L’HEURE DES CHOIX RADICAUX, par Pierre Sarton du Jonchay

Billet invité

La forte volatilité des prix financiers internationaux dans la semaine du 8 au 12 août a révélé l’absence totale de repères des opérateurs financiers dans la recherche d’un équilibre général des prix. La baisse générale du niveau des prix des actifs financiers a montré une interprétation pessimiste partagée de l’avenir : décroissance indéfinie de la production économique par rapport à ce qui était attendu dans les prix antérieurs à la chute des marchés.

Les banques françaises ont été attaquées en zone euro à cause de leur exposition au surendettement de l’Europe du sud. La défiance financière internationale à l’égard des banques françaises s’est exprimée dans la vente des CDS qui représente la garantie de leurs dettes. L’estimation de la fragilité hypothétique des banques françaises s’est répercutée sur le CDS de l’État français qui serait obligé de s’endetter davantage pour racheter du capital bancaire ou de prêter aux banques.

Une causalité financière fondamentale apparaît évidente dans l’auto-effondrement systémique en cours. La libre circulation internationale des capitaux passe par l’endettement interbancaire international. Cet endettement est transformé en liquidité par les banques centrales et reprêté aux États. En se finançant à bon compte auprès du système financier, les États en deviennent les garants illimités en dernier ressort au détriment des contribuables et des épargnants. La dette est devenue le masque d’une prospérité détruite dans la réalité économique.

Les paiements internationaux issus du commerce international et des mouvements de capitaux passent nécessairement par des emprunts interbancaires. Quand les déposants du système bancaire français décident de vendre des actifs exposés à l’Europe du sud pour racheter en Europe du nord ou hors de la zone euro, les banques françaises doivent emprunter les monnaies des actifs à acheter et placer les euros qu’elles conservent à leur nom.

Les banques françaises ont dû augmenter leurs positions de change et leurs positions d’emprunt interbancaire. Elles ont augmenté leur exposition à une dépréciation de l’euro et au coût de leur propre solvabilité. Les opérateurs financiers y compris des banques françaises ont traduit cette situation par la vente de CDS bancaires et du CDS de l’État français. Il fallait limiter les pertes en cas de poursuite de la défiance financière envers les banques françaises.

En plus des banques se couvrant sur leur risques interbancaires effectifs, des spéculateurs sont venus amplifier les mouvements en vendant les CDS français sans avoir d’actifs dans les banques françaises. Ils ont parallèlement vendu à découvert les actions ou les titres de dette des banques afin de faire baisser les cours et provoquer la revalorisation brutale des primes de CDS. La panique des opérateurs effectivement exposés au risque de crédit de la France et des banques françaises a provoqué les plus-values recherchées par les spéculateurs.

La manipulation libre du prix des CDS exprime l’absence d’ordre politique international et national financièrement efficient. La masse mondiale de crédits croît sans limite et sans équilibre selon l’intérêt des États-Unis à financer leurs déficits, l’intérêt de la finance internationale à réaliser des plus-values sur l’instabilité du système et l’intérêt des gouvernements à acheter leur réélection par la dissimulation du prix réel de la dette publique.

La zone euro est un modèle réduit du système financier international où l’émission monétaire par les dettes publiques et bancaires n’obéit à aucune règle d’équilibre entre les intérêts financiers publics et privés et les capacités réelles de production de richesse. L’Allemagne se retrouve créancière nette du reste de la zone en produisant davantage pour chaque euro emprunté que ses partenaires de la zone. Elle est moins insolvable que ses partenaires européens.

La zone euro est menacée d’éclatement par l’accumulation non maîtrisable de dettes intra-européennes. L’Allemagne et la France sont elles-mêmes virtuellement en défaut mais masquent leur situation par les créances nettes qu’elles détiennent sur le reste de la zone. La France a une productivité réelle par euro emprunté inférieure à l’Allemagne ; donc tout à fait insuffisante pour démontrer que toute dette sera remboursée.

La non-régulation du crédit public et bancaire a pour conséquence la surévaluation du pouvoir d’achat réel à terme du dollar, de l’euro et des autres monnaies de réserve internationales. Cette réalité est financièrement masquée par un système de prix relatifs évitant de comparer le total des dettes avec la productivité réelle de chaque emprunteur financier.

Tous les plans d’austérité annoncés pour rassurer les marchés précipitent l’effondrement. Ils détruisent l’économie réelle et la capacité de remboursement des États et déplacent les dettes sans les dévaluer des pays les plus surendettés vers des pays moins surendettés. Le fonds européen de stabilité financière (FESF) va seulement transférer les dettes non remboursables de l’Europe du Sud vers l’Europe du Nord.

La BCE a évité la flambée de la prime de crédit de l’Allemagne et surtout de la France en déversant des flots de liquidités pour racheter les dettes publiques de l’Europe du Sud portées par les banques allemandes et françaises. Le pouvoir d’achat réel à terme de l’euro comme de toutes les monnaies s’effondre non pas par la hausse des prix généralisée mais par le prix d’actifs et de monnaies refuges.

Les monnaies n’expriment plus que des prix financiers sans rapport avec les prix réels qui permettent de produire la richesse réelle qui rembourserait les dettes. Les gouvernements de l’Allemagne, du Royaume-Uni et de la France font l’analyse de cette réalité déstructurée mais ne sont pas d’accord sur le moyen d’en reprendre la maîtrise.

Le Royaume-Uni se réjouit de l’effondrement de l’euro qui masque celui de la livre. La France prend prétexte de la défense de l’euro pour dessaisir son parlement de ses responsabilités budgétaires et fiscales. L’Allemagne seule est mécontente de la politique monétaire de la BCE qui dévalue l’euro et obligera le contribuable et l’épargnant allemand à porter la plus grosse part des pertes financières à venir.

L’Union Européenne reste unie sur le principe de la non-régulation financière par la libre circulation des capitaux à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières. En dépit de sa longue expérience de régulation monétaire et financière, l’Union reste l’annexe des États-Unis qui ignorent radicalement la responsabilité de l’État sur la création monétaire. Les élites financières européennes sont les alliées des États-Unis pour jouer les dernières plus-values possibles sur la disparition complète des États.

Malgré Keynes, le financiarisme anglo-saxon imposé par le dollar à l’ensemble du monde ne comprend pas le rôle actif de l’État dans la régulation du crédit. L’assurance publique de l’équilibre des prix par une juste répartition des revenus est la seule garantie réelle d’une allocation des crédits reflétant la production des richesses. Cette assurance ne peut pas faire son effet sans le contrôle public des mouvements de capitaux et sans l’allocation de ressources publiques à la régulation de la convertibilité intérieure et extérieure des monnaies.

La mutualisation de dettes publiques européennes par le FESF restera sans effet sans régulation des changes ni régulation publique des banques et opérateurs financiers. Si la zone euro veut survivre comme espace de solidarité financière multinationale, elle n’a plus d’autre solution que de fermer ses frontières financières à toute nation ne partageant pas les règles qu’elle veut s’appliquer à elle-même.

Si la finalité du FESF est réellement de préserver l’union financière des pays de l’euro, cela implique que les euro-obligations financent une chambre de compensation financière en euro. Chaque banque européenne y dépose son capital y compris la BCE. Chaque État européen y dépose la prime de crédit de sa dette publique. Et chaque banque centrale nationale y dépose la prime de change de la monnaie nationale éventuellement rétablie.

La compensation européenne est l’existence de la loi de la démocratie dans la finance. L’évaluation de tout emprunteur étatique ou bancaire est publique et fondée sur l’égale obligation de toute personne publique ou privée de rembourser ses dettes, de participer à la formation des prix, de justifier le prix de ses engagements et de payer sa contribution fiscale à l’État de droit.

La compensation en euro a pour but de dévaluer les monnaies nationales européennes par rapport à la parité de change de l’euro dans les autres devises. Pour que les dettes publiques soient remboursables, il est impossible de ne pas dévaluer les monnaies qui libellent la dette par rapport aux devises créditrices nettes. Une dette publique se rembourse par le travail et l’investissement des contribuables.

Les pays qui souhaitent partager la même monnaie doivent avoir un trésor public commun contrôlé par un parlement financier commun votant les dépenses, les impôts et les autorisations d’endettement public. Si la France et l’Allemagne veulent conserver une même monnaie, elles n’y parviendront pas sans dessaisir leurs parlements nationaux de leurs pouvoirs budgétaires.

Il n’est pas de démocratie sans finance. Soit les pays de la monnaie unique créent un parlement financier confédéral élu par un corps de citoyenneté unifié, soit ils abolissent le principe fondamental de la démocratie qu’est le consentement des citoyens à l’impôt et à la dépense commune.

Voie intermédiaire : le rétablissement du deutsche mark et du franc conserve les prérogatives financières des parlements nationaux. Le FESF achète les primes de change des monnaies nationales rétablies afin de réguler les parités intra-européennes selon les objectifs économiques partagés, selon les régulations financières effectivement appliquées et selon la discipline budgétaire et fiscale de chaque État.

Quels que soient les choix financiers, monétaires et budgétaires de chaque membre de l’euro, le maintien en l’état de l’organisation de la zone sans régulation bancaire, sans régulation des dettes publiques et privées et sans ajustement des parités monétaires à la solvabilité réelle des emprunteurs de la zone est un suicide politique et économique par négation du réel.

Comme l’Union Européenne est la seule construction politique multinationale fondée sur la démocratie, la responsabilité de l’Union et de la zone euro dans les jours à venir est immense pour le monde. Ou bien les Européens se ressaisissent et construisent un modèle rationnel monétaire, financier et budgétaire de démocratie, ou bien c’est la descente aux enfers pour le monde entier : guerre civile et misère pour toute l’humanité.

Le modèle cosmologique de la raison immanente au monde est caduc. La sélection naturelle est le masque idéologique de la prédation de l’homme par l’homme et de l’homme sur la nature. Plus personne ne peut se soustraire à ses responsabilités. La neutralité est la spéculation des menteurs. L’homme ne peut plus se survivre à lui-même s’il n’apprend à délibérer ouvertement la rationalité de ses choix personnels et politiques.

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