Restructuration de la dette : ILS NE SERONT PAS QUITTE POUR AUTANT ! par François Leclerc

Billet invité.

Les péripéties qui ne sont pas terminées du remboursement de la dette argentine risquant d’inciter à penser différemment, faut-il ou non laisser la porte ouverte à de nouvelles restructurations de dette ? Après avoir pris leur temps pour réfléchir, à la demande du Trésor américain, Les marchés ont tranché : c’est oui ! Ils se sont prononcés par la voix autorisée de l’International Capital Market Association (ICMA), l’organisation professionnelle des banques et maisons de titres du marché obligataire. Fondée en 1984 dans le cadre du grand vent de dérégulation financière, celle-ci regroupe quelques 460 intervenants et a compétence réglementaire.

Dans le monde financier, on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même. Les banques évaluent leur risque en utilisant des modèles maison, les taux de la famille Libor ou de l’or sont déterminés entre elles et font scandale, et l’International swaps and derivatives association (ISDA) décide si les produits financiers assurantiels (Credit Defaut Swaps) doivent être ou non activés en jugeant si un évènement de crédit est ou non intervenu. Il ne saurait en être autrement pour une question aussi décisive que le sort réservé à la dette souveraine, cette clé de voûte du système financier.

Lorsqu’elle existe, la clause d’action collective (CAC) impose à tous les créanciers ayant souscrit à une même émission obligataire d’accepter une restructuration de dette si une majorité qualifiée en décide. Celle-ci devra désormais représenter 75% de son montant et non plus 70% comme il était souvent l’usage. Mais la clause dite de « pari passu », selon laquelle tous les créanciers doivent bénéficier d’une égalité de traitement, a été modifiée afin de ne pas impliquer nécessairement un remboursement identique… Voilà de quoi, lorsque ces nouvelles dispositions seront mises en application à l’occasion de nouvelles émissions, empêcher les fonds vautours de jouer les empêcheurs de tourner en rond et de bloquer à l’avenir toute restructuration de la dette, quelles que soient ses modalités : décote, modification du calendrier de remboursement ou du taux, période de grâce, etc..

Les marchés ont-ils d’un fait preuve d’une particulière clémence, tel un jury de Cours d’assises auquel il est fait appel par son avocat quand la situation de son client est désespérée ? Si leurs représentants ont considéré dans leur sagesse qu’une soupape de sécurité était indispensable, ce n’est pas seulement en mémoire d’innombrables précédents historiques, mais aussi d’un passé plus récent et d’épisodes à venir. On se souvient que c’est l’Institute of International Finance (IIF), l’association regroupant les mégabanques, qui avait pris en main la restructuration de la dette grecque. Quand vient le temps des choses sérieuses, il est préférable de ne pas déléguer !

Mise en perspective, la prise de position de l’ICMA est en réalité restrictive. Non seulement parce qu’elle place la barre de la majorité qualifiée plus haut, mais aussi parce qu’elle vise à couper court à toute concrétisation d’une idée qui faisait discrètement son chemin : l’institution d’un tribunal international en charge du problème. Rien ne vaut, pensent les acteurs financiers du marché de la dette obligataire, de bons vieux accords de gré à gré entre complices… C’est pourquoi ils ont décidé de ne pas céder la laisse à quiconque et de ne lui donner du mou qu’avec parcimonie !

La suite de l’histoire dira s’il en sera pour eux ce qu’il en a été pour l’IIF, qui a juré lors de la restructuration de la dette grecque qu’une telle opération ne sera pas renouvelée et qui devra y faire face à nouveau un jour ou l’autre… Les seuils et les ratios les plus intangibles – voire gravés dans le marbre de Traités – ne tiennent pas devant les réalités de marché, surtout lorsque les dettes se révèlent insoutenables. Une notion qui dépasse le simple calcul financier, lorsque les efforts permettant de dégager un excédent budgétaire primaire ne sont pas soutenus par un taux de croissance économique supérieur à celui du marché obligataire. Tailler jusqu’à l’os, selon l’expression favorite des cost killers (coupeurs de coûts), peut se révéler très hasardeux, faire la part du feu devient parfois préférable, à condition d’en décider soi-même. Imposer une majorité de 75%, c’est de facto donner aux mégabanques via une minorité de blocage le contrôle de la restructuration de la dette publique. Nettement moins aléatoire qu’un tribunal international…

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