La saignée
Vous vous souvenez de la saignée ? Le remède classique de la médecine occidentale avant le XIXe siècle. Beaucoup en sont morts. Mais que voulez-vous, on ne comprenait pas d’où venait la maladie, alors on incriminait à tout hasard l’excès de sang.
Nous sommes quelques-uns quand même depuis trois ans à expliquer ce qui n’a pas marché dans la finance : ce qu’il faudrait réparer, ce qu’il faudrait supprimer, ce qu’il faudrait mettre à la place. Nous avons répertorié les différents microbes, localisé les virus et les bactéries. Les politiques, le plus souvent, nous ont regardé avec des yeux ronds. Certains, quand même, ont secoué la tête d’un air entendu, donnant l’impression d’avoir compris. Ils se sont réunis en conclave pendant trois ans. Ils sont enfin sortis et ont dit avec une très grande solennité : « Le remède, c’est la saignée ! »
Ils auraient mieux fait de dire qu’ils ne comprenaient rien à nos explications. Qu’est-ce qu’il aurait fallu faire ? prendre des mesures en amont, à la source. Or ils ont fait exactement le contraire : ils sont allés se placer à l’embouchure du fleuve et ont déclaré : « Oh ! Il y a beaucoup trop d’eau ! On va en pomper une partie, on va taxer tout ça ! ».
Bien sûr, les banquiers les ont aidés à penser « Il y a trop d’eau ». Le monde où nous vivons est dans un pétrin épouvantable et pendant ce temps-là, les bonus dans le monde de la finance n’ont jamais été aussi élevés. Ce qui est une façon de dire aux politiques : « On a de l’argent en trop ! » à quoi les politiques ont obligeamment répondu : « Ne vous faites pas de souci : on va vous soulager ! »
Mais quelqu’un s’est-il demandé pourquoi les bonus des traders sont aussi élevés ? Quelqu’un s’est-il demandé pourquoi les patrons – surtout américains – des établissements financiers reçoivent des bonus aussi plantureux ? Apparemment non : la question est sans doute trop technique. Alors je me lance : les bonus des traders et des commerciaux sont des commissions. On ne simplifie pas trop en disant : c’est X % sur le bénéfice qu’ils font. Comment ont-ils fait pour réaliser ces chiffres d’affaire astronomiques ? Il n’y a pas dix mille manières : ou bien ils ont vendu quelque chose à un prix beaucoup plus élevé que cela ne leur avait coûté – et tant pis pour le gogo qui le leur a acheté, ou bien ils ont fait des paris très risqués, paris qu’ils ont gagnés – et tant pis pour celui en face qui les a perdus. Certaines de ces activités sont ce que Lord Adair Turner, le président de la FSA, le régulateur des marchés britanniques, a appelé des « activités socialement inutiles ». C’est sur cette base là qu’il faudrait trier. Au lieu de cela, on préfère taxer la finance au petit bonheur la chance.
66 réponses à “BFM Radio, lundi 18 janvier 2010 à 10h46”