Princesse de Clèves! 🙁
A lire le « testament », de Henri Meschonnic : « Pour sortir du postmoderne ». Le propos de cet auteur, qui axe toute sa réflexion sur la poétique pourra sembler fort éloigné du propos de Paul Jorion sur Aristote. En réalité, il est à mes yeux tout à fait complémentaire, car cette réflexion, se revendique aussi du leg intellectuel d’Aristote et ce pour des « raisons » finalement très proches mêmes si leurs objets d’études respectifs ne sont pas les mêmes.
Il y montre notamment comment tout un courant de pensée, dominant à vrai dire, dans le sillage de Heidegger, confond modernisation, maîtrise technicienne du monde et modernité ; ce qui ouvre un boulevard à l’anti-occidentalisme, alors que la modernité est un universel que Baudelaire n’a fait qu’expliciter à la faveur d’une situation historique singulière.
En quelques mots, pour résumer Meschonnic, la modernité ce n’est pas le nouveau qui s’oppose à l’ancien, en art par exemple, mais ce qu’il appelle l’historicité radicale du langage que porte à son maximum le poème. Il n’y a donc pas d’abord la langue abstraite puis le langage (les énoncés effectifs datés historiquement et individuellement), mais seulement et toujours que du langage coextensif à toute réalité que nous puissions appréhender. Le langage ne fait pas que décrire le monde, il le constitue tout autant que le reste, il est donc à ce titre une puissance. Ainsi Meschonnic s’intéresse non pas au sens des mots — ce que fait l’herméneutique Heideggerienne — mais ce que font les mots, et j’ajouterais, pour s’attaquer aux « maux » du temps, celui que nous vivons. C’est ici que l’on voit toute l’originalité de la démarche de ce penseur, qui pense le sujet en l’inscrivant dans une dynamique physique.
Heidegger, dit Meschonnic, qui prétendait liquider la métaphysique occidentale, n’aura « réussi » qu’à essentialiser l’être, avec le résultat que l’on sait : la double négation de l’éthique et du politique, deux aspects de l’humaine condition que Aristote intégrait justement dans sa vision du monde. Métaphysique, analytique, éthique, politique, ne sont pas chez Aristote des « sciences » autonomes, les titres de traités épars, mais des domaines qui participent tous les uns des autres et ne se comprennent que les uns par les autres. (Aubenque, dans « La question de l’être chez Aristote » l’avait déjà montré.)
Le système Heidegger est rationnel mais il ne renvoie qu’à lui-même alors qu’Aristote nous ouvre toutes grandes les portes du monde, et mieux, des mondes, ceux des mondes possibles, toujours à construire où la subjectivité a toute sa place, non pas en tant qu’il y aurait du sujet philosophique ou psychologique, volontaire, mais en tant que qu’il y a du sujet de l’énonciation (le poétique ie tout le littéraire), philosophique, politique, du droit, d’un inconscient, scientifique, etc….
L’acte et la puissance, le nécessaire et le contingent ne sont des concepts dépassés que si on les considère sous un angle scientiste, purement instrumental. Si par contre on s’applique à montrer les implications réciproques entre poétique, politique, éthique et science, il retrouvent toute leur actualité. C’est en somme un rationalisme qui embrasse la diverse et plurielle humaine condition humaine pour établir sa continuité là où d’autres ne cessent d’opérer la colonisation d’un domaine par l’autre. Et c’est ici que l’on retrouve la dimension dialectique, également très présente dans la réflexion de Paul Jorion.
Concernant le transcendant versus l’immanent, je ne serais pas aussi catégorique que ceux qui disent que le philosophe et sinologue François Jullien oppose absolument l’immanence chinoise à la transcendance occidentale. Jullien précise – certes il n’y insiste pas souvent — qu’il y a bien une transcendance dans la pensée chinoise, mais que celle-ci, à la différence de l’ »occidentale » ne se situe pas sur un autre « plan » que celui du monde immanent qui caractérise la vision « chinoise » du monde.
Autrement dit au sein de l’immanence du monde selon la pensée chinoise, il y a aussi de la place pour la conception d’un absolu, une éthique, des valeurs donc, qui ne se justifient que d’elles mêmes. La pensée chinoise n’est pas une pensée du relativisme absolu ni du juste milieu qui serait le choix du moindre mal, au contraire, le « juste milieu » implique parfois une action toute radicale.
Mais la visée éthique ne procède pas d’une idéalisation ou modélisation du monde toujours renouvelés, car elle elle émane directement du monde changeant, régulé, d’une nature sans commencement ni fin(s), seule réalité concevable, encore que cette « réalité » physique ne soit pas une substance uniforme puisqu’elle peut s’appréhender en termes de concrétion plus ou moins affinée, sensible. Ce qui renvient à développer une dimensionnalité interne au monde immanent qui permet de faire entrer des considérations qualitatives. A l’inverse, Aristote introduit du dynamique, social, politique, poétique (pro-éthique !) dans un cosmos intangible et fini à l’aide de concepts métaphysiques dont il laisse à Platon le statut de réalité d’arrière-monde pour n’en garder que leur puissance heuristique et de transformation du monde.
@Pierre-Yves D.
Merci de vos riches commentaires. N’étant pas philiosophe, je n’avais pas (pour ce qui me concerne mon propre commentaire) la prétention de résumer une pensée aussi riche que celle de F. Jullien par l’opposition immanent/transcendant… Une simple ‘vulgarisation’ …
Mais je vois que finalement il y bien quelque chose à explorer de ce côté-là …
Au fait que penser du papier monnaie inventé en Chine, rentre t’il dans les analyses sur la monnaie??
Par ailleurs, contrairement à un commentaire quelque peu malveillant, je ne cherche je ne sais quelle vision orientale ‘pour nous sauver ‘ de notre européano-centrisme (qui est bien un défaut toutefois!). Simplement je crois que les éclairages venant de plusieurs directions enrichissent nos perceptions ou concepts sans pour autant signifier la recherche d’un impossible juste milieu, un blougui-boulga extrême-orient extrême-occident, :=).
Tiens, on est reparti pour un tour d’explications de texte du penseur qui fonde sa pensée sur celle du penseur qui fonde sa pensée sur celle du penseur… qui fonde sa pensée sur celle d’Aristote. Des pages et des pages de commentaires à base de « name droping » et d’analyses purement absconses (à rapprocher au taux de néologismes jargonneux proprement hallucinant dans certains posts).
Y-a-t-il un moment où vous arrêtez de chercher à comprendre et/où à expliquer la pensée des autres pour vous concentrer à façonner la votre propre?
(Ceci était mon petit coup de gueule du soir, façon Ingénu de Voltaire).
@ Marc Peltier [17:15]
Vous me donnez sérieusement envie d’apprendre le grec.
A 16 ou 18 ans (je ne sais plus, … Math Elem ou Math Spe) j’était fan de ce que Proust arrivait à écrire avec tant de Beauté … un buisson d’aubépines comparé aux chapelles d’une cathédrale sur une page entière … Il était, lui et son oeuvre, au programme de l’examen avec Paul Valéry.
Ne croyez pas que je sois hors sujet. En effet, dans mon « univers-à-marqueurs-des-psychologies-philosophies », aucun membre du leuco-trio (NuageBlanc, Auguste, LeClownBlanc) ne semble très adapté pour tenir ce propos.
Heimanu, prénom tahitien, signifie « Couronne d’oiseaux s’envolant en tournoyant dans le ciel »
N’est-ce pas étonnamment compact également ? De nombreux mots tahitiens sont ça.
Vous avez touché un point sensible.
Je cherche une réponse adéquate à votre propos, mais je ne la trouve pas.
Néanmoins, pensez-vous que seuls ceux qui auraient une pensée propre auraient le droit de s’exprimer ?
Parler des autres, n’est-ce pas aussi d’une certain façon parler de soi ?
@dissonance
Dans ma poètique personnelle, les bouquins de Paul s’élèvent en rafale, comme si « les cigognes d’Aquilée » s’en repartaient.
C’est le moment, allez-y fondez un monde!
@PYD
« Néanmoins, pensez-vous que seuls ceux qui auraient une pensée propre auraient le droit de s’exprimer ? »
Non, bien entendu. Au contraire: Je n’attends que de voir les gens s’exprimer, au lieu de quoi ils expriment (pas toujours au mieux d’ailleurs, mais c’est encore autre chose) la pensée d’autres qu’eux-même. Tout la nuance de la phrase précédente résidant dans ce minuscule pronom formé d’une lettre et d’une apostrophe « s’exprimer ». Magie de la langue française…
« Parler des autres, n’est-ce pas aussi d’une certain façon parler de soi ? »
Oui, mais sous les conditions suivantes: Être certain d’avoir capté l’essence du discours d’autrui (ce qui me paraît à titre personnel être une utopie quelque peut présomptueuse), et par ailleurs être certain que ce discours se calque sans restriction à sa propre pensée (ce qui n’est sans doute pas moins illusoire).
Une anecdote un peu floue me revient en mémoire à ce sujet (pardon d’avance pour l’imprécision qui en découle):
Un auteur français était étudié dans une classe. L’enfant de l’auteur en question était élève de cette classe. Un devoir est soumis aux élèves sur l’un des textes de l’auteur, son enfant demande tout naturellement de l’aide à son père. A la correction des copies, l’enfant est mal noté. Selon le professeur, il n’a pas saisi la pensée de l’auteur…
« Néanmoins, pensez-vous que seuls ceux qui auraient une pensée propre auraient le droit de s’exprimer ? »
Houlala, je crains que même Aristote n’eut été contraint au silence. 🙂
Concernant la pensée chinoise, je vous conseille à tous de vous y plonger directement dans le Yi-king. C’est LE livre.
@Dissonance
Soyons humbles, il y a très très peu de pensée réellement autonome. La plupart des concepts se forment par trituration et rapprochements originaux d’idées déjà formulées ailleurs, qu’il est donc utile d’avoir éclairé et commenté, ne serait-ce que par souci de lucidité à l’égard de sa propre pensée.
Aristote lui-même n’émerge pas de rien, comme le fait remarquer cet autre Moi, là, Lui 😉
Cependant, vous avez aussi raison. Seul existe vraiment le poète, « celui qui fait », en grec.
The High Medieval criticisms of Aristotle were aimed primarily, of course, at his physical science of motion, not his cosmology or his method of explanation. Little or nothing was made of his biology, which is the real crux of his empirical investigations, even though he saddled himself with the concepts of the essential nature of species, which he then transferred to the world of physical entities and processes.
His syllogistic method of scientific explanation (episteme) found its analogue in the covering-law schema of the logical empiricists and even some who did not hew to this philosophy of science. Both the Aristotelian and Covering-Law schema are inadequate. This puts paid to any wholesale, prideful rejection of Aristotle by those from Galileo (who I really think just liked to be argumentative to establish his own greatness) to any strong logical empiricist view (which recent history of the philosophy of science has shown to be false, despite Kuhn’s portrait of it, and it has also shown the great variety of logical and empiricist views amongst the LP/LE community).
The Newtonian Stance rejects formal and final causes, as well as Aristotle’s physics and cosmology. But the idea of constraints as causes in complexity science resurrects formal cause with the idea that from the bottom-up emergence of global forms constraints arise with causal efficacy over the components that originally gave rise to these global phenomena. And of course, final causes are of the essence in considering much of human action.
The Newtonian Stance also ignored any systematic investigation of many areas of human individual and social activity that Aristotle considered under his explanatory ideas for law, ethics, economics and politics, viz phronesis, or practical wisdom. In contrast to the metaphysics and epistemology of Plato, we can indeed learn much from Aristotle in his attitude to the theoretical and applied aspects of the biological and social worlds.
I always begin my undergraduate teaching of the evolution of the concepts of cause and methods of explanation with Aristotle, and move forward through Newtonian to Complexian views.
@Marc Peltier
Nous sommes d’accord. Je forçais le trait, à dessein.
La lecture de ce billet et de ses commentaires provoque chez moi un questionnement qui s’est déjà manifesté par le passé, dans mon parcours scolaire notamment: Je constate que des idées que je pensais miennes ont déjà été formulées bien longtemps avant moi. Ne suis-je donc que le produit de mon éducation, ou le fait que ma pensée rejoigne celle d’autrui permet-elle de révéler la qualité supérieure de la chose pensée? En d’autres termes, le consensus permet-il de mettre en évidence une vérité? Est-il suffisant? Nécessaire?
J’ai la faiblesse de penser que non, eu égard à cette « contamination culturelle » incontournable (d’où la référence à Voltaire). Les évènements économiques actuels me semblent constituer un plaidoyer suffisant en la matière: Une idéologie s’est faite dominante. Ses résultats pratiques amènent des perspectives pour le moins désastreuses. Aussi, si l’on a pu se tromper à ce point collectivement, il est nécessaire d’envisager le pendant, à savoir qu’on puisse avoir raison contre tous, à moins de sombrer dans le désespoir le plus total.
Ce raisonnement est lourd d’implications au regard du processus démocratique par exemple, qu’on doit, au moins dans sa structure actuelle, re-qualifier en dictature de la majorité. Il pose également problème vis-à-vis d’un thème cher à Paul, à savoir le « cerveau collectif ». En effet, lorsque ce dernier devient dissonant (au sens que donnent Festinger et Carlsmith http://psychosociale67.canalblog.com/archives/2005/01/07/249251.html), quel processus peut permettre de déterminer où se situe la vérité? Aristote envisage-t-il ces problématiques dans son œuvre?
(Pour la petite histoire, je ne connaissais absolument rien en psychologie sociale lorsque j’ai choisi mon pseudo – je n’en connais sans doute pas beaucoup plus aujourd’hui d’ailleurs. Il se trouve pourtant que j’avais pleinement conscience du phénomène que Festinger et Carlsmith nomment dissonance cognitive… Les grands esprits se rencontrent-ils, finalement? 🙂 )
@ antoine,
Mais bien sûr que si c’est le cas puisque çà l’est déjà d’un individu à l’autre au sein d’une même culture et parlant ‘a priori’ la même langue, française par exemple.
@Eugène et antoine:
la thèse soutenue par Eugène me parle, elle s’exprime d’un mot: la compréhension. Ce n’est pas seulement une idée sur le papier que de dire qu’il puisse arriver qu’on ne comprenne pas son interlocuteur, et ce indépendamment de la problématique de la langue. Soit parce que l’un s’exprime maladroitement, soit parce que l’autre ne soit pas capable de hisser son raisonnement au niveau d’exigence requis, soit enfin parce que les deux protagonistes de la discussion ne fondent pas leur mode de pensée respectifs sur un référentiel théorique commun.
@Marc Peltier dit :
23 mai 2009 à 17:15
Pardonnez la mise en page du commentaire précédent.
La citation de Marc Peltier s’arrête à « blockquote ».
Je pense que le smiley a fait vriller mon code de citation !
@ John Bragin
« Little or nothing was made of his biology, which is the real crux of his empirical investigations »
C’est vrai ! Quelles pistes par exemple, selon vous, la Biologie d’Aristote pourrait-elle éclairer dans notre perception de la vérité et de la réalité ?
Comme il a été question de la pensée chinoise, je ne résiste pas au plaisir de vous offrir un instant de détente dominical. Il est question d’une classification des animaux, rapportée par Foucault qui cite Borges qui prétend citer une encyclopédie chinoise, « L’empire céleste du savoir éclairé » :
Classification des animaux qui se divisent en…
a) appartenant à l’Empereur,
b) embaumés,
c) apprivoisés,
d) cochons de lait,
e) sirènes,
f) fabuleux,
g) chiens en liberté,
h) inclus dans la présente classification,
i) qui s’agitent comme des fous,
j) innombrables,
k) dessinés avec un pinceau très fin en poils de chameau,
l) et cætera,
m) qui viennent de casser la cruche,
n) qui de loin semblent des mouches,
o) chinchards.
p) à turbines
@Marc Peltier
Je crois effectivement qu’Aristote n’aurait rien à redire sur la rigueur de cette classification !
Alfred Jarry non plus d’ailleurs 🙂
@ Moi 23 mai à 21:30
« »Concernant la pensée chinoise, je vous conseille à tous de vous y plonger directement dans le Yi-king. C’est LE livre. » »
Tout à fait!
Des amis très avisés m’avaient fait découvrir, durant les années 70, Stéphane Lupasco en même temps qu’ils m’avaient transmis et traduit avec une pégagogie à laquelle je dois beaucoup, les questionnemnts soulevés par la mécanique quantique objet des débats historiques des chercheurs scientifiques non moins historique. Presqu’en même temps, un petit peu plus tard, je découvrai le passionnant livre chinois des Transfomations le Y KiING essence de la pensée chinoise. Le Y KING et ses 64 hexagrammes, tient sur une seule feuille, et son « épaisseur » est la sommes des réflexions des philosophes chinois faites au cours des millénaires et inspirées par le Y KING. Le Y KING intouché sans doute depuis peut-être 4 à 5 millénaires…
Sauf erreur de ma part, jamais, que je sache, Lupasco n’a cité le Y KING ou fait allusion à la pensée chinoise. Or, en étudiant le Y King (mais ça peut prendre toute une vie!), j’eu le « choc » que la logique que Lupasco met en éxergue tout le long de ses investigations est un équivalent, ou un reflet du Y KING. Je dirais par l’image qui suit, que la logique trouvée par Lupasco a les mêmes « gènes » que le Y KING. Dit simplement et rapidement, l’ « intuition traditionnelle » chinoise contiendrait une réalité (ou la réalité) correspondante à la mécanique quantique. À mon très humble avis le
– lien – occidental avec le Y KING, ce sont, à ce jour, les découvertes de Lupasco. Il est possible, en toute modestie, qu’on n’en soupçonne pas encore la portée.
« Le déterminisme dans l’expérience donne seul la loi qui est absolue, et celui qui connaît la loi véritable n’est plus libre de prévoir le phénomène autrement. »
Claude Bernard : Introduction à la médecine expérimentale (1865)
autres extraits
http://pagesperso-orange.fr/scmsa/claude_bernard.htm
[…]
La médecine, en tant que science, a nécessairement des lois qui sont précises et déterminées, qui, comme celles de toutes les sciences, dérivent du critérium expérimental. C’est au développement de ces idées que sera spécialement consacré mon ouvrage, et je l’ai intitulé Principes de médecine expérimentale, pour indiquer que ma pensée est simplement d’appliquer à la médecine les principes de la méthode expérimentale, afin qu’au lieu de rester science conjecturale fondée sur la statistique, elle puisse devenir une science exacte fondée sur le déterminisme expérimental. En effet, une science conjecturale peut reposer sur l’indéterminé ; mais une science expérimentale n’admet que des phénomènes déterminés ou déterminables.
Le déterminisme dans l’expérience donne seul la loi qui est absolue, et celui qui connaît la loi véritable n’est plus libre de prévoir le phénomène autrement. L’indéterminisme dans la statistique laisse à la pensée une certaine liberté limitée par les nombres eux-mêmes, et c’est dans ce sens que les philosophes ont pu dire que la liberté commence où le déterminisme finit.
Mais quand l’indéterminisme augmente, la statistique ne peut plus le saisir et l’enfermer dans une limite de variations. On sort alors de la science, car c’est le hasard ou une cause occulte quelconque qu’on est obligé d’invoquer pour régir les phénomènes. Certainement nous n’arriverons jamais au déterminisme absolu de toute chose ; l’homme ne pourrait plus exister. Il y aura donc toujours de l’indéterminisme dans toutes les sciences, et dans la médecine plus que dans toute autre. Mais la conquête intellectuelle de l’homme consiste à faire diminuer et à refouler l’indéterminisme à mesure qu’à l’aide de la méthode expérimentale il gagne du terrain sur le déterminisme. Cela seul doit satisfaire son ambition, car c’est par cela qu’il étend et qu’il étendra de plus en plus sa puissance sur la nature.
[…]
Les bibliothèques pourraient encore être considérées comme faisant partie du laboratoire du savant et du médecin expérimentateur. Mais c’est à la condition qu’il lise, pour connaître et contrôler sur la nature, les observations, les expériences ou les théories de ses devanciers, et non pour trouver dans les livres des opinions toutes faites qui le dispenseront de travailler et de chercher à pousser plus loin l’investigation des phénomènes naturels. L’érudition mal comprise a été et est encore un des plus grands obstacles à l’avancement des sciences expérimentales. C’est cette fausse érudition qui, mettant l’autorité des hommes à la place des faits, arrêta la science aux idées de Galien pendant plusieurs siècles sans que personne osât y toucher, et cette superstition scientifique était telle, que Mundini et Vésale, qui vinrent les premiers contredire Galien en confrontant ses opinions avec leurs dissections sur nature, furent considérés comme des novateurs et comme de vrais révolutionnaires.
[…]
C’est pourtant toujours ainsi que l’érudition scientifique devrait se pratiquer. Il faudrait toujours l’accompagner de recherches critiques faites sur la nature, destinées à contrôler les faits dont on parle et à juger les opinions qu’on discute. De cette manière, la science, en avançant, se simplifierait en s’épurant par une bonne critique expérimentale, au lieu de s’encombrer par l’exhumation et l’accumulation de faits et d’opinions innombrables parmi lesquelles il n’est bientôt plus possible de distinguer le vrai du faux. Il serait hors de propos de m’étendre ici sur les erreurs et sur la fausse direction de la plupart de ces études de littérature médicale que l’on qualifie d’études historiques ou philosophiques de la médecine. Peut-être aurai-je occasion de m’expliquer ailleurs sur ce sujet ; pour le moment, je me bornerai à dire que, suivant moi, toutes ces erreurs ont leur origine dans une confusion perpétuelle que l’on fait entre les productions littéraires ou artistiques et les productions de la science, entre la critique d’art etla critique scientifique, entre l’histoire de la science et l’histoire des hommes.
Les productions littéraires et artistiques ne vieillissent jamais, en ce sens qu’elles sont des expressions de sentiments immuables comme la nature humaine. On peut ajouter que les idées philosophiques représentent des aspirations de l’esprit humain qui sont également de tous les temps. Il y a donc là grand intérêt à rechercher ce que les anciens nous ont laissé, parce que sous ce rapport ils peuvent encore nous servir de modèle. Mais la science, qui représente ce que l’homme a appris, est essentiellement mobile dans son expression ; elle varie et se perfectionne à mesure que les connaissances acquises augmentent. La science du présent est donc nécessairement au-dessus de celle du passé, et il n’y a aucune espèce de raison d’aller chercher un accroissement de la science moderne dans les connaissances des anciens. Leurs théories, nécessairement fausses puisqu’elles ne renferment pas les faits découverts depuis, ne sauraient avoir aucun profit réel pour les sciences actuelles. Toute science expérimentale ne peut donc faire de progrès qu’en avançant et en poursuivant son œuvre dans l’avenir. Ce serait absurde de croire qu’on doit aller la chercher dans l’étude des livres que nous a légués le passé. On ne peut trouver là que l’histoire de l’esprit humain, ce qui est tout autre chose.
Il faut sans doute connaître ce qu’on appelle la littérature scientifique et savoir ce qui a été fait par les devanciers. Mais la critique scientifique, faite littérairement, ne saurait avoir aucune utilité pour la science. En effet, si, pour juger une œuvre littéraire ou artistique, il n’est pas nécessaire d’être soi-même poète ou artiste, il n’en est pas de même pour les sciences expérimentales. On ne saurait juger un mémoire de chimie sans être chimiste, ni un mémoire de physiologie si l’on n’est pas physiologiste. S’il s’agit de décider entre deux opinions scientifiques différentes, il ne suffit pas d’être bon philologue ou bon traducteur, il faut surtout être profondément versé dans la science technique, il faut même être maître dans cette science et être capable d’expérimenter par soi-même et de faire mieux que ceux dont on discute les opinions.
[…]
Je n’admets donc pas qu’il puisse y avoir dans les sciences des hommes qui fassent leur spécialité de la critique, comme il y en a dans les lettres et dans les arts. La critique dans chaque science, pour être vraiment utile, doit être faite par les savants eux-mêmes et par les maîtres les plus éminents.
Le point de vue expérimental est le couronnement d’une science achevée, car il ne faut pas s’y tromper, la science vraie n’existe que lorsque l’homme est arrivé à prévoir exactement les phénomènes de la nature et à les maîtriser. La constatation et le classement des corps ou des phénomènes naturels ne constituent point la science complète. La vraie science agit et explique son action ou sa puissance : c’est là son caractère, c’est là son but.
[…]
Ce serait une grande illusion du médecin que de croire qu’il connaît les maladies pour leur avoir donné un nom, pour les avoir classées et décrites, de même que ce serait une illusion du zoologiste et du botaniste que de croire qu’il connaissent les animaux et les végétaux parce qu’ils les ont dénommés, catalogués, disséqués et renfermés dans un musée après les avoir empaillés, préparés ou desséchés. Un médecin ne connaîtra les maladies que lorsqu’il pourra agir rationnellement et expérimentalement sur elles ; de même le zoologiste ne connaîtra les animaux que lorsqu’il expliquera et réglera les phénomènes de la vie. En résumé, il ne faut pas devenir les dupes de nos propres œuvres ; on ne saurait donner aucune valeur absolue aux classifications scientifiques, ni dans les livres ni dans les académies.
Ceux qui sortent des cadres tracés sont les novateurs, et ceux qui y persistent aveuglément s’opposent aux progrès scientifiques. L’évolution même des connaissances humaines veut que les sciences expérimentales soient le but, et cette évolution exige que les sciences de classification qui les précèdent perdent de leur importance à mesure que les sciences expérimentales se développent.
L’esprit de l’homme suit une marche logique et nécessaire dans la recherche de la vérité scientifique. Il observe des faits, les rapproche, en déduit des conséquences qu’il contrôle par l’expérience pour s’élever à des propositions ou à des vérités de plus en plus générales. Il faut sans doute que dans ce travail successif le savant connaisse ce qu’ont fait ses devanciers et en tienne compte. Mais il faut qu’il sache bien que ce ne sont là que des points d’appui pour aller ensuite plus loin, et que toutes les vérités scientifiques nouvelles ne se trouvent pas dans l’étude du passé, mais bien dans des études nouvelles faites sur la nature, c’est-à-dire dans les laboratoires. La littérature scientifique utile est donc surtout la littérature scientifique des travaux modernes afin d’être au courant du progrès scientifique, et encore ne doit-elle pas être poussée trop loin, car elle dessèche l’esprit, étouffe l’invention et l’originalité scientifique. Mais quelle utilité pourrions-nous retirer de l’exhumation de théories vermoulues ou d’observations faites en l’absence de moyens d’investigation convenables ? Sans doute cela peut être intéressant pour connaître les erreurs par lesquelles passe l’esprit humain dans son évolution, mais cela est du temps perdu pour la science proprement dite. Je pense qu’il importe beaucoup de diriger de bonne heure l’esprit des élèves vers la science active expérimentale, en leur faisant comprendre qu’elle se développe dans les laboratoires, au lieu de laisser croire qu’elle réside dans les livres et dans l’interprétation des écrits des anciens. Nous savons par l’histoire la stérilité de cette voie scolastique, et les sciences n’ont pris leur essor que lorsqu’on a substitué à l’autorité des livres l’autorité des faits précisés dans la nature à l’aide de moyens d’expérimentation de plus en plus perfectionnés ; le plus grand mérite de Bacon est d’avoir proclamé bien haut cette vérité. Je considère, quant à moi, que reporter aujourd’hui la médecine vers ces commentaires attardés et vieillis de l’antiquité, c’est rétrograder et retourner vers la scolastique, tandis que la diriger vers les laboratoires et vers l’étude analytique expérimentale des maladies, c’est marcher dans la voie du véritable progrès, c’est-à-dire vers la fondation d’une science médicale expérimentale. C’est chez moi une conviction profonde que je chercherai toujours à faire prévaloir, soit par mon enseignement, soit par mes travaux.
[…]
Dans ces recherches je me suis conduit d’après les principes de la méthode expérimentale que nous avons établis, c’est-à-dire qu’en présence d’un fait nouveau bien constaté et en contradiction avec une théorie, au lieu de garder la théorie et d’abandonner le fait, j’ai gardé le fait que j’ai étudié, et je me suis hâté de laisser la théorie, me conformant à ce précepte que nous avons indiqué dans le deuxième chapitre : Quand le fait qu’on rencontre est en opposition avec une théorie régnante, il faut accepter le fait et abandonner la théorie, lors même que celle-ci, soutenue par de grands noms, est généralement adoptée.
@ Dissonnance,
Merci pour ce petit rappel et les extraits de ce texte…
Exemple de « tiers exclu ».
Il ne saurait y avoir de relation de dépendance qu’entre des choses qui existent. Dés lors, si une chose est posée en relation de dépendance à une autre, comment peut-elle être mise en relation avant que son existence ait été établie ? Il faut donc d’abord établir son existence.
Cette chose est-elle au contraire mise en relation de dépendance après que son existence a été établie ? Toute relation de dépendance est alors absurde pour elle car si son existence a été établie c’est que cette existence n’est pas dépendante d’autre chose.
Soit une chose est ceci (ici, en relation de dépendance) soit cette chose est cela (ici avec une existence établie), mais pas les deux à la fois. Soit une chose a une existence établie (et il n’est pas nécessaire qu’elle soit dépendante d’autre chose), soit une chose est en relation de dépendance (et il n’est pas nécessaire d’établir son existence).
En simplifiant:
Ce qui existe n’est pas dépendant d’autre chose (d’où: existe-il quelque chose ?). Ce qui est dépendant n’a pas besoin d’exister.