PEU D’AUTRE CHOIX SINON UNE NOUVELLE VISION DE L’EUROPE, par Michel Leis

Billet invité.

Ce qui me semble laisser un grand vide dans le paysage, c’est le quoi faire ? C’est la grande différence avec le milieu du 19e siècle. Au-delà de la critique, de nombreux auteurs avaient proposé des solutions et des utopies qui ont créé les conditions d’une autre vision du progrès, le progrès social. À l’heure où le progrès économique est en train de devenir un moloch auquel on sacrifie le plus grand nombre et où le progrès social n’est plus qu’un lointain souvenir, la tentation est grande de revenir vers les analyses du passé qui n’ont rien perdu de leurs pertinences. Il y a pourtant un problème de taille, ces projets ont connu un début de mise en oeuvre, même si ceux-ci ont été (à quelques rares exceptions près) le plus souvent très loin des idées de leurs concepteurs. Il est temps d’acter l’échec des constructions alternatives et de la mise en oeuvre des idées et des utopies du 19e.

S’adresser aux Européens me semble être la bonne direction. L’Europe peut être la pire des choses quand elle est au servie des intérêts particuliers, mais le retour à des solutions nationalistes ne peut que compromettre sa seule réussite qui est d’avoir construit un espace de paix relatif. De plus, la gestion des ressources rares et des biens communs ne peut s’envisager que dans un contexte plus large. La grande faiblesse du discours européaniste, c’est d’être tenu par des partis qui ont avant tout des intérêts nationaux et qui construisent des discours sur une vue locale. Poser une nouvelle vision politique européenne s’expose pourtant à trois grandes difficultés : la parcellisation, la simplification et la centralisation. 

La parcellisation, parce que la division des problèmes génère des réponses locales là où il devrait avoir une approche globale. Nommer les crises (la crise de la dette…), c’est laisser le champ libre aux experts en ce domaine. Cette spécialisation empêche de comprendre des interactions qui sont pourtant centrales dans la mécanique des crises. Diviser pour mieux régner ? La parcellisation des problèmes, ne serait-ce pas le détour choisi implicitement par les élites, une approche qui permettrait de multiplier les contraintes et de faire émerger une dictature du « pragmatisme » économique.

La simplification est l’écueil opposé. Elle donne l’avantage d’une compréhension par le plus grand nombre, mais elle est exposée à la même difficulté que celle évoquée précédemment. Une solution simpliste à un problème simplifié ne peut que générer des effets de bord dévastateurs (pour ne pas parler de la tentation nationaliste ou de la stigmatisation). Une approche globale ne peut faire l’impasse sur la complexité des problèmes posés et l’interaction entre les solutions proposées.

Enfin, la centralisation reste par trop associée à l’échec des tentatives de mise en oeuvre des solutions évoquées plus haut. Synonyme d’une bureaucratie envahissante, elle contraint l’innovation, c’est un fonctionnement par nature antidémocratique qui réduit la créativité aux interstices du système. Cette créativité est pourtant l’un des moteurs de l’économie positive qui a animé les débats ces dernières semaines sur le blog.

Les interactions sociales et économiques sont avant tout une question de rapports de force, auquel s’ajoutent les rapports de force entre États qui contribuent tant au désordre européen. Pour définir un projet politique européen crédible, laissons de côté les utopies. Au-delà d’une vision générale : modèle fondé sur un rééquilibrage entre les régions, entre les individus, gestion raisonnée des ressources rares, partage du travail… il faut décliner cette vision dans toute sa complexité et tenter de définir les nouvelles règles du jeu en des termes extrêmement précis. Cadre social, fiscal, comptable, concurrentiel, industriel, écologique, tout doit être détaillé. Cela me semble être le seul exercice indispensable aujourd’hui. Faute de donner une image cohérente et complète de ce que pourrait être une autre Europe, la moisson (qui par nature doit être organisée) envisagée par d’aucuns pourrait se transformer en un vaste brûlis. 

 

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