WikiLeaks dévoile aussi comment fut gérée la crise bancaire
Un câble diplomatique américain, mettant en scène Mervyn King, le président de la Banque d’Angleterre, Robert Kimmitt, alors Sous-Secrétaire au Trésor américain et Robert Tuttle, l’Ambassadeur des États-Unis en Grande-Bretagne, a récemment été divulgué par Wilkileaks. Il montre ces acteurs s’accordant le 17 mars 2008 sur un diagnostic de la crise selon lequel elle a cessé dès l’été 2007 d’être une crise de liquidité pour devenir une crise d’insolvabilité généralisée du secteur bancaire. Bien que ce diagnostic ait été largement partagé par les commentateurs de la presse financière à l’époque, ce sera cependant le diagnostic inverse que ces acteurs choisiront de présenter à l’opinion, position dont ils ne se départiront jamais. Ce câble offre une réponse tardive à une question que l’on se posait alors, tant les décisions prises contrevenaient à celles qu’il aurait fallu prendre : les instances dirigeantes faisaient-elles preuve d’incompétence ou de rouerie ? La réponse est claire désormais : il ne s’agissait pas d’incompétence.
La dissimulation des faits avait pour seul objectif de justifier pourquoi, entre deux décisions possibles, c’était systématiquement la pire qui était prise. Il ne s’agissait donc pas, comme on le constate parfois, d’une ruse paternaliste permettant de faire valoir l’intérêt général contre des intérêts particuliers mal avisés, non, il s’agissait exactement de l’inverse : il fallait faire prévaloir l’intérêt particulier de la coterie à laquelle appartiennent ces preneurs de décision, contre l’intérêt général. Il y a donc deux versants à l’information financière, dont le contenu est cependant le même : la face visible que l’on trouve dans les écrits de commentateurs sans responsabilité que sont journalistes, chercheurs et autres blogueurs, s’exprimant au nom de l’intérêt général, et la face cachée des décideurs, partageant la vision des premiers, mais affirmant le contraire pour pouvoir mettre en application des mesures qui ne bénéficieront qu’au petit groupe de privilégiés dont ils font partie.
Il y eut une époque où constituaient un rempart, des fonctionnaires intègres, empreints du sens de l’État, dont le crédo était précisément que leur intérêt particulier propre s’efface devant l’intérêt général dont ils étaient les porte-paroles et se considéraient les défenseurs. La pratique du lobbying a eu raison d’eux. C’est l’intérêt particulier qui trouve désormais accès aux instances supérieures pendant que l’intérêt général négligé languit dans les antichambres. Les défenseurs des intérêts particuliers l’ont emporté, sous le prétexte – né à Vienne et grandi au département d’économie de l’Université de Chicago – que l’intérêt général, même s’il existait, est impossible à définir, alors que les intérêts particuliers de ceux qui disposent des moyens de se faire entendre sont eux parfaitement clairs.
La leçon du câble divulgué par Wikileaks est sans ambiguïté : il n’y a pas deux cultures financières, l’une faite d’incompétents chargés de présider à notre destin, l’autre faite de sages informant le public par les voies de la presse, de la radio et de la télévision, il n’y en a en réalité qu’une seule, faite entièrement d’hommes et de femmes compétents mais partagés : d’un côté ceux qui veillent à la défense de leurs propres intérêts et qui ont accès aux manettes du pouvoir, de l’autre, ceux qui dénoncent ce scandale et sont soigneusement maintenus à distance des centres de décision.
113 réponses à “LE MONDE ECONOMIE, LUNDI 10 – MARDI 11 JANVIER 2011”