L’actualité de la crise: banques zombies et trading mutant, par François Leclerc

Billet invité.

BANQUES ZOMBIES ET TRADING MUTANT

Une course de vitesse est engagée entre les grandes places boursières du monde entier ; c’est à celle qui aura le système informatique de traitement des ordres le plus rapide. Leurs performances sont désormais comparées en utilisant les millisecondes (millièmes de secondes), alors que la norme était de l’ordre des 2 à 3 secondes il y a encore à peine deux ans. Cette sévère compétition ne se déroule pas seulement entre les Bourses elles-mêmes, mais également entre celles-ci et tous ces nouveaux venus sur le marché que sont les plate-formes alternatives de négociations ultra-rapides, souvent créées et soutenues par les mégabanques elles-mêmes. En un temps lui aussi record, on a assisté à la montée en puissance du trading algorithmique (appelé High Frequency Trading), aux Etats-Unis en premier lieu, puis en Europe. L’Asie n’est encore que peu touchée, mais elle se prépare à suivre.

Les chiffres les plus divers circulent, mais il est permis de penser que ce trading à très haute vitesse représente 60% des volumes échangés sur le marché américain et 30 % sur le marché européen. L’amélioration très récente des performances des systèmes informatiques des grandes places boursières contribue grandement à cette fulgurante progression. Nyse-Euronext a ouvert le bal en 2009, suivie par le London Stock Exchange et Deutsche Börse. Le Tokyo Stock Exchange vient d’annoncer qu’il avait sauté le pas à son tour. L’objectif stratégique est d’attirer la clientèle des hedge funds et des arbitragistes et de faire ainsi face, à temps espèrent les Bourses, à la menace potentielle que représentent les plate-formes alternatives qui se sont multipliées en très peu de temps, mais qui sont encore à la recherche de leur rentabilité.

La mutation en cours ne s’arrête pas là. Toutes les ressources de l’informatique sont mises à profit, et l’on assiste à la mise en service de réseaux locaux destinés à optimiser le temps de transport des données, impliquant l’hébergement des serveurs des clients dans les emprises techniques mêmes des sociétés de bourse. On en arrive ainsi à garantir des temps de transaction de l’ordre de la milliseconde. Rapidité et volatilité sont les maîtres-mots dans ce nouvel univers boursier qui n’a strictement plus rien à voir avec la corbeille d’antan.

Un gigantesque pas de plus a été franchi dans le domaine de la dématérialisation de l’activité financière. Les traders concentrés devant leurs multiples écrans d’ordinateur, jonglant avec des logiciels graphiques ultra sophistiqués connectés à des flux de données délivrées en temps réel (ou presque), vont prochainement faire figure de grand pères bientôt désoeuvrés. Pour une partie de plus en plus importante de l’activité de trading, ce sont des algorithmes qui les remplacent, afin de prendre un nombre gigantesque de décisions en extrêmement peu de temps, dépassant et de loin les capacités du cerveau humain. Ce n’est pas de la science fiction, c’est aujourd’hui : des fortunes se font et se défont grâce à des dialogues entre des machines dans des chambres sécurisées et réfrigérées, sans intervention humaine. Le but du jeu est de gagner à chaque transaction un petit quelque chose, qui devient très grand vu le nombre de transactions opérées. Mais pour gagner à ce jeu, il faut être le plus rapide et disposer des meilleurs algorithmes.

Qu’est-ce que toute cette activité a à voir avec la fonction d’origine de l’activité boursière : mettre à disposition de l’économie des ressources et les faire ainsi fructifier ? Le High Frequency Trading est, sinon l’expression la plus achevée, la plus symbolique de l’autonomisation de l’activité financière et de sa déconnexion grandissante avec l’économie. Avec le HFT, elle se suffit à elle-même, elle s’exerce en vase clos, elle suit sa propre logique. Ce qui est parfaitement en phase avec ces nouveaux instruments dont la finance s’est dotée, qui mettent à profit des mathématiques complexes, et dont le rapport avec la réalité économique est également vite perdue, oubliée comme chose négligeable, jusqu’au jour où….

S’il fallait un signe que les acteurs de la finance n’ont comme seul projet que de recommencer leur activité comme avant, dans un contexte simplement un tout de peu moins souple, mais tout aussi contournable avec un peu d’adresse, l’impressionnante mue informatique des sociétés de bourse est là pour nous le confirmer. Ce monde-là, décidément, se nourrit de lui même et ne veut avoir à rendre des comptes qu’à lui-même. Il a ses juges de paix, ses lois, ses châtiments, et n’aime pas que l’on regarde par dessus son épaule. Il est convaincu de son excellence, de sa supériorité et d’être le seul à pouvoir comprendre la portée de ce qu’il fait. « Un travail de Dieu », a laissé, un jour à Londres, malencontreusement échapper Lloyd Blankfein, le Pdg de Goldman Sachs.

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