LE JEU N’EN VAUT PAS LA CHANDELLE !, par François Leclerc

Billet invité.

Très précaire, une stabilisation de la situation semble pouvoir se dessiner sur le site de Fukushima Daiichi, ouvrant – si de nouveaux incidents majeurs n’interviennent pas – une longue période de plusieurs mois de difficiles et intensifs travaux aux résultats incertains. Ce qui s’en suivrait n’étant même pas encore annoncé.

L’objectif assigné par le gouvernement est de circonscrire et limiter au maximum les émissions radioactives de la centrale, dans la mer, le sol et l’atmosphère. Dans l’immédiat, Tepco s’efforce de rendre moins dangereux la poursuite des travaux par les ouvriers. Tout ceci est loin d’être atteint et reste un premier sujet d’incertitude.

Une deuxième inconnue subsiste – à la suite des premières explorations des bâtiments des réacteurs par des robots – quant à la possibilité d’interventions humaines en leur sein. Si cela se révélait impraticable, cela mettrait probablement en cause le projet d’installation de circuits parallèles de refroidissement des réacteurs et des piscines, puisque le rétablissement du dispositif d’origine est désormais écarté.

Impliquant alors, durant une longue période, la poursuite des opérations de refroidissement des réacteurs par les moyens actuels, dans des conditions précaires et avec des effets collatéraux non maîtrisés, dont une fuite d’eau hautement radioactive qui continuerait d’être alimentée et imprégner le sol avant de toujours se déverser dans la mer par des voies diffuses et non maîtrisées.

Un risque majeur continue par ailleurs de subsister : celui de défaillances de structures dont certaines sont déjà éprouvées, dont au moins une enceinte de confinement et une piscine, en cas de nouveaux séismes. La catastrophe rebondirait et serait grandement amplifiée, de très importants dégagements radioactifs dans l’atmosphère pouvant en résulter.

La succession des événements déjà intervenus démontre que de nouveaux incidents inattendus ne peuvent être exclus. Les opérations destinées à y faire face – lancées dans l’improvisation, vu l’urgence, un manque d’anticipation et une sous-estimation des difficultés – illustrent la nature extrême des difficultés rencontrées quand un incident nucléaire intervient. En raison de la contamination radioactive, mais aussi des enchaînements imprévisibles d’événements qui surviennent – même lorsqu’ils sont mineurs – tous porteurs de dangers potentiels importants. Il y a une échelle des incidents nucléaires, il n’y a pas de petits incidents nucléaires.

Tout au long de ces longues premières semaines, ont été mises en évidence les difficultés extrêmes rencontrées par l’opérateur et les experts de tous pays et origines à diagnostiquer la situation, un phénomène encore plus inquiétant, si l’on veut y réfléchir, que les rétentions d’information dont l’opérateur peut être suspecté, non sans raison vu les précédents qui ont été révélés.

Toux ceux qui ont suivi au jour le jour l’évolution de la situation ont pu ressentir un même sentiment : les acteurs de la catastrophe étaient largement démunis et dépourvu de moyens. Mesurant combien étaient dérisoires ceux qui étaient rassemblés à la hâte en regard de l’ampleur des dangers.

Une autre comparaison mettant en évidence une même disproportion s’est également imposée, au vu des certitudes affectées par tous ceux qui, après avoir manifesté leurs alarmes, se sont repris pour minimiser et relativiser les événements, puis allumer des contre-feu destinés à l’opinion publique.

Un bilan, même provisoire, est tout à fait prématuré : rien n’est terminé, tout reste encore a établir et à maîtriser, sans que cela soit du domaine réservé aux seuls physiciens atomistes. Le 25ème anniversaire de Tchernobyl est venu démontrer -s’il en était besoin – que l’échelle de temps de l’industrie nucléaire impose de garder longtemps ouverts les dossiers que ses acteurs intéressés préféreraient refermer au plus vite.

Il est déjà établi qu’on sera passé au mieux tout à côté d’une apocalypse nucléaire. Dans le grand tourbillon oublieux de l’actualité, la catastrophe de Fukushima doit conserver toute cette dimension, afin qu’il en soit tiré la seule conclusion qui s’impose : le jeu n’en vaut décidément pas la chandelle. C’est la troisième fois que cela nous est signifié, faudra-t-il une quatrième pour qu’il en soit tenu compte ?

Voir ici les dernières mises à jour à propos de la situation sur le site de la centrale.

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