WIKILEAKS : LA MAIN DANS LE SAC

Ce texte est un « article presslib’ » (*)

Il est difficile de prévoir quelles seront les conséquences de la divulgation par WikiLeaks de 250.000 messages échangés par des diplomates américains et leur ministère des affaires étrangères. On saura dans les jours qui viennent s’il s’agit d’un tournant dans l’histoire récente des États-Unis. Ce soir en tout cas, la chose n’apparaît pas impossible.

Même si aucun message « Top secret » ne fait partie des documents publiés par WikiLeaks, la politique étrangère américaine n’en est pas moins mise à plat assez complètement et assez crûment. Nulle surprise bien entendu que la version officielle de la politique étrangère soit assez éloignée de la réalité des faits, ceci n’enlève cependant rien au fait que la vérité cachée et révélée aujourd’hui soit parfois étonnante, car s’ouvre ici à nos yeux médusés une caverne d’Ali-Baba débordant d’informations relatives aux rapports des États-Unis avec, entre autres, les responsables afghans, dont l’un se rend aux Emirats Arabes Unis avec 52 millions de dollars dans la poche avec, sinon l’approbation, du moins la complicité bienveillante des Américains, les responsables pakistanais, à propos desquels on tente de déterminer pour chacun s’il fait partie des bons ou des méchants, ou différents pays arabes qui ne sont pas parmi les plus tièdes à vouloir en découdre avec l’Iran, etc.

Pour tout ce qui touche à cela, et quoi qu’il arrive demain, le mal est fait : la realpolitik dans les relations avec tel ou tel pays est désormais visible en surface et ce qu’on en a raconté aux populations n’est pas nécessairement ce qui s’est vraiment passé et que l’on lira demain matin dans la presse locale.

Bien entendu, on fera aussi en sorte dès demain matin du côté américain pour que de tels courriers diplomatiques ne s’étalent plus à la une des journaux, et la politique étrangère sera redéfinie dans chacun des pays, sinon avec les mêmes interlocuteurs, dont pas mal sont sans doute définitivement grillés par les révélations d’aujourd’hui, du moins avec d’autres. Ce qui sera plus difficile à réparer, ce sera la confiance entre les États-Unis et les nations qui se considéraient jusqu’ici comme leurs amis. On découvre en effet dans les documents divulgués que l’espionnage n’est pas réservé aux agences dont la fonction officielle est le renseignement, comme la CIA ou la NSA, mais que le corps diplomatique américain s’y consacre dans sa totalité et à temps plein. Il ne sera pas même possible d’affirmer qu’il s’agit de pratiques anciennes puisque certaines circulaires qui enjoignent au personnel diplomatique de se livrer à l’espionnage sont signées Hillary Clinton (celle portant par exemple sur l’obtention de renseignements relatifs aux instances dirigeantes des Nations-Unies, comme le numéro de leurs cartes de crédit, leurs mots de passe sur l’internet, leurs horaires et habitudes de travail, etc.).

Sachant que tout diplomate américain qui vous approche a peut-être pour instructions de chercher à se procurer une photo haute définition de votre iris ou l’un de vos cheveux pour établir la carte de votre ADN, il est devenu désormais extrêmement difficile d’établir entre lui et vous un climat d’absolue franchise.

Bien sûr, on affirmera de source américaine qu’il s’agit de pratiques révolues. Ce n’est pas encore le cas ce soir toutefois puisque l’on semble encore sous le choc. Si l’ambassadeur américain en France, après avoir déclaré que « La France est le plus ancien allié des Etats-Unis, et la force, l’étendue et la profondeur des relations entre nos deux pays n’ont jamais été plus grandes qu’elles ne le sont aujourd’hui », exprime les regrets des Etats-Unis, il ne s’agit pas de regrets portant sur les pratiques douteuses qui ont été révélées grâce aux documents rendus publics et qui les montrent pris la main dans le sac, il s’agit des États-Unis regrettant « la divulgation de toute information qui était destinée à rester confidentielle ». Ce regret là en tout cas est sincère.

(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.

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