L’actualité de la crise : ILS JOUENT LEUR VA-TOUT, par François Leclerc

Billet invité

Il y a comme un côté jouer son va-tout dans la semaine qui s’ouvre. En raison de la multiplicité des rencontres et des réunions qui une nouvelle fois s’annoncent, comme de la détermination dont tente de faire preuve Mario Monti afin d’éviter que l’Italie ne succombe à son tour sous les attaques des marchés, finissant par tout faire chanceler.

Timothy Geithner, secrétaire d’Etat au Trésor américain, engage mardi à Berlin une tournée européenne sans précédent, après qu’Angela Merkel et Nicolas Sarkozy auront tenté la veille lundi d’aplanir leurs divergences à Paris, suite à des conciliabules séparés avec David Cameron en fin de semaine dernière. Une réunion des gouverneurs de la BCE se tiendra jeudi à Francfort, et le même jour les dirigeants du Parti Populaire Européen au pouvoir – Angela Merkel, Nicolas Sarkozy, Mariano Rajoy et Donald Tusk (Pologne) – se retrouveront à Marseille, avant que ne s’engage le lendemain le nouveau sommet européen à Bruxelles. C’est un ballet proprement étourdissant, aux résultats risquant de l’être moins.

Cet activisme tous azimuts ne rend pas bien compte de l’évolution du cadre dans lequel la crise européenne se poursuit. Car le système bancaire européen est à son tour durement atteint par la désaffection des investisseurs (au rang desquels ils se trouvent), le désendettement des banques prenant un fort mauvais aspect, après celui des Etats.

Devant faire face à un double crise de liquidité et de solvabilité, les banques rencontrent de grandes difficultés à refinancer leurs opérations à des taux abordables, quand elles le peuvent, le marché interbancaire ne répondant plus à leurs besoins. Elles peinent aussi a renforcer leurs fonds propres, comme déjà évoqué. Ce qui les conduit, faute de mieux, à réduire la taille de leur bilan afin d’améliorer leurs ratios, et les conduit à finalement réduire leurs opérations de crédit. Incitant les dirigeants européens à s’investir sur ce nouveau front qui vient de s’ouvrir en grand.

En effet, le robinet du crédit se ferme progressivement, en dépit des démentis des banques, atteignant en priorité les petites et moyennes entreprises, mais pas uniquement, menaçant de déborder sur l’Europe de l’Est et Centrale, dont les banques sont filiales des établissements occidentaux. Mervyn King, le gouverneur de la Bank of England, s’est déjà publiquement inquiété du risque de credit crunch, qui n’est pas réservé au Royaume Uni. S’il se confirmait en s’accentuant, un plongeon immédiat dans une récession déjà bien proche serait inévitable.

Ceci explique la vitesse avec laquelle des mesures ont été prises afin de soulager les banques, en attendant celles que la BCE devrait annoncer cette semaine, probablement une offre de crédit illimité à un an ou plus, à taux fixe. Sans attendre, cinq banques centrales – la Fed, la BCE, celles du Canada, du Royaume-Uni et de la Suisse – ont annoncé mercredi dernier avoir pris des dispositions afin de permettre aux banques d’accéder à des fonds. On espérait un coup de bazooka en faveur des Etats, il a été tiré en faveur des banques ! La BCE a clairement signifié qu’elle était le prêteur en dernier ressort, mais des seules banques.

Voilà pour la crise de liquidité, car pour celle de solvabilité, les choses sont plus compliquées. Afin de ne pas devoir entrer au capital des banques – comme l’Allemagne vient de se dire prête à le faire pour Commerzbank, la deuxième banque du pays – les États font pression sur les autorités régulatrices pour soulager les obligations de renforcement de leurs fonds propres et de liquidité qui pèsent sur elles. Il est dont actuellement procédé à l’envers, non pas en renforçant les banques, mais en assouplissant la réglementation qui les régit…

L’Autorité européenne des banques (EBA) a ainsi sursis à la publication de son nouveau chiffrage de renforcement, annoncé à la hausse ; le Comité de Bâle n’a toujours pas conclu de son côté ses travaux sur les normes de liquidité. Tous les espoirs sont donc permis pour les banques…

Pour les États, les choses ne se présentent pas de la même manière, on ne s’en étonnera pas. Mario Draghi, le nouveau président de la BCE, a prononcé une allocution au contenu très remarqué. Proposant sous la forme d’un marchandage – d’aucuns diraient sous celle d’un chantage – d’étudier de nouvelles interventions de la BCE, si les États s’achetaient toutefois une nouvelle conduite. L’adoption d’un nouveau pacte budgétaire pourrait ouvrir la voie à d’autres actions de la BCE, a-t-il dit, en ajoutant : « c’est l’ordre qui compte ». La BCE vient donc à la rescousse – non pas en intervenant et en achetant massivement de la dette souveraine, comme de nombreuses voix se sont élevées pour le réclamer – mais en renforçant le camp de ceux qui font de la révision des Traités européens, et de l’adoption d’une discipline fiscale et budgétaire sans concessions, un préalable inconditionnel à toute intervention.

La semaine va donc être marquée par la recherche d’un compromis à ce propos, portant à la fois sur le périmètre de l’accord futur – Union européenne ou zone euro – et sur les mesures disciplinaires en question, les deux étant liés. Pour parler clair, le gouvernement français cherche à se donner des marges de manœuvre ultérieures, tandis que les Allemands tentent de fermer les portes les permettant. Jouant sa partition, la BCE agite par derrière la carotte et le bâton, tandis que le montage impliquant un FMI financé par la BCE semble avoir fait pour l’instant long feu, comme d’autres qui l’ont précédé, en dépit des appels du pied réitérés du premier.

On s’achemine vers un compromis politique sous les auspices d’une « union budgétaire », une prolongation éventuelle du sommet ayant déjà été annoncée, si elle se révélait nécessaire. Mais quelle en sera la contrepartie, car il est fort peu vraisemblable que la seule annonce d’un accord politique endigue les exigences des marchés ? Si cela devait être de nouveaux achats plus ou moins chichement comptés de la dette souveraine par la BCE, quand les situations deviennent trop tendues, la même vaine stratégie serait poursuivie : privilégier la réduction de la dette en additionnant les mesures d’austérité – comme Mario Monti vient de l’annoncer en Italie – en se contentant de contenir à un niveau restant très élevée les taux obligataires.

La semaine qui s’ouvre s’achèvera alors dans l’illusion : celle qu’il est possible d’éviter ainsi de nouveaux incidents concernant l’Espagne et l’Italie. Mais cela sera au prix de mesures de rigueurs toujours plus renforcées, cœur d’une stratégie qui se précise en se généralisant à toute l’Europe, dont l’application est destinée à durer de nombreuses années dans l’esprit de ceux qui la préconisent. Nous entrerons alors de propos délibéré dans une nouvelle période, ceux qui ont failli prétendant encore dicter leurs conditions. Mais la conjugaison de la crise des désendettements public et privé se sera entre temps renforcée… Qualifier de perdition la crise n’était pas hors de propos.

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