L’actualité de la crise : FAUSSES PISTES, par François Leclerc

Billet invité

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Croissance est un mot magique qu’il suffit de prononcer pour que tout redevienne comme avant. C’est tout du moins ce que les quatre dirigeants européens réunis hier à Rome semblent croire en annonçant le chiffre de 120 à 130 milliards d’euros pour la relancer, un montant qui aurait été astronomique il y a encore quelque temps et qui paraît malheureusement un peu dérisoire aujourd’hui.

c’était le seul sujet, soit dit en passant, sur lequel ils auraient pu se mettre d’accord, avec une taxe sur les transactions financières – qui sonne bien dans les communiqués, mais pas dans les poches. Le principal centre financier européen, la City de Londres a refusé à l’appliquer, refus qu’ils se sont contentés d’entériner.

On aura décidément tout vu et tout entendu. Tout ce qui permet de mettre l’accent sur l’accessoire pour pouvoir oublier le principal. En Europe, ce sont les déséquilibres de compétitivité, qu’il faut redresser et les États qui doivent retrouver le chemin de la vertu. Aux États-Unis, c’est un autre déséquilibre : celui qui résulte de la sous-évaluation de la monnaie chinoise, le yuan. Autant de causes qu’il serait nécessaire de combattre pour tout régler… et ne pas s’attaquer à l’essentiel : le déséquilibre du système financier lui-même.

Dans le cours d’un processus de désendettement qui s’est engagé sans crier gare pour ceux que cela dérangeait, l’accent a été mis en priorité sur celui des États. Non sans raison : la consolidation du système financier le réclamait, la dette souveraine étant son important pilier. Puis, celle-ci n’étant plus assortie du risque zéro et subissant d’importantes tensions sur les marchés dues aux hauts et surtout aux bas de ce désendettement, le renforcement des établissements financiers est redevenu une nécessité que l’on avait cru pouvoir écarter – non seulement les banques mais également les compagnies d’assurances jusque-là épargnées. Un rééquilibrage stratégique doit aujourd’hui être opéré, ce qui ne va pas sans mal comme on le constate.

Moody’s a dégradé jeudi quinze mégabanques mondiales, dont Bank of America et Citigroup, mais aussi BNP Paribas, Crédit Agricole et Société Générale. Trois banques britanniques, deux suisses et une allemande sont dans le lot. Chacune en prend pour son grade, en fonction de ses petits défauts que l’agence de notation détaille. Conscients qu’ils avaient mis la barre trop haut, aidés à le comprendre par leurs interlocuteurs bancaires qui faisaient leur siège, les régulateurs internationaux envisagent d’ailleurs d’assouplir le cadre réglementaire de Bâle III, principalement sur le chapitre des règles de liquidité, qui doivent leur permettre de tenir le choc pendant trente jours en cas de coup dur. La liste des actifs que les banques doivent détenir à cet usage va être rallongée.

Mais cela ne suffira pas. C’est pourquoi le FMI vient d’appeler les Européens à créer sans attendre une « Union bancaire » dans la zone euro. Ce projet qui fait pour le moins débat vise à créer un fonds permettant de renflouer les banques qui font défaut grâce à la mutualisation de leurs efforts. En omettant de mentionner que le compte n’y sera pas et que l’aimable participation des banques centrales – ces sauveurs suprêmes – sera réclamée afin de l’abonder. Dans l’immédiat, la BCE va se voir confier la supervision des banques, au détriment de l’EBA, l’autorité européenne des banques, le secret sera bien gardé et la banque centrale sera à pied d’oeuvre.

Tel que nous la voyons difficilement à l’ouvrage, la stratégie de désendettement qui est poursuivie procède d’un paradoxe de taille : pour assurer le désendettement, il faut à nouveau s’endetter. Procéder sans le dire à une restructuration soft, celle qui rallonge le calendrier de remboursement mais ne touche pas au principal, le capital.

Ou, dit autrement, dans un monde où les réserves financières sont gigantesques mais pas là où il faudrait, il est attendu et préconisé d’en créer davantage, en demandant aux banques centrales de faire le nécessaire. En prenant le chemin inverse de celui qu’il faudrait emprunter, qui consisterait à reconnaître que la sphère financière ne peut plus continuer à croître comme elle l’a impétueusement fait ces dernières décennies, mais qu’elle va au contraire devoir connaître une forte contraction. Et pas sous la forme du lent désendettement maitrisé qui est recherché, qui consiste à ponctionner à nouveau le système et les agents économiques, en dernière instance les salariés. Car la rente est à l’abri.

L’ultime recours représenté par les banques centrales représente une échappatoire de plus. Une fois encore, il permet de nier le dysfonctionnement établi d’un système dont le modèle économique – pour parler moderne – est grippé et doit être changé. Karl Marx appelait « mode de production » les systèmes économiques et ne pensait pas que le « capitalisme » était l’ultime représentant de leur lignée…

Durer et gagner du temps sont les maîtres-mots d’un univers en folie, en espérant qu’il va par lui-même retrouver son équilibre, de part la magie d’une croissance à nouveau invoquée. Car, s’il devait en être autrement, nous serions non seulement au bord du vide mais aussi placés devant l’inconnu. Par quel modèle économique et de société, en effet, faudrait-il remplacer celui qui est à bout de course ? Cette insidieuse question fait son chemin dans les esprits, à la faveur de l’effritement des certitudes et de la mise en cause, dans le déroulement des faits, de la bonne parole et des idées toutes faites qui se défont. Cela prend aussi du temps, car elles étaient depuis le temps gravées et considérées comme intangibles. Néanmoins, les idées peuvent devenir des forces matérielles, comme disait également le grand pestiféré de la science économique.

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