L’actualité de la crise : LES MARCHÉS NE S’EN LAISSENT PAS COMPTER, par François Leclerc

Billet invité

Un train peut en cacher un autre, sauf au dernier moment : le discours sur la nécessité de réduire la dépense publique ne masque plus l’état réel du système financier. Une multitude de raisons partielles peut être trouvée pour expliquer la dégringolade en bourse des banques de tous les pays occidentaux, mais elles s’effacent devant une simple et unique constatation : la stratégie suivie jusqu’à maintenant est en faillite, les banques potentiellement aussi d’ailleurs.

Il s’agissait de donner du temps aux établissements financiers pour se refaire, en espérant qu’ils contribueraient ensuite à la relance économique. Quitte à leur laisser la bride sur le cou et à fermer les yeux sur leurs bilans, puis à parallèlement s’engager dans une véritable opération de diversion à propos de la dette publique, empruntant le discours de la rigueur pour les uns tout en en exonérant les autres. Précipitant, au bout du compte, l’économie vers une récession généralisée à tout le monde occidental, qui se précise, détruisant par la même toute perspective réaliste de réduire les déficits comme prévu.

Le plan A a vécu. Empiler les plans de rigueur est une aventure dont on voit en Grande-Bretagne ce qu’elle peut susciter. Ce qui ne signifie pas qu’elle ne doit pas être tentée, faute d’alternative.

Si l’on s’approche du champ de bataille, le tableau se précise. Que ce soit aux États-Unis ou en Europe, les États viennent de se révéler incapables de prendre les mesures décisives, faisant des magistraux faux-pas.

À Washington, Barack Obama a reçu en soirée à la Maison Blanche Ben Bernanke, le président de la Fed, auquel se sont joints Tim Geithner, secrétaire au Trésor, Bill Daley, secrétaire général de la Maison Blanche et Gene Sperling, directeur du Conseil économique national. Un geste pour la galerie, tel que les Français viennent aussi d’y procéder. Aux discours creux succède la figuration muette.

Plus important, les six élus républicains nommés pour participer à la commission bipartisane chargée d’étudier les nouvelles mesures de réduction du déficit ont tous signé la promesse de voter contre tout projet de loi qui viserait à augmenter les impôts. C’est une nomination sous forme de faire-part pour Barack Obama et l’intention d’une nouvelle aventure.

Une même impasse est constatée en Europe. L’intervention forcée et contrainte de la BCE a été saluée comme un geste qui sauvait l’Europe, alors que l’essentiel est ailleurs. Le dispositif monté à grande peine par les Européens pour financer le roulement de la dette des pays entrant dans la zone des tempêtes se révèle incapable – en raison du montage financier sur lequel il repose – de répondre à l’urgence, si l’Italie ou l’Espagne y entraient à leur tour. Tout au plus Chypre pourrait être sauvé.

Pis, toute nouvelle solution consistant à mutualiser à l’étage supérieure la dette, quand bien même les Allemands accepteraient de souscrire aux euro-obligations, n’ayant pas le choix, est désormais devenue peu crédible, pour avoir trop tardé : le morceau est devenu trop gros à avaler. L’édifice de la dette publique financée sur fonds privés est parvenu au bout de sa logique en mettant en évidence que les clients ne sont plus solvables. Quand ce n’est pas le crédit hypothécaire qui trébuche, c’est le financement des États…

Les marchés ont tiré la conséquence logique de ces deux impasses parallèles. Si les États ne sont pas en mesure de gérer comme convenu leur dette, ce sont les banques qui sont désormais à nouveau en première ligne et vont être sous le feu de la mitraille.

Déjà morts et enterrés, les stress tests européens avaient soigneusement écarté de leur analyse la dette souveraine. Les banques ont depuis plastronné, prétendant amortir le choc du nouveau sauvetage grec par des comptes tout aussi biaisés et trompeurs qu’avant. Ne prenant en compte qu’une décote de 21 % de la dette grecque, éludant les pertes sur les produits dérivés – probablement incalculables d’ailleurs – et n’incluant pas dans leur provisions la dépréciation inéluctable de la dette grecque privée. Les comptes des banques sont toujours aussi truqués, point à la ligne.

Dans un premier temps, il a été reconnu que le désendettement allait être un long processus, avec l’intention de justifier ainsi le temps qui était accordé aux banques. Le calendrier étalé d’application de la réglementation de Bâle III en était une des illustrations. A contrario, il a été ensuite affirmé que le désendettement des États devait être accompli en un temps record, mais le rééchelonnement en cours de la dette grecque démontre que c’est illusoire.

La patate est toujours aussi brûlante et les banques viennent de se la faire une nouvelle fois refiler, avec le résultat que l’on a vu. Les marges de manœuvre des dirigeants politiques se rétrécissent, qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition, structurellement incapables de définir un plan B (pour emprunter à leur vocabulaire).

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