RÉPONSE À PIERRE SARTON DU JONCHAY SUR LE DROIT DE PROPRIÉTÉ, par Jean-Luce Morlie

Billet invité

Pierre, je ne sais pas encore traduire votre entreprise dans « ma langue », toutefois il me semble que nous pouvons dialoguer sur les inquiétudes situées aux jointures des articulations entre de nos deux modes de représentation.

Vous écrivez

« Le droit de propriété est ce qui permet à l’individu d’exister dans la société, donc à la société d’être une société et pas une masse librement manipulée par des théocrates. »

Je vous suis entièrement lorsque vous décidez de poser

« que le bénéfice collectif d’une propriété est l’utilisation par le propriétaire de la chose conforme au bien commun. »

J’ajoute, pour éclaircir, que la qualité de l’usage de la propriété privée en vue du bien commun est plus important que la question de sa « quantité maximale », (il y a assurément des limites).

Je défends une position, quelque peu hétérodoxe, sur ce blog, car si l’emprise du 1% sur l’économie mondiale et la marche du monde est un fait indiscutable, et odieux, je ne partage pas l’approche par la solution « nous sommes les 99% », il s’agit, de mon point de vue, de comprendre, comment les 99% ont accepté tout ça et depuis si longtemps.

Aussi, ajouter quelques noms de notables de gauche au Circus Politicus, ne change rien. Par contre, la thèse du fascisme blanc, selon laquelle s’est développé, depuis des décennies, un exercice du pouvoir dont les mécanismes fondamentaux sont la démagogie et la corruption ayant largement pénétré l’épaisseur du corps social me semble beaucoup plus intéressante. L’idée clef étant : nous sommes dedans depuis longtemps et nous n’en sommes pas conscients.

Outre l’impression qu’il donne d’une ambition personnelle appuyée, c’est, à mon avis, la limite de Mélanchon, (beaucoup de bonnes idées , par exemple, c’est pas mal pour le sport) mais, pour passer à 55%, il doit faire croire au 40% qui lui restent à conquérir que eux aussi sont des anges, aussi cette injonction qui, par l’usage de la deuxième personne, « prenez le pouvoir » a de quoi mettre l’eau à la bouche à ceux dont le mode principal de satisfaction du circuit de la récompense est de trouver leur satisfaction dans l’échelle du plaisir hiérarchique- (rien à perdre ;))

§

Il me semble que les questions qui tournent autour de la propriété, relèvent d’une part de l’organisation de la justice sociale et, d’autre part, non pas de l’individu abstrait, mais de la transmission des histoires familiales lesquelles sont, entre autres, matérialisées dans des propriétés dont les individus ne sont que les servants.

Vous partez du schéma :

Droit(matière) + propriété(forme) + prix(fin) = capital(effet)

Cette composition est relativement structurée de façon cybernétique, car le « capital » vient renforcer en boucle les diverses causes, la matière sous forme d’actifs tangibles qui seront réintroduits comme facteurs de production, etc. Il me semble cependant que l’usage d’une syntaxe trop rigide risque de nous empêcher d’avancer, et qu’il est nécessaire d’introduire un niveau d’analyse englobant, c’est-à-dire le niveau de l’État, lequel permet de poser la question de la propriété de l’ÉTAT et de son accaparement, mais aussi celle de notre dépendance et notre enrôlement et dépersonnalisation par un fascisme blanc.

À fin heuristique, je schématiserai trois modalités de la propriété en tant que formes opératoires pour l’exercice de la justice. Ce découpage ne cherche, en premier, qu’à mettre en évidence la montée en puissance de l’ÉTAT et à partir de perte de la totale liberté de la puissance d’agir individuelle sur son propre lopin.

Cela va de : « à chacun un lopin de terre égal ».

En passant par : « l’État s’approprie une partie des fruits du travail de chacun, pour la redistribuer dans le but d’égaliser l’accès à un niveau équivalent de bien-être pour chacun »

Et jusque : « tout est « bien commun », organisons nous démocratiquement pour que la gestion du bien commun ne produise pas d’injustice »

Il y a en ces matières toute une problématique que nous ne pouvons passer sous silence, à moins de verser dans un individualisme méthodologique radical. En effet, l’égalité des chances, la justice sociale, suppose que les individus ne soient pas égalitairement dotés par leur histoire familiale, mais qu’au contraire, ils soient dotés de la seule et même éducation reçue de l’État. Dans une société où toute la propriété serait collective, qu’est-ce qui viendrait compenser les injustices issues de la répartition des talents individuels, car pour qu’une société fonctionne, il faut bien que les talents s’expriment, à moins que l’objectif de cette société soit de se maintenir en équilibre stable à la manière d’une société de cloportes.

Nous voyons assez bien que le communisme débouche assez facilement sur une bureaucratie, et nous ne savons pas autrement que par des incantations à l’homme nouveau et à la sainteté du prolétariat, comment ne pas retomber dans les mêmes travers ?

Pour ce qui nous concerne maintenant, nous peinons à percevoir que la redistribution produit une classe sociale de redistributeurs, laquelle se construit transversalement aux hiérarchies sociales et concentre son pouvoir, en instrumentalisant l’État, comme le montre la prise de pouvoir la superclasse bruxelloise, (Circus Politicus) sur la Grèce, mais aussi à la prise de pouvoir par la « clientélisation de la société carolorégienne », comme partout. Ce pouvoir que s’approprie la classe des redistributeurs devient sa raison d’être, ce qui suppose la reconduction des injustices contre lesquelles la redistribution est supposée lutter.

Plus grave encore, de ce fait, l’idée du recours à la situation d’affrontement pur entre bourgeois et prolétaires devient un schéma désormais inopérant. Le jeu de la « lutte des classes » se joue désormais à trois et dans l’ignorance que nous sommes d’être, depuis longtemps , plongés dans un fascisme blanc.

Nous avons toutefois sur ce blog, bien progressé. Les six mesures retenues par Paul cassent les principaux effecteurs du runaway financier, pourtant, les caractérisations des positions de Paul introduites par Vigneron et Marlowe comme communisme ou libéralisme « moderne », me semblent marquer, de part et d’autre, une volonté inconsciente de réductionnisme. Allez Vigneron sortez vos petits poings.

Le réductionnisme consiste à refuser d’envisager la commande extérieure d’un niveau d’organisation, et à réduire l’explication d’ensemble au fonctionnement d’un seul niveau d’organisation. Expliquer le social par le social comme le préconise Durkeim, fort bien, mais Paul ne suppose pas que la compréhension des mécanismes financiers suffit à expliquer l’ensemble du système social, c’est une évidence. En plombier qui voit avec précision les causes de la fuite, il cherche à réparer avant que le plancher ne lâche.

L’étape réductionniste est nécessaire à la compréhension ultérieure des niveaux englobants, lesquels commandent le niveau financier et, dont le groupe social qui contrôle le second niveau, plus politique, s’arrange pour laisser pisser la fuite au niveau inférieur et préparer la solution qui lui convient au niveau supérieur.

Pragmatiquement, l’attitude de P. Jorion me semble intéressante, car elle permet de distinguer ceux qui souhaitent l’effondrement du plancher et qui ne désirent surtout pas faire état que ce que le cadre néolibéral est déjà « contrôlé de l’extérieur », c’est-à-dire dans la perspective que j’adopte, « de l’intérieur par le fascisme blanc ».

Ne pas parler du niveau qui contrôle le cadre actuel permettra de prendre le contrôle des ruines, ou, tant qu’à faire, de se voir attribuer un strapontin dans l’opération d’ensemble qui offrira « à tous » de reconstruire un semblant d’ordre social bien ordonné en prenant, dans les décombres chacun à sa façon, et, dans la tension dramatique d’un spectacle bien organisé autour du « soin du peuple ».

Pour dire les choses sous un autre angle : dans une première étape, il était nécessaire de montrer que la structure du capitalisme piège l’accumulation d’argent dans la boucle autoréférentielle de l’intérêt pour l’intérêt. D’un point de vue méthodologique et pédagogique, il était donc légitime que Paul découple la corruption de l’analyse économique et la situe provisoirement comme donnée de la nature humaine.

L’approche inverse, et complémentaire, était, d’entrée de jeu , également éclairante, ainsi Jean de Maillardl’Arnaque a montré comment l’organisation systématique de la déviance fut une nécessité systémique de la survie du système financier dans l’enchaînement des crises démarrées à partir des Savings and Loans. Dans l’analyse de Jean de Maillard, l’organisation systématique de phases de déviance par rapport aux normes est sitôt suivie de l’institutionnalisation des formes déviantes (grâce au silence obtenu par la corruption de ceux qui devraient à chaque étape s’opposer). Dans cette perspective, la corruption est une nécessité systémique, et non pas « une donnée contingente de la nature humaine » qu’il conviendrait seulement d’encadrer. Dans ce sens, la propension à la déviance de la nature humaine serait instrumentalisée comme par les nécessités de la survie systémique du sous-système financier.

Toutefois il est également vrai que notre mode particulier de satisfaction du circuit de la récompense instrumentalise, ô combien, l’organisation de l’économie en raison de la téléonomie de son mode actuel de structuration.

La bonne nouvelle c’est que nous pourrions changer tout çà, si nous choisissons la justice comme cause finale, comme téléonomie du système social global, augmenter sérieusement les salaires, organiser le travail avec pour finalité du travail d’en faire une joie pour chacun, mais aussi expliquer au 99% pourquoi et comment ils ne sont pas des anges non plus, voilà il me semble le travail qui reste à faire, taire ce dernier volet, serait nous condamner à la répétition et à la généralisation du fascisme blanc.

« Nous parlons de fascisme blanc parce que les régions des sous-pouvoirs et des surprofits, parce que les zones noires et subreprésentatives qui échappent à la souveraineté juridique de l’État ont réussi à modifier celui-ci dans une direction qui amène les gouvernements à être dirigé par les partis tandis que ceux-ci sont contrôlés, c’est-à-dire financés par de l’argent noir, délinquant. En Belgique la corruption (je ne dis pas l’enrichissement personnel) est une condition de l’exercice du pouvoir : fascisme blanc et non pas « noir ou brun », parce que l’État, bien qu’instrumenté par les partis, n’est pas une caisse de résonance totalitaire, fermée sur soi, autarcique ; il est tout entier déporté, emporté par une économie mafieuse, dispersée, diffuse, instable et déstabilisatrice qui agit dans l’épaisseur du corps social.

Marcel Paquet, le Fascisme Blanc, mésaventure de la Belgique

Pour mémoire en 1984 déjà l’ouvrage de René-Pierre Hasquin « Jean-Claude Ier de Carolorégie » montrait la résistible ascension du « mode Van Cauwenberghe » de socialisme ; comme dit Godard « aujourd’hui ils sont sincères ». En pleine tourmente des affaireS, Van Cau déclarait en substance, naïvement et sincèrement : la justice n’a pas à me reprocher quoi que ce soit, je représente le peuple et la justice est à son service. Le plus inquiétant est que si l’équipe des affaires (ils sont 24) est en cours de jugement, le clientélisme de base semble poursuivre l’affirmation de ses droits auprès des nouvelles équipes, affaire à suivre !

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