Billet invité.
L’INSTABILITE DES MARCHES EST-ELLE UNE FATALITE ?
J’ai lu avec intérêt le commentaire de Marianne à propos du passage de Paul Jorion sur France Inter aux côtés de Jacques Attali. Je trouve formidable que deux personnes qui ont leur crédibilité disent clairement que la crise actuelle n’est pas vraiment une crise du libéralisme et de l’économie de marché qui, quand elle est « fluide », reste suivant la formule célèbre, le moins mauvais des systèmes économiques, mais résulte essentiellement d’une dérive sans précédent du système financier qui, au lieu de servir l’économie réelle, la pille et la rançonne sans vergogne, poussant même l’indécence jusqu’à se verser des bonus sur les sommes mendiées auprès des contribuables pour compenser ses folies.
Elle est aussi la conséquence presque mécanique, d’une part d’une confiance naïve et perverse dans l’efficacité de la soi-disant main magique du marché, qui conduit forcement au monopole ou, au mieux, aux oligopoles visqueux de nos cours d’économie. La croyance « corolaire » des politiques dans le fait que la maximisation du profit de chaque entreprise peut servir l’intérêt collectif, et les privatisations/confiscations de services jadis publics qu’elle a entrainées, n’ont bien sûr rien arrangé. L’optimisation des gains individuels n’est pas incompatible avec l’intérêt général, mais ce dernier ne peut être servi que lorsqu’il existe des règles qui limitent la liberté d’action des acteurs de base lorsque la poursuite de leur intérêt personnel dessert l’intérêt général. Les organismes biologiques fonctionnent de cette façon et peuvent gérer l’incroyable complexité qu’est un être vivant sans y consacrer trop de leurs précieuses ressources. Il devrait être évident pour des gens de bon sens et de bonne volonté que quand on décide que la règle d’or globale du système devient de fait la maximisation du profit financier « local », le système ne peut que finir par imploser dans une terrible foire d’empoigne.
Concernant la spéculation, il serait sans doute opportun d’essayer de mieux comprendre le lien entre « l’instantanéité » croissante des marchés que permettent les NTIC, et l’instabilité structurelle des cours. Il est en effet fort probable que la création du village financier mondial, qui travaille de plus en plus en instantané 24/24 et 7/7, constitue la source principale de l’hyperinstabilité des marchés. Les opérateurs dominants, les financiers contrepartistes, – tout comme la masse des petits joueurs/investisseurs qui spéculent sur Internet –, étant rémunérés sur les écarts de cours et/ou le nombre de transactions, ont une tendance naturelle à multiplier les transactions dès que les cours bougent. Les réactions étant instantanées, les dérives sont très rapides, et ne peuvent que s’amplifier, chacun espérant gagner toujours plus, – ou compenser ses pertes –, quand les écarts s’amplifient. Si les contrepartistes étaient des « assureurs », – si possibles paritaires, comme l’étaient jadis les caisses de stabilisation de certains produits tropicaux –, et rémunérés quand le prix est stable, cette instantanéité des marchés pourrait à l’inverse être mise à profit pour ramener très vite les prix au point d’équilibre, comme le font les commandes électroniques des avions modernes instables « by design » tels que le Rafale.
Le débat n’est pas anodin: le monde réel a besoin de stabilité et de visibilité pour opérer à son efficacité maximum, alors que le monde financier a besoin de mouvement brownien pour bien vivre. La solution ne peut donc être que politique, et si possible globale, il faut le dire. Mais sans se faire trop d’illusions sur ce point : la fraude et le parasitisme font partie de nos modes de fonctionnement, et ont souvent, d’ailleurs, un rôle de régulation socialement utile.
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