L’actualité de la crise : Un avenir pas trop radieux, par François Leclerc

Billet invité.

UN AVENIR PAS TROP RADIEUX

Petit à petit, les contours de ce qui nous attend se dessinent, à condition qu’une rechute de la crise financière n’intervienne pas. En mettant à profit pour la décrire, non pas telle ou telle prospective financière ou économique, mais les prévisions de deux organisations internationales qui font autorité dans leurs domaines respectifs : l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et la Food and Agriculture Organisation (FAO). Selon la première, le nombre de chômeurs dans le monde devrait mondialement effectuer un bond en 2009, augmentant dans une fourchette allant de 39 à 59 millions, par rapport à 2007. Selon la seconde, le cap d’un milliard de personnes en état de sous-alimentation sera franchi cette même année. Cela représente, précise-t-elle, un sixième de l’humanité et l’origine de cette situation alarmante est à rechercher non pas dans une baisse de la production agricole, mais dans la hausse des prix de ceux-ci et dans l’accroissement de la pauvreté.

Dans un cas, ce sont les pays développés et émergents qui sont les plus touchés par le fléau du chômage (les autres sont largement dans l’économie informelle), et dans l’autre les pays en voie de développement, par celui de la faim et de la malnutrition. Voilà le premier bilan qui peut être tiré des errements d’un capitalisme financier qui, entre autres promesses, se présentait comme le fer de lance indiscutable du développement économique et du recul de la misère.

Deux autres constatations peuvent être également faites, sans hésitation. Que la reprise économique, quand elle interviendra, sera faible et le rétablissement long et socialement douloureux. Et que, selon une sorte de système de vases communiquant, la dette publique continuera d’enfler dans de gigantesques proportions, au fur et à mesure que la non moins énorme bulle de la dette privée se dégonflera. Le tout au nom de la protection des capitaux privés.

Ce véritable champ de dévastation ne serait toutefois qu’incomplètement parcouru, s’il n’était pas fait mention de deux incertitudes majeures qui demeurent. Celle concernant la maîtrise impossible des déficits publics et les difficultés de leur financement (par l’impôt ? par l’emprunt ?) ; ainsi que celle d’une inflation résultant d’une création monétaire trop abondante, qui pourrait aider à régler le problème précédant mais risquerait en contrepartie de plonger le monde dans d’autres affres. Avec, à la clé et dans les deux cas, l’ouverture d’un nouveau front de crise, cette fois-ci dans le domaine monétaire. En raison de tensions extrêmes au sein de la zone euro, et d’une inévitable dévalorisation accentuée du dollar. Sans parler de la situation des autres devises et des méfaits du « carry trade » que ces situations favoriseront. Ni, sur un autre mais proche terrain, de la reprise de la spéculation à la hausse sur les matières premières.

Comment éviter à la fois l’accroissement des déficits (en lançant une introuvable « stratégie de réduction des déficits », comme vient de le proclamer le Conseil européen de Bruxelles de jeudi et vendredi), et le danger d’une future inflation galopante résultant d’une création monétaire incontrôlable ? C’est ainsi que peut désormais s’énoncer le dilemme dans lequel nous nous trouvons. En réalité, un tel choix entre la peste et le choléra étant refusé, ce sont ces deux calamitées que nous risquons de subir simultanément. En effet, le Pacte de stabilité européen (la limite des 3% de déficit pour le PIB) a d’ores et déjà de facto volé en éclats, si l’on considère les prévisions annoncées de déficits des plus grands pays. Vingt pays de l’Union européenne devraient être, à la fin de l’année, sous le coup d’une procédure pour déficit excessif. Et, quant au danger de l’inflation, même si la création monétaire de la BCE demeurait comme elle l’est aujourd’hui à un niveau très modeste, l’engagement sans mesure de la Fed et de la BoE sur ce terrain répand dans le monde entier son venin potentiel. L’inflation ne connaît pas de frontières dans une économie globalisée, et l’on verra si les assurances données à propos d’un retrait efficace des liquidités du marché se révéleront justifiées, quand le moment sera déclaré venu. Car s’il est en plus un sujet qui divise dans les hautes sphères, c’est bien de savoir quand il faudra l’effectuer. Trop tôt, c’est replonger dans la crise, trop tard, c’est s’engager dans une spirale inflationniste. Difficile à trancher, surtout que les calendriers peuvent ne pas coïncider entre les Etats-Unis et l’Europe.

Le soleil se lève donc timidement sur ce paysage, moment qui est choisi pour dévoiler le cadre, encore très général, des mesures de supervision et de régulation financières de part et autre de l’Atlantique. Une harmonisation sera certainement nécessaire à leur propos, plus tard, quand elles seront établies dans leur détail. Mais elles sont déjà en phase sur l’essentiel, car elles poursuivent le même objectif limité : éviter de se refaire la même frayeur qu’en fin d’année dernière.

Il s’agit de mettre prioritairement en place des instruments d’observation, afin d’anticiper une nouvelle crise majeure et systémique. Car pour le reste des mesures, tout le monde affichant son accord avec les grands principes, notamment ceux que Barack Obama vient d’énoncer, la bataille continue de faire rage et le chemin est encore long à parcourir avant que les décisions finales ne soient prises. Le diable est dans les détails est une des expressions favorites des financiers. Aux Etats-Unis, les sénateurs sont entrés dans la danse, ce sera bientôt le tour les représentants, et l’on sait combien les deux chambres sont les lieux favoris du pouvoir des lobbies de « l’industrie financière ». Le jeu va consister à annoncer des mesures crédibles aux yeux de l’opinion publique sans sacrifier l’essentiel, ce dynamisme financier débridé sans lequel le monde s’arrêterait de tourner. L’exprimant clairement, George W. Bush ne vient-il pas de déclarer, à l’occasion d’une sortie publique et de premières critiques à l’encontre de Barack Obama : « je sais que c’est le secteur privé qui va tirer le pays hors de la situation économique dans laquelle nous sommes » ?

Si l’on veut mesurer tout le poids qui est mis dans la balance afin de proscrire d’inconvenantes mesures de régulation, il suffit d’observer avec quelle vigueur le gouvernement de sa Majesté britannique, se faisant l’interprète direct de la City, a obtenu sans coup férir que soit signé un armistice européen à propos du dispositif envisagé par la Commission de Bruxelles, qui risquait de l’incommoder. Trois nouvelles autorités paneuropéennes seront bien chargées, courant 2010, de la surveillance des banques, des assureurs et des marchés financiers. Mais le projet de résolution du Conseil européen précise désormais que « … les décisions adoptées par ces autorités ne devraient empiéter en rien sur les compétences budgétaires des Etats membres ». On est donc revenu au point de départ, les organismes européens de supervision n’auront toujours aucun pouvoir, comme c’était le cas avant la crise. La City peut respirer. José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne, avait bien annoncé mardi dernier que la réforme de la supervision financière européenne rencontrait « d’énormes résistances ». Elles n’ont plus lieu d’être désormais.

L’administration Obama a, de son côté, consacré ces derniers temps beaucoup d’énergie à la mise au point de son dispositif de supervision financière, la face connue du monde encore caché de la nouvelle réglementation, qui n’est encore annoncée que dans ses grandes lignes (dans un document qui fait tout de même quatre-vingt cinq pages). Voici l’analyse de Nicolas Cori, de Libération, qui résumait hier 18 juin dans son blog l’essentiel de ce qui peut en être dit.

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  2. @ilicitano C’est cela, aller travailler pour gagner de l’argent pour acheter(à crédit) une maison dans la campagne et une voiture…

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