SORTIR DU NUCLEAIRE ?, par Paul Tréhin

Billet invité

Sortir du nucléaire sans repartir vers l’utilisation de combustibles fossiles, bien entendu, il faut absolument le faire, mais de quel nucléaire parlons-nous ? Il semble maintenant clair que la fission nucléaire aura été une impasse technologique désastreuse et tout autant limitée dans le temps que ne l’auront été les énergies fossiles charbon et pétrole… Pour ce qui est de l’énergie nucléaire à base de fusion, les quantités d’énergie disponibles pourraient être phénoménales et, au moins en théorie, ne pas causer de dégâts directs immédiats ou futurs à l’environnement. Si je me rappelle bien, les déchets – essentiellement de l’hélium – ne sont pas radioactifs, mais il existe tout de même un risque de production d’isotopes radioactifs suite au rayonnement de neutrons à haute énergie, toutefois en faibles quantités. Cependant l’énergie nucléaire de fusion atomique est encore très loin d’être maîtrisée, sans compter que comme toute source d’énergie elle va produire un déchet bien encombrant, même si, sans grand danger immédiat : la chaleur…

Il reste à aborder un aspect fondamental qui est celui de la qualité de l’énergie produite : est-elle facilement stockable, transportable, utilisable à moindre risque pour des applications usuelles dans l’environnement au sens large (la nature, l’homme…) ?

De nombreuses solutions ont été inventées pour produire de l’énergie de manière moins polluante, cependant en l’état actuel des connaissances et même des recherches envisagées, ces énergies restent loin d’avoir la densité et la facilité de stockage, ou de transport et de versatilité ou de mobilité dans leurs utilisations, par comparaison avec les sources d’énergies telles que les produits tirés du pétrole : essence et diésel.

Cela a déjà été abordé, le stockage de l’énergie produite en un point de la planète puis son transport dans une autre point de la planète où elle est nécessaire, sont souvent des problèmes non résolus ou résolus à des coûts écologiques et économiques considérables.

Prenons un petit exemple : un groupe de chercheurs a inventé un système de cerfs-volants sous-marins se maintenant à mi-hauteur dans les océans au grès des courants marins, chacun étant porteur d’une petite turbine qui transforme l’énergie des courants marins en rotation, lesdites turbines produisant elles-mêmes des quantités considérables d’énergie. Mais ces turbines ne peuvent fonctionner qu’en certains lieux de le planète… Sans compter les ennuis avec les autres exploitants des océans, en particulier les pêcheurs !

De même, des expériences de capture de l’énergie solaire par des paneaux photovoltaïques ou simplement thermiques, recelle des capacités de production d’énergies considérables.

On pense aussi à l’énergie géothermique dont le captage pourrait aussi produire de grandes quantités d’énergie.

Mais toutes ces énergies sont rarement utilisables de manière native, comme c’était le cas dans un moulin à eau ou à vent servant de moteur à une meule à farine ou à écrasement d’olives ou de noix, pour produire de l’huile ou à un mécanisme de scierie entrainant des scies par des engrenages complexes.

Dans la plupart des cas, il faut au minimum transformer cette énergie primaire en électricité, qui elle a au moins l’avantage d’être assez facilement transportable bien que moins facilement stockable… Rappelons-nous que certaines usines hydroélectriques stockent l’énergie électrique récupérée à certains moments de l’année en pompant vers le barrage l’eau qui avait servi à produire de l’électricité en en descendant. Il est évident que le rendement énergétique de tels systèmes est relativement faible, se faisant au détriment d’un accroissement considérable de l’entropie.

D’autres formes d’énergie semblent apparaître qui résolvent deux problèmes d’un seul coup : il s’agit de bactéries capables de transformer les déchets résiduels des biodiésels…

La récupération de chaleur liée à la décomposition de déchets organiques va peut-être aussi aboutir à un résultat semblable : production d’énergie tout en réduisant la masse de déchets. Là encore se pose la question du stockage et de la transportabilité des énergies du point où on les recueille vers l’endroit où on en a besoin.

L’autre problème auquel les scientifiques et les ingénieurs vont avoir à faire face est celui de la densité de l’énergie : prenons un exemple trivial, avec 10 litres d’essence ou de gazoil, on peut faire parcourir à un véhicule convenablement conçu environ 100km. Combien de bois faut-il emporter pour faire tourner un système mobile employant la technologie du gazogène ?

La densité de l’énergie a aussi un rôle important dans la mesure où elle permet de dépenser moins d’énergie à se transporter elle-même ainsi qu’à transporter le poids du réservoir pouvant la contenir. On retrouve ce problème avec le poids des batteries électriques actuelles, dont il faut espérer que l’efficacité énergie délivrée par rapport au poids va être améliorée, afin que la charge utile soit égale ou supérieure au poids du véhicule à vide…

On voit bien que la qualité de l’énergie va dépendre de l’utilisation qu’on en fait. Prenons l’énergie solaire par chauffage direct de tuyaux placés sous verre dans des boitiers exposés au soleil, forme relativement peu polluante de récupération de la chaleur. On peut se servir de cette énergie très facilement pour diverses utilisations nécessitant de l’eau très chaude. On sait assez bien la stocker pour des périodes moyennes de l’ordre de quelques heures dans des récipients bien isolés. Cependant la versatilité des utilisations de cette source d’énergie est très limitée. Sa disponibilité est aussi liée aux périodes de l’année et même de la journée ainsi qu’au lieu géographique… Elle n’est pas facile à transporter. En revanche, son utilisation sur place permettrait d’éviter d’aller chercher au loin des sources d’énergie dont l’utilité ne serait pas très différente ou potentiellement bien plus versatile et dense.

Un des pires gaspillages d’énergie de haute qualité est de bruler du pétrole pour chauffer un bâtiment alors qu’il n’y a pas besoin de la densité ou de la mobilité de la source d’énergie, qualités dont les alternatives aux combustibles fossiles ne sont pas encore dotées.

Pour en revenir à l’énergie nucléaire par fission, elle n’a aucune des qualités énergétiques précédemment analysées, elle n’est pas dense, loin de là, elle n’est que très peu mobile, sauf à l’utiliser dans des systèmes de transport énormes comme des sous-marins ou porte-avions à propulsion nucléaire, à l’exclusion des moyens de cette taille dans des applications civiles. (A ce propos le fils d’un de mes amis américains qui avait fait une carrière militaire dans les sous-marins à propulsion nucléaire était effaré par la faiblesse et l’inadaptation des processus de sécurités employés dans les centrales nucléaires civiles…)

Cette énergie nucléaire ne peut donc être utilisée le plus souvent que dans des installations fixes et passe obligatoirement par une transformation en électricité. J’imagine mal de proposer à des résidents locaux de se fournir en chaleur avec les eaux de refroidissement des réacteurs nucléaires, ce qui serait en théorie une solution moins créatrice d’entropie que d’envoyer de l’électricité produite par la même centrale pour chauffer des radiateurs électriques. Je rappelle que la transformation en chaleur de toute source d’énergie est celle qui engendre le maximum d’augmentation de l’entropie.

L’élimination des centrales nucléaires par fission atomique ne devrait pas trop poser de problèmes pour la création d’énergies destinées à des utilisations non mobiles. En revanche, les solutions alternatives pour des énergies mobiles capables de faire fonctionner des véhicules publics ou privés indépendants d’installations fixes, tels que des réseaux d’alimentation électrique destinés à alimenter leurs moteurs, restent encore peu disponibles. Or, certains domaines ont besoin de véhicules indépendants d’une source fixe, pensons par exemple aux véhicules de secours : ambulances, camions de pompiers, dans certains cas hélicoptères de secours ou pompiers volants, tous peu susceptibles de se déplacer en étant reliés à une alimentation électrique en réseau… Pour ces derniers véhicules de secours, espérons que les systèmes de stockage de l’électricité vont faire des progrès considérables car avec les batteries actuelles, on voit mal comment faire voler un avion ou un hélicoptère de secours…

A ce sujet, je n’ai pas entendu parler les dirigeants politiques, même ceux conscients de la fin prochaine du pétrole, de la façon dont nous allons assurer une continuité de ces services de secours, entre la disparition relativement proche des énergies fossiles tirées du pétrole et l’apparition relativement lointaine d’énergies nouvelles capables de faire fonctionner ce genre de services. En particulier je n’ai entendu personne parler de la constitution à cet effet de stocks de carburants capables d’assurer l’intérim pour les services qui ne peuvent pas s’en passer, en attendant que d’autres solutions mobiles aient été inventées. Cela demanderait des investissements importants au niveau du stockage et de la protection contre les risques d’accidents qui ne peuvent pas être improvisés, mais en plus il s’agirait de de contraindre les consommateurs à se priver de cette source facile et finalement peu chère qu’est le pétrole.

Savez-vous qu’en valeur travail, le nombre de minutes travaillées nécessaire pour acheter un litre d’essence, a été divisé par un facteur proche de 3… depuis 1970. La source est le journal « Les Echos », pas particulièrement écolo, et qui titre pourtant cet article sur la baisse du coût de l’essence « OUI, LE PRIX REEL DU CARBURANT UTILISE PAR LES AUTOMOBILISTES A ETE DIVISE PAR 2,8 ENTRE 1970 et 2008. NON, IL NE FAUT PAS S’EN REJOUIR. » Il faudrait au contraire faire monter le prix des carburants à la pompe…

Toutefois cette augmentation du prix des carburants issus du pétrole aurait déjà dû être faite et très progressivement. Mais par manque de courage politique et sous la pression des groupes pétroliers, nos dirigeants ne l’ont pas fait. Saviez-vous que nous payons aujourd’hui encore en monnaie constante moins cher l’essence à la pompe qu’en 1950, même en y incluant le choc pétrolier de 1973-1974 ? J’ai les données disponibles : j’avais fait une étude en 1980 à ce sujet. J’ai plein de références publiées dans la presse économique sur ce sujet. Mais les hommes et les femmes politiques n’ont pas voulu en tenir compte, liées qu’elles et ils sont par les échéances électorales.

Que les industriels du pétrole soient sanctionnés pour leur cupidité, c’est certes une nécessité, mais là aussi, nos dirigeants n’en ont pas eu le courage et ne l’auront pas plus demain, sachant bien sûr par ailleurs que ce courage ne pourrait-être qu’international, aucun pays ne voudrait ni ne pourrait pénaliser unilatéralement ses propres industries ni sa population.

L’accroissement du prix des carburants à la pompe sans que les industriels pétroliers puissent s’en mettre plein les poches, permettrait peut-être enfin d’accélérer le développement d’énergies alternatives capables de rivaliser avec les qualités des carburants actuels, denses et mobiles, ainsi que de concevoir des moteurs bien plus efficaces et des moyen de transport en commun plus accessibles, plus versatiles, plus efficaces et plus flexibles.

Et donc de sortir du nucléaire par fission atomique. Et qui sait même de faire de vraies recherches sur le nucléaire par fusion atomique dont j’ai parlé au début de ce message… Recherches qui n’ont pas vraiment motivé les dirigeants politiques ou industriels jusqu’à présent compte tenu du seuil de l’investissement initial !

Notez qu’aux USA, seule l’augmentation des prix à la pompe a conduit les fabricants d’automobiles à enfin proposer aux consommateurs des autos et des véhicules ayant des consommations plus raisonnables : quand j’y étais, juste au moment de la crise pétrolière de 1973-1974, les autos américaines consommaient pour les plus économiques plus de 25 litres aux 100km, maintenant elles s’approchent des 10 litres aux 100km et très peu d’Américains achètent encore de très grosses voitures de 3 tonnes ou plus consommant entre 30 et 40 litres au 100km…

Ce n’est pas faute d’avoir été informés il y a assez longtemps, pourtant. Il faut savoir que dès 1960, plusieurs auteurs américains avaient poussé des cris d’alarme au sujet de la consommation abusive de carburants issus du pétrole, un de ces auteurs, Vance Packard, allant même jusqu’à prédire dans un livre publié en 1960 un choc pétrolier imminent compte tenu de la croissance de la consommation d’essence aux USA dans les années 1950. Cet auteur avait même vu venir une crise politique potentielle entre les Etats-Unis et le Venezuela, cela plus de 10 ans avant la crise pétrolière de 1973…

Mais quel homme ou femme politique était prêt à l’époque et serait maintenant prêt à entendre de tels messages face à une opinion publique soumise à un phénomène appelé « Illusion Monétaire », terme employé par le prix Nobel d’économie Georges Akerlof… Peu de consommateurs font une comparaison exprimée en quantité d’heures travaillées lors de leurs achats, sauf pour les frais incompressibles comme pour le logement, lequel a non seulement suivi l’inflation mais l’a dépassée… Là oui, il y a un vrai scandale. Nombre de personnes ayant un emploi, même stable, n’arrivent plus à financer leur logement ou du moins pas un logement digne de ce nom.

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