Billet invité. Dans le billet qui suit, François Leclerc écrit : « Toutefois les mêmes Allemands font un total contre-sens, ne voyant pas que le danger qui se profile est celui de la déflation, pas de l’inflation ». Personnellement, je n’écrirais jamais rien de pareil : les tensions déflationnistes et inflationnistes se développent parallèlement, bien malin celui qui dira de quel côté l’élastique se tendra d’abord, avant de péter ensuite. Si j’ai bon souvenir, j’ai dit ce qui précède pour la première fois publiquement dans une émission de France Info en juin 2009. L’Allemagne possède en ce moment, en la personne de Jens Weidmann, Président de la Bundesbank, l’un des très rares économistes qui comprennent véritablement la fonctionnement de la finance. Je suis persuadé que les faits lui donneront raison, quel que soit le niveau des ricanements que l’on entend en ce moment à son sujet dans la presse internationale.
Le gouvernement allemand et la Bundesbank n’ont pas tort de réclamer des États européens qu’ils cessent de creuser leur déficit structurel. Cela les mène directement dans les mains des marchés ou les conduit à attendre de la BCE un miracle. Toutefois les mêmes Allemands font un total contre-sens, ne voyant pas que le danger qui se profile est celui de la déflation, pas de l’inflation.
Ils sont également dans l’erreur en voulant imposer la rigueur budgétaire pour réduire le déficit et des réformes libérales du marché du travail pour relancer l’activité économique à l’exportation, sur leur modèle. Les révélations sur la fiscalité des entreprises transnationales, les havres que sont les paradis fiscaux et l’évasion des grandes fortunes montrent que rien ou très peu n’est fait côté recettes, sauf pour parler de privatisations. La raison en est simple : par construction, le système financier a deux faces, dont l’une est cachée, et cela ne doit pas changer.
Une mise à plat de la nature des dépenses et des activités que l’État doit prendre en charge s’impose également. Elle repose sur la définition du périmètre des « biens publics », logiquement financés sur fonds publics. Au débat sur le plus ou moins d’État doit être substitué un autre sur le mieux d’État. Ainsi que sur une conception de celui-ci reposant sur l’auto-organisation de la vie économique et sociale qu’il aurait pour tâche de favoriser et d’encadrer, car l’État n’est pas une finalité en soi, il n’est qu’une forme d’organisation de la société en rien intangible. Comme le système dont il est aujourd’hui l’émanation.
Les gouvernements européens ne tirent aucune leçon de la crise financière qu’ils s’efforcent d’endiguer, pour preuve la disparition de tout débat – à peine engagé – sur ses origines et la mise en avant de causes subalternes, aujourd’hui les défauts d’une construction européenne inachevée. La stratégie de sortie de crise qu’ils préconisent ne s’attaque pas aux sources des dysfonctionnements qui perdurent, avec comme objectif de préserver le système de toute reconsidération d’envergure.
Ils font non seulement de la mauvaise économie, mais aussi de la mauvaise politique. Dans ce domaine, ils s’engagent dans une autre fuite en avant, renouant avec une vocation européenne perdue de vue au profit de l’élargissement d’une zone de libre-échange. Dans ce nouveau cadre à construire, ils privilégient la défense des intérêts de leur propre pays, animés par un réflexe d’auto-protection dérisoire dans un système économique et financier ayant atteint un grand degré d’intégration.
Naviguant à vue dans un épais brouillard, les équipes gouvernementales ont des marges de manœuvre très réduites, dépassées par les mécanismes et la profondeur de la crise. Elles improvisent et tentent de faire bonne figure en adoptant des postures avantageuses, sans parvenir à combler leur déficit de crédibilité, relayées par des médias ne se relevant pas du conformisme. Ainsi que constaté dans plusieurs pays, le vide politique qui en résulte est générateur de phénomènes inquiétants et malsains, qualifiés de populisme par ceux qui amalgament extrême-droite et contestation du système, exprimant ainsi leur dédain de la populace.
Ce que l’on a coutume d’appeler l’opinion publique, en référence aux sondages du même nom – ou bien les électeurs, quand viennent le temps des consultations – est-elle pour autant dupe ? Le décompte des manifestants n’en rend pas plus compte que les résultats des élections, car ce ne sont plus par ces canaux que s’expriment prioritairement le rejet et la révolte, le désenchantement, le repli ainsi que les attentes. Moins apparente mais indéniable, l’évolution des esprits est plus profonde, la mesure n’en est pas facilitée.
La dynamique de la crise ne faiblit pas, car elle est son propre moteur, elle continue de se propager au sein du système financier. Une longue période récessive d’une durée inconnue va résulter, aux accidents de parcours près, de la stratégie de désendettement adoptée. Mais il est déjà acquis qu’il ne sera pas possible de relancer au même régime la machine à fabriquer de la dette. À l’inverse, la distribution inégalitaire de la richesse se poursuit, comme on peut le constater.
Un monde globalisé s’esquisse où la frontière entre richesse et pauvreté ne passe plus entre le Nord et le Sud mais traverse chaque pays, développé ou émergent. Un monde où le déclin des classes moyennes est entamé d’un côté, tandis que dans l’autre elles se développent, où la confiscation de la richesse va reposer davantage sur l’accès protégé aux ressources de la planète, la base de la grande inégalité de demain. C’est en tout cas la promesse qui nous est implicitement faite.
206 réponses à “L’actualité de la crise : MAUVAISE ÉCONOMIE, MAUVAISE POLITIQUE, par François Leclerc”