L’actualité de la crise : LE ROYAUME DES ILLUSIONS ET LA PORTÉE DE L’INDIGNATION, par François Leclerc

Billet invité

Chacun a le nez sur sa crise. Les Européens d’un côté, les Américains de l’autre, sans omettre les Japonais. Au-delà des frontières de ce monde qualifié d’Occidental, les pays émergents subissent le contre coup de la crise des autres.

Au nombre de toutes les illusions qui sont propagées – elles ne manquent pas – celle qui veut croire que chacun aurait dans son petit coin la solution à ses propres problèmes est une des plus répandues et des plus fausses. Les crises régionales ne sont certes pas identiques, leurs contextes étant différents, mais elles sont de même origine. Elles appellent donc une réponse d’ensemble, que l’on est loin d’entendre souvent formulée.

La prochaine nomination d’un nouveau directeur général du FMI illustre on ne peut plus crûment le fait que les vrais enjeux ne sont pas publiquement débattus. L’attention se porte sur la nationalité des candidats, mais pas sur leurs intentions, sur l’orientation qu’ils proposent pour le FMI. Tout au plus parle-t-on de sa gouvernance.

Le risque est grand que ce qui avait été entamé ne soit remis en cause, ou au moins retardé. Sans le clamer sur les toits, le FMI se positionnait discrètement afin de devenir l’artisan d’un nouvel ordre monétaire, une sorte de banque centrale mondiale en mesure de régler le problème qui ravage toute l’économie occidentale : la dette, dont on ne sait plus comment se débarrasser et que l’on voudrait recommencer à produire. Tout confondue, elle est l’addition de la dette « publique » avec la « privée », si la distinction a un sens, car on a vu comment les vases étaient communicants – à sens unique – quand cela s’est révélé indispensable à la survie du système.

L’émergence d’un nouvel ordre monétaire sanctionnant la fin du rôle prédominant du dollar et l’arrivée d’un cocktail de devises incluant au moins le yuan chinois et l’euro est une longue voie sinueuse qui s’est finalement imposée, tout en étant repoussée. Moins clair est le savant mécanisme permettant de tirer un trait sur la montagne de dette que ce même système a produit et qui n’est définitivement plus remboursable. Plus limité au modeste – quoique conséquent – niveau du marché immobilier américain, mais à l’échelle de l’ensemble des grands acteurs privés et publics qui interviennent sur ce que l’on a coutume d’appeler les marchés mondiaux.

Comment faire ? Les questions sont posées, mais restent en l’air. A croire que les réponses ne sont pas pour nous, si tant est qu’elles existent. Car elles imposent des remises en cause que rien dans l’attitude de ces acteurs ne permet de croire qu’ils sont prédisposés à commencer de les concevoir.

Les Européens cafouillent lamentablement à propos de la Grèce, pris au piège de leurs contradictions et de leur détermination à éluder la nature de leur problème. Ils vont rouler la dette et presser le citron, que peuvent-ils inventer d’autre ? Les Américains ne préparent pas mieux, face aux échéances de déplafonnement de leur dette publique et de la prochaine élection présidentielle. Car si les impasses s’expriment au plan financier, leurs conséquences sont autant de gouffres qui dans tous les domaines pourraient s’ouvrir sous leurs pieds.

Une période s’achève, cruellement pour certains. Beaucoup moins pour d’autres qui ont encore l’illusion – une de plus – qu’ils vont élégamment s’en tirer, protégés par leur matelas et ce qu’il leur permet d’acheter, y compris les consciences. La croissance et la richesse à crédit reposaient sur le bon fonctionnement d’un mécanisme qui ne va pas pouvoir être remis en marche. Il ne se profile plus comme choix possible que de redistribuer – mot honni – la richesse disponible ou de la défendre, non sans violence si nécessaire, abrité derrière les murs de toute nature des citadelles d’aujourd’hui.

De leur côté, crédités de scores inégalés de croissance masquant les déséquilibres de leurs sociétés, les pays émergents ne sont pas au mieux, déstabilisés par les effets de la crise occidentale. Les hausses de l’énergie et des produits alimentaires suscitées par la spéculation financière ainsi que l’afflux des capitaux se dirigeant vers les zones à plus fort taux d’intérêt contribuent à générer une forte inflation. Le modèle de développement mondialiste qui a été emprunté crée de fortes distorsions.

Telle qu’elle a été pratiquée, la mondialisation est en passe d’atteindre ses limites, il faut la reconfigurer pour continuer. Mais l’idée poursuivie par les milieux financiers occidentaux, selon laquelle ils allaient pouvoir exercer leurs talents sur ces nouveaux terrains de jeu – et réutiliser les recettes qui leur ont si bien réussi – rencontre des obstacles imprévus. Ils ne sont pas encore les sauveurs qu’ils croyaient pouvoir naturellement être, il va leur falloir inventer des stratagèmes pour pénétrer les places. Comme Monsanto avec ses OGM.

Le monde entier se tient par la barbichette. Si le sujet n’était pas aussi décisif pour la vie de centaines de millions de personnes, c’est sur ce mode plaisant que pourrait être résumée la situation. Dans ce domaine également, un grand écart s’impose pour appréhender les contours de ce que pourrait et devrait être une autre mondialisation. Pour ne pas en laisser le privilège à ceux qui n’ont su en impulser qu’une version mercantile et lui en substituer une autre qui reposerait sur une autre logique.

Oxfam vient de tirer une nouvelle fois la sonnette d’alarme en avertissant que nombre des neuf milliards d’habitants du monde de 2050 est promis à souffrir de la faim si le modèle qui s’est imposé de production agricole n’est pas changé. « Le système alimentaire ploie sous l’intense pression du changement climatique, de la dégradation écologique, de la croissance démographique, de la hausse des prix de l’énergie, de l’augmentation de la demande de viande et de produits laitiers, de la concurrence pour l’obtention de terres pour produire des biocarburants, de l’industrialisation et de l’urbanisation ».

Selon Oxfam, des investissements plus importants sont nécessaires dans l’agriculture paysanne et familiale, la valorisation des ressources naturelles, un meilleur accès aux marchés pour les petits exploitants, la lutte contre le gaspillage – notamment de l’eau – et l’arrêt des subventions à la production des bio-carburants, la fin de la domination du marché des semences et des matières premières agricoles par quelques compagnies multinationales.

La gauche parle de réforme et la droite de rupture, deux lunes qui ne font plus le poids. Des logiques irréductibles ont commencé à s’affronter autrement qu’en paroles. De Madison à Athènes, du Caire à Madrid, jusqu’où portera l’indignation qui s’exprime par bouffées ? C’est une bonne question, mais il n’y a pas d’autre moyen d’y répondre qu’en y contribuant.

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