Billet invité
BANGLADESH – Gagnant provisoire de la compétitivité. Difficile de faire mieux ou pire. Ce pays émergent, comme Venise, est toujours à deux doigts de sombrer. Essentiellement limoneux, désespérément bas et plat, il est complètement désarmé face aux moussons violentes, aux débordements des deux fleuves monstres (le Brahmapoutre et le Gange) qui le traversent, s’y épanchent, s’y étalent (0,005 % de dénivelé entre leur entrée dans le pays et leur embouchure) et s’y rejoignent, et à la montée du niveau des océans due au bouleversement climatique [1]. Complètement désarmé ? Pas tout à fait. Il a pour défenseur historique le tigre, second prédateur de l’homme, après l’homme. Pas de chance, le repaire du tigre du Bengale est la mangrove des Sundarbans, qui subit la double pression de mâchoires des eaux et des hommes [2]. Il existe un prédateur plus redoutable que le tigre : le fabriquant de prêt-à-porter, qui piste la main d’oeuvre bon marché. Le Bangladesh est le deuxième exportateur de vêtements au monde. Le textile y est quasiment une monoculture d’exportation (80 % du total). Le salaire de base mensuel des trois millions d’ouvriers du secteur est de 3000 taka (38 dollars US), un des plus bas au monde, tellement bas que les patrons chinois s’avouent battus… à plate couture. En juin 2013, les syndicats du textile – on ne sait par quel miracle ils n’ont pas été dévorés -, dans le sillage de manifestations diluviennes, de grèves et d’incendies d’usines, ont demandé que le salaire minimum soit porté à 8114 taka (100 dollars US). Cris d’épouvante du patronat : la conjoncture est mauvaise, vous n’y pensez pas ! Et puis une hausse de salaire dans un pays comme le Bangladesh, ce serait comme le surgissement d’un volcan dans la Flandre Occidentale, une incongruité. Ce sera 20 % d’augmentation, pas davantage.
Le Bangladesh n’est pas seulement un des rares pays à pouvoir se vanter de provoquer en Chine des délocalisations à son avantage, il est aussi un des pays les plus corrompus du monde [3]. Du coup, on ne sait s’il faut vraiment se réjouir de voir Rosatom, groupe nucléaire public russe, poser à Ruppur la première pierre (mise en service prévue pour 2018) d’une centrale nucléaire intégrant les « normes post-Fukushima » [4]. Certes, la centrale sera implantée dans une zone qui devrait être épargnée par la montée du niveau de l’océan Indien, toutefois, rien ne garantit que le Gange, tout proche, rivière sacrée et sacrée rivière, restera calmement dans son lit. Il est à supposer que le Bangladesh, qui n’a aucune expérience en ce domaine, sous-traitera à Rosatom le volet sûreté nucléaire. Derrière Rosatom, il y a la Russie, pays encore plus corrompu que le Bangladesh [5]. Nul doute que des atomes bien crochus d’uranium enrichi et enrichissant viendront à bout des dernières réticences politiques. Une autre solution consisterait à recruter, par solidarité avec le Japon, d’anciens cadres de TEPCO, opérateur en liquidation de la centrale de Fukushima, et de les faire encadrer par des communicants d’Areva, lesquels technicoloriseraient le césium, si on le leur demandait. Il se murmure déjà que les intouchables bangladais, tellement concernés par l’indépendance énergétique de leur pays, se chargeraient volontairement de colmater les brèches éventuelles. Aussi volontairement, sans doute, que les burakumin japonais.
_______________
[1] Pour une simulation de la hausse du niveau des océans mètre après mètre.
[2] Lien.
[3] De 2001 à 2003, il occupa la plus haute marche du podium. En 2007, il était classé 162e sur 179 par Transparency International. En 2010, il était au 134e rang, signe d’une légère amélioration.
[4] Lien.
[5] En 2010, la Russie était au 154e rang du classement de Transparency.
M.V. Ramana (« Nuclear is not the solution », Verso books) vous dira que les SMR, c’est surtout pour que les milliardaires…