Billet invité
Croissance, le mot magique est revenu au premier plan de l’actualité : Mario Draghi l’a prononcé en évoquant un « pacte pour la croissance » inédit ; il a fait son entrée dans la campagne électorale française ; un dîner informel imprévu des chefs d’État et de gouvernement pourrait lui être consacré en juin prochain.
Herman Van Rompuy, le président de l’Union européenne, a pourtant douché les espoirs en s’en prenant aux « demandes schizophrènes » des marchés qui exigent simultanément rigueur et croissance, car les Européens n’ont « quasiment aucune marge de manœuvre pour faire de la relance ». En tirant comme conclusion que « les réformes structurelles feront la différence dans la durée » et que « il n’y a pas de formule magique ».
Pourtant, si débat à nouveau il y a, c’est que le sentiment se développe parmi les dirigeants européens qu’il faut faire quelque chose, mais quoi ? La décision de Standard & Poor’s de dégrader de deux crans la note de l’Espagne vient de sonner comme un nouvel avertissement. L’adoption à la va-vite par le parlement hollandais et par une majorité improvisée de nouvelles mesures d’austérité n’efface pas le choc qu’a créé la chute du gouvernement et, en général, la crainte occasionnée par la montée du « populisme » en Europe. Ni les inquiétudes relatives à la baisse de la croissance chinoise, hier présentée comme allant tirer celle du monde entier.
Quoi qu’en dise la BCE, qui a voulu rectifier le tir devant l’ampleur des réactions suscitées par la déclaration de Mario Draghi, celui-ci a créé une ouverture tout en réaffirmant le fond de son discours habituel : la croissance est indispensable mais il faut la trouver grâce à des réformes structurelles. Angela Merkel n’a pas manqué de le réaffirmer, ainsi que Mario Monti, qui voudrait bien y ajouter un petit quelque chose. Tout en répétant que « l’Europe doit continuer d’éviter des politiques qui donnent l’impression de relancer la croissance de manière éphémère », procurant des « résultats illusoires », il a appelé à des investissements dans les secteurs de l’énergie et dans les infrastructures, car les réformes structurelles « ne sont pas suffisantes en elles-mêmes ». José Manuel Barroso et Mario Monti tentent de trouver un compromis en publiant un communiqué commun dans lequel ils affirment que « la croissance doit se faire en se concentrant progressivement sur la compétitivité et non en augmentant les niveaux d’endettement » ajoutant que « la rigueur budgétaire devrait aller de pair avec des investissements ciblés, afin de stimuler la compétitivité et de favoriser la demande à court terme ». Des mots, à ce stade !
Michel Barnier, le Commissaire européen au marché intérieur, a de son côté estimé que « si nous voulons que cet agenda de régulation et de gouvernance réussisse [le traité en voie de ratification], il faut qu’il soit compris et soutenu par les peuples, donc on doit l’accompagner d’un agenda de croissance ». En excluant toute mesure de relance budgétaire et en rappelant que la Commission est favorable à la création de « project bonds » – des euro-obligations au nom masqué destinés à financer des infrastructures – ainsi qu’en faisant appel à l’initiative de la Banque européenne d’investissement. Se situant ainsi sur le même terrain que François Hollande et les principaux points de son projet de mémorandum.
Alain Lamassoure, le président de la commission budgétaire du parlement européen, ne s’y est pas trompé en s’exclamant à propos des mesures préconisées par François Hollande « Tout ça pour ça ? », au diapason des réactions de perplexité bruxelloises que celles-ci ont suscité, car elles ne font que reprendre les propositions connues de la Commission, comme l’a remarqué l’un de ses porte-parole.
S’agirait-il donc de l’une de ces écumes politiques qui se payent de mots ? D’une tentative de trouver des points d’appui pour négocier des marges de manœuvre dans un contexte qui n’en dispense pas ? Difficile de nier qu’il y a de cela, mais faut-il s’en tenir à cette seule clé d’analyse ? La « schizophrénie » dont font preuve les investisseurs et que déplore Herman Van Rompuy n’en est pas moins établie. En voulant tout et son contraire, ceux-ci n’apportent aucune solution à l’échec patent de la stratégie qui est poursuivie mais n’en expriment pas moins la nécessité.
Alors que se prépare le sauvetage des banques espagnoles, Mario Draghi réclamant la constitution d’un organisme européen dédié à cette mission, les analystes financiers s’interrogent à propos des fonds de la BCE restant disponibles – sur les mille milliards d’euros injectés – qui permettraient aux banques de continuer à soutenir les émissions espagnoles et italiennes dont les taux montent à nouveau. Selon leurs pointages, il semble que l’État italien, dont le programme de refinancement de la dette est le moins avancé et les besoins les plus importants, ne soit pas dans la meilleure posture. Mario Draghi ne pouvant pas si rapidement remettre le couvert avec un troisième round massif de prêt, une autre solution doit donc être dégagée, reposant sur un financement public. Une perspective que le porte-parole d’Angela Merkel, Steffen Seibert, vient de repousser en niant tout projet, groupe de travail européen ou négociation à cet égard.
Comment briser ce cercle vicieux, qui veut que les banques et les États en s’aidant mutuellement ne font que s’enfoncer ? Par la croissance ? Comment la financer alors qu’il se confirme que les banques restreignent le crédit, toutes préoccupées par la diminution de la taille de leur bilan, l’accroissement de leurs fonds propres et la satisfaction de leurs besoins de refinancement ?
On est pourtant loin de la reconsidération stratégique qui s’imposerait. Celle qui a été adoptée conduit irrésistiblement à une récession de longue durée, considérée comme un mal regrettable mais nécessaire par ceux qui se drapent dans le réalisme. Comment espèrent-ils sortir de ce tunnel ? Grâce à une nouvelle compétitivité résultant de la diminution du coût du travail, cette terrible expression à qui il ne manque que l’ajout du qualificatif « vrai », qui est venue rejoindre celle de la fatalité de la destruction des emplois.
L’invocation de la croissance est un geste de plus et de trop. En ce sens que, prétendant définir une stratégie alternative, elle n’est pas plus réaliste que l’actuelle. D’un certain point de vue, les dirigeants allemands n’ont pas tort en mettant l’accent sur la contraction prioritaire de la dette, mais ils sont dans l’erreur à propos des moyens qu’il faut employer et dans le déni quand ils ne parlent que de la dette publique. Car ils sont les premiers à financièrement soutenir leurs banques, comme vient de le mettre en évidence Eurostat.
Ce n’est pas seulement le financement de la croissance qui est en question, c’est sa nature. Mais les deux sont liés, car reposant sur une redistribution de la richesse. Celle-ci devrait prioritairement résulter d’une réforme de la fiscalité, touchant notamment aux revenus financiers, ainsi qu’à des mesures interdisant aux entreprises et établissements financiers l’accès aux paradis fiscaux afin qu’ils n’échappent pas à l’impôt. En créant du pouvoir d’achat et en le dirigeant vers la satisfaction de besoins criants, on soulagerait d’autant les finances publiques tout en garantissant un modèle social devenu variable d’ajustement.
Fin mars, l’Espagne connaissait un taux de chômage de 24,44 % et de 52 % chez les jeunes. Ce matin, les taux obligataires espagnols et italiens grimpaient tandis que celui de l’Allemagne baissait, signe également de crise montante. Le gouvernement allemand vient d’assurer l’Espagne de « sa confiance et son respect »…
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