Billet invité.
Lentement mais surement les temps changent, même dans le monde traditionaliste des banques centrales. La Fed a dernièrement ouvert la danse en engageant un nouveau programme illimité dans le temps – et donc dans les montants – d’achats de titres obligataires ou hypothécaires. Faisant dire à certains que la Fed avait fait le choix de l’inflation pour résoudre le lancinant problème de la dette américaine, que les gouvernements repoussent en continuant à l’augmenter.
Apportant de l’eau à leur moulin, on vient de lire sous la plume de Mervyn King, le gouverneur de la banque d’Angleterre, qu’il est parfois nécessaire de mettre entre parenthèses la mission de base qui consiste à contenir l’inflation. Maintenir la stabilité financière passe-t-il toujours, s’interrogent d’ailleurs de nombreux économistes britanniques, par le maintien de la stabilité des prix ?
De son côté, le gouvernement japonais vient de renouveler ses pressions sur la Banque du Japon, afin qu’elle prenne de nouvelles mesures d’assouplissements, en envoyant l’un de ses ministres assister à son comité de politique monétaire. Il est confronté à la tâche impossible de réduire l’énorme dette du pays ainsi qu’à la poursuite de la déflation, la faiblesse orchestrée du dollar ayant pour effet de renforcer le yen et de pénaliser les exportations japonaises, atteignant une croissance dont la stagnation de poursuit (+0,2% entre avril et juin). La BoJ venait pourtant d’augmenter à nouveau son enveloppe destinée à l’achat d’actifs, qui est désormais de 800 milliards d’euros.
Enfin, la BCE s’est comme on sait engagée dans un nouveau programme – pour l’instant virtuel – qui ne fixe pas, à l’instar de la Fed, de limite à des achats de titres souverains, une forme déguisée d’assouplissement quantitatif et dans les faits une aide fiscale aux États indirecte bien que conditionnelle.
Les bilans des banques centrales enflent et une question s’impose : ne sont-elles pas en train de jouer avec le feu de l’inflation ? Certains le craignent, comme les dirigeants de la Buba (Bundesbank), et tentent de freiner les velléités de la BCE, d’autres mettent l’accent sur le danger de la déflation, faisant valoir qu’elle est aux portes. Ils s’inquiètent de la possibilité de voir d’autres pays tomber à la suite du Japon dans la trappe à liquidité, et jouent au jeu des similitudes avec ce pays pour le vérifier.
Celles-ci sont en effet nombreuses : l’existence d’une importante dette privée et publique; la chute des valeurs boursières qui résulte du désendettement privé; une stagnation économique, voire une récession, destinée à durer et due au long désendettement public; le soutien indéfectible des banques par la banque centrale; l’apparition de taux très faibles et même négatifs pour les titres obligataires de certains pays; un taux directeur nul ou proche de zéro des banques centrales (même pour la BCE, si l’on considère son taux net, hors inflation, celle-ci résultant pour l’essentiel de la hausse du prix de l’énergie).
La comparaison ne s’arrête pas là. La BCE a en effet mis en place un circuit identique à celui de la BoJ. Elle achète aux banques les titres de la dette publique – dont la valeur diminue quand leur taux monte – et prête en contrepartie des liquidités à bas prix. Puis elle emprunte aux banques à un taux plus élevé une partie importante de ces liquidités; l’autre partie leur sert à acheter des titres de la dette de leur pays à bas prix, qui sont utilisés comme collatéral auprès de la BCE. Si l’on poursuit l’analyse de ces flux, on enregistre que ces achats de titres ne bénéficient qu’à la marge à l’économie de ces pays mais servent à rembourser les créanciers, c’est dire les banques elles-mêmes ! L’aide aux États est une nouvelle forme d’aide à celles-ci, notamment les allemandes (qui sont aussi des importants clients des prêts de la BCE).
D’où provient cette appellation de trappe à liquidité ? De la prédiction par Keynes que lorsque les taux descendent sous un certain seuil, le détenteur de capital préférera conserver celui-ci sous sa forme d’argent liquide (immédiatement disponible pour un quelconque usage) plutôt que de le prêter, un phénomène qui a aujourd’hui pour effet que les liquidités déversées par les banques centrales dans le système financier ne sont pas investies dans l’économie. Elles lui sont finalement restituées par les banques, après avoir servi à des spéculations purement financières – nettement plus rentables – afin d’améliorer leur résultat et renforcer leurs fonds propres. Ce retour des liquidités permet à la BCE de prétendre qu’elle stérilise ses injections monétaires, afin qu’elles ne soient pas inflationnistes, mais réalité elle n’est pas de son fait.
Si la déflation n’est pas constatée sur les prix à la consommation, elle l’est sur les prix des actifs ! De la même manière, mais inversée, que l’inflation portait auparavant sur les actifs et non sur les prix à la consommation. S’il est impossible de prédire ce qui, de l’inflation ou de la déflation, va prévaloir dans le chaos financier actuel, on peut souligner la conjugaison des phénomènes qui pourraient faire du Japon non pas une exception mais un précurseur. En constatant également que la tendance générale est à la baisse continue des perspectives de croissance économique, la dernière prévision en date provenant des instituts de recherche allemands qui n’accordent plus que 1% de croissance au PIB allemand en 2013, au lieu des 2% précédents. Certes, la combinaison de la stagnation et de l’inflation – la stagflation – est aussi une option, mais toutes les conditions semblent réunies pour que les tendances déflationnistes se poursuivent.
La réponse qui sera apportée à cette question n’est pas sans importance : une montée brutale de l’inflation pourrait à un moment donné effacer le trop plein d’une dette que l’on ne parvient décidément pas à résorber, ce qui pourrait finalement être considéré comme un moindre mal, comparé à une restructuration de la dette. Mais si les tendances déflationnistes devaient perdurer et s’installer, l’exemple japonais est là pour montrer que nous entrerions nous aussi dans des « décennies perdues « . Empêchant, comme c’est le cas au Japon, la réduction d’une dette qui continuerait à grossir et approfondissant la crise sociale entamée.
Afin de tenter de réduire cette dette, le gouvernement japonais va finalement se décider à doubler la TVA (qui est actuellement de 5% seulement), mais le surcroît de recettes fiscales qui va en résulter sera consacrée à financer les programmes de santé destinés à une population vieillissante, tandis que la population active va diminuer, et les recettes fiscales d’autant. Conclusion : le déficit primaire sera réduit mais pas résorbé, la dette continuera d’augmenter, bien que plus lentement. Les taux obligataires japonais finiront par monter, la dette ne pouvant plus être exclusivement financée en interne, augmentant le déficit et créant une spirale descendante.
Comment se débarrasser de la dette est décidément une question sans réponse.
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