Billet invité.
Qu’est-ce que la gauche ?
Les débats qui ont suivi le lancement de la « pétition », (ou plutôt manifestation collective contre la politique gouvernementale actuelle), accessible ici, se sont souvent focalisés sur le mot de « gauche », qui tient une place importante dans le texte, mais qui ne trouve pas forcément écho auprès des signataires, qui partagent pourtant les valeurs de base du blog, à savoir le souci et l’attention portée au monde qui nous entoure, le refus de l’« après moi le déluge », le refus des pré-mâchés idéologiques de la science économique dominante.
Le mot de gauche a été choisi – à tort ou à raison ? – comme un raccourci mais aussi comme un ancrage politique historique.
Peut-on se passer des étiquettes ? Nous sommes des animaux politiques, des êtres de langage. Le problème c’est l’inadéquation entre l’étiquette et la réalité. La « gauche » appartient-elle à ceux qui s’en prévalent (les politiques), ou à ceux qui la définissent, d’abord pour eux-mêmes, comme une part de leur identité (« je suis de gauche ») ? Ou encore à ceux qui s’en départissent, n’en conservant que certaines valeurs fondamentales et refusant d’être assimilés à un groupe et à un héritage politiques ?
Plutôt que de nier les étiquettes, il faudrait à l’inverse les prendre au pied de la lettre. Le « zhen ming » chinois nous montre l’importance du choix des dénominations, préalablement à toute construction syntaxique. Une étiquette n’est pas la marque d’une objectivité. La gauche, la droite, ne sont pas des essences, mais des productions historiques. Il existe un enjeu, qui n’est pas secondaire, à propos des étiquettes. Parce qu’elles renvoient à des définitions, mais aussi à des valeurs d’affect.
La gauche, du point de vue de la plus grande généralité, c’est le souci de la justice, justice pour les individus et non pour les institutions. Justice effective et sociale, et non « loi » de la jungle.
Il s’agit de confronter des points de vue de citoyens inégaux dans le partage des richesses, la vie démocratique consistant alors à trouver un terrain d’entente, et de quoi rétablir une certaine égalité, non pas parfaite et éternelle, mais répondant à une situation concrète intolérable qu’il s’agit de résoudre. La démocratie est née en Grèce, déjà, à propos d’une question de dettes.
Jacques Rancière, lorsqu’il distingue la police (ordre social) de la vie démocratique (débat public) ne dit pas autre chose. Les difficultés commencent lorsqu’il s’agit de déterminer jusqu’où et comment il faut pousser le curseur pour atteindre l’objectif de justice. Pour Alain Minc, du saupoudrage social pour accommoder la mondialisation néo-libérale suffira, pour Jacques Attali, il faudra y mettre une petite dose de collaboratif, pour Valls il faudra, pour mieux redistribuer, d’abord renforcer la compétitivité, etc… pour arriver à nos positions plus radicales, puisqu’elles remettent en cause l’existence même et la légitimité du système capitaliste.
Nous attendons des programmes cohérents qui se fondent sur des diagnostics objectifs, en excluant donc, par exemple, la pseudo « science économique » délivrée par des idéologues, tout à leurs « lois » biaisées d’apprentis-sorciers, fiers et promus par les milieux financiers.
Le substrat de la politique c’est le langage. C’est ce sur quoi tout l’édifice social s’échafaude. Pour qu’un discours soit identifiable, il faut donc que dans chacune des positions, explications, aussi sectorielles soient-elles, transparaisse comme en filigrane l’ensemble de la figure qui fait notre vision, qui exprime la cohérence d’une pensée et d’une aspiration.
D’une aspiration… de gauche ? Si on veut… mais sinon de quoi ?
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