L’actualité de la crise : LES ÉTATS A L’HEURE DE LA FINANCE CRÉATIVE , par François Leclerc

Billet invité

Le président de la Banque Mondiale, Robert Zoellick, a parlé « d’étape importante » et Christine Lagarde, au nom du FMI, a enregistré des « progrès substantiels », relativisant l’euphorie qui a ce matin gagné les bourses, où les valeurs financières font des sauts de cabri, car le pire était craint. Revenu dans les parages, le diable s’est quant à lui à nouveau perdu dans les détails.

Toutes les banques – sauf les grecques, qui vont être nationalisées – jurent leurs grands dieux qu’elles se recapitaliseront sans avoir besoin de fonds publics, oubliant de mentionner les garanties qui sont mises à leur disposition pour aller si besoin sur le marché. L’effort est concentré sur quelques pays, parmi les plus secoués, les banques grecques ayant besoin de 30 milliards d’euros, les espagnoles de 26,16 milliards (dont 14,97 milliards pour la seule Santander) et les italiennes de 14,7 milliards. Cela ne va pas aider les finances publiques de ces pays… Les banques espagnoles contestent ces chiffres de l’EBA (European Banking Authority), cherchant à obtenir que leurs obligations convertibles soient prises en compte dans le noyau dur de leurs fonds propres. Il va y avoir du sport en Espagne !

Prix à payer des nouvelles mesures destinées à éviter son effondrement, la Grèce va passer totalement sous contrôle et devoir trouver encore 15 milliards d’euros en procédant à des privatisations supplémentaires. Il est mis en avant la baisse de la dette grecque, qui passera globalement de 160 à 120 % du PIB (moins 100 milliards d’euros d’annoncés), mais ce calcul tient-il compte des coûts additionnels générés par l’échange des obligations, qui va s’étaler sur 8 ans (d’ici 2020) et le FESF va-t-il fournir pour 30 milliards d’euros de garantie aux banques qui vont participer à l’échange sans contrepartie des Grecs ? Présentées comme techniques, les modalités de cet échange vont être discutées dans les semaines qui viennent, retardant d’autant le bilan de l’accord, à condition que les informations soient rendues publiques… Cela n’a pas été le cas pour la première décote de 21 %. « Les termes et conditions spécifiques de la participation volontaire du secteur privé feront l’objet d’un accord de toutes les parties dans un avenir proche et seront mis en œuvre immédiatement et avec force », a déclaré l’Institute of Internationale Finance.

Le vaste chantier du pare-feu n’a guère avancé. De complexes négociations impliquant les Américains vont devoir être engagées avec les pays du BRICS – en premier lieu la Chine -, lesquels s’attendent à ce que leur participation au sauvetage de l’Europe soit sanctionnée par leur montée en puissance au sein du FMI, dont ils privilégient le rôle dans le dispositif. C’est placer haut la barre et cela augure de longues discussions difficiles, à l’aboutissement incertain. Mais les interrogations sont également d’une autre nature. D’après les renseignements fournis aux députés du Bundestag, le financement du véhicule spécial d’investissement qui ferait intervenir une palette d’instruments financiers des plus divers et risqués. Rappelant étrangement les pratiques bancaires qui croyaient pouvoir annuler le risque, jusqu’au jour il a été retrouvé. Avec ce projet, les États européens se mettent à l’heure de la finance moderne, à contretemps des événements et sans tenir compte de ses leçons.

La mise au point de l’effet de levier destiné aux 250 milliards d’euros du FESF qui sont encore disponibles va de son côté réclamer toute l’attention des ministres des finances européens, le dispositif détaillé étant encore à élaborer. Il s’apparente au mécanisme des rehausseurs de crédit, ces établissements financiers qui, moyennant rétribution, font bénéficier les emprunteurs de leur excellente note, concentrant ainsi les risques des emprunts qu’ils garantissent et en masquant les défauts aux investisseurs. La crise américaine a illustré ce que cela donne quand les choses tournent mal : leur déroute. Dans le cas présent, cela revient à mutualiser les notes des pays en lieu et place de leurs dettes pour rehausser la note des plus mauvais élèves de la classe. La solidité de l’édifice dépend de la note des pays qui le financent, notamment la France…

En réalité, le grand soupir de soulagement que l’on entend s’appuie sur l’idée que la Grèce ne va pas s’effondrer (on en reparlera) et néglige les menaces qui se précisent sur l’Italie et l’Espagne. En remarquant que les nouveaux engagements de Silvio Berlusconi demandaient à être concrétisés et que seule leur application vaudra, les dirigeants européens n’ont pas seulement pris leurs distances, ils ont également manifesté leurs inquiétudes. Une course contre la montre est engagée entre un pouvoir aux aguets, qui cherche à gagner du temps, et la mise sur pied d’un dispositif de sauvetage disposant de la surface financière adéquate.

Une leçon peut sans attendre être tirée de ces dernières folles journées, sous forme de question : combien a-t-il fallu de sommets européens pour trouver un compromis très flou avec les mégabanques ?

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