Billet invité.
Au hasard de l’actualité, le télescopage de nouvelles apporte parfois un éclairage général à des faits qui auraient pu passer pour de simples évènements isolés.
Aux États-Unis, Général Motors va être exempté de toute responsabilité pour la série d’accidents survenus pendant près d’une décennie (84 décès quand même). Principale raison : une clause dans le plan de sortie de l’article 11 (la loi sur les faillites aux États-Unis) qui exonère la Général Motors « nouvelle » de toute responsabilité issue de l’ancienne société Général Motors. Exit donc les économies de bout de chandelle sur une pièce de l’allumage, les défauts connus pendant 10 ans et non corrigés, tout est de la faute des anciens dirigeants (grassement payés) de la GM qui n’auront sûrement pas à répondre de leurs décisions à titre personnel. Aux États-Unis, pays où le recours aux avocats est quasiment inscrit dans les gènes, les « class actions » tant vantées de ce côté-ci de l’Atlantique vont se heurter à une clause introduite par quelques cabinets dont le métier est de barder les entreprises qui les engagent contre tout risque juridique.
En Europe, l’UE entame la première étape d’une démarche qui doit conduire à la mise en cause de Google pour abus de position dominante. L’Europe découvre soudain que le modèle économique de Google est fondé sur sa rémunération en fonction des liens commerciaux cliqués après une recherche, et que par voie de conséquences, les entreprises qui payent doivent être en « tête de gondole » numérique. Après 5 ans d’enquête (c’est long pour un business model largement connu), Google risquerait jusqu’à 6 milliards d’amendes. L’exemple mis en avant est bien sûr celui de Microsoft et les presque 2,5 Milliards d’amendes versés en l’espace de 5 ans. La bataille s’annonce longue et complexe, on dépasse le cadre la simple erreur (vous avez bien lu) invoquée par Microsoft qui a justifié les amendes successives. Dans le cas de Google, le fait que celui-ci à une ferme de serveur géante en Belgique qui lui sert aussi de base européenne va permettre de jouer de l’habituelle palette d’arguments, entre le chantage à l’emploi (même si le nombre d’emplois direct est assez réduit) et l’utilité publique (qui ne se sert pas de Google ?). Gageons que l’amende sera salée… En apparence… Car que pèseront 3 ou 4 milliards d’amendes pour 6 ou 7 années d’abus de position dominante ? Google réalise quand même plus de 10 milliards de profit annuel et maintenir la situation de quasi-monopole est la garantie de la pérennité de ces profits.
De qui s’agit-il derrière ces deux affaires ? De l’application d’un credo libéral largement inspirée par le monde anglo-saxon, dans lequel la régulation est censée se faire par le strict respect du droit de la concurrence d’une part, et par la défense des droits des consommateurs d’autre part.
C’est entre autres tout le sens des règlements européens qui à coup de compromis accordent ici un durcissement des règles écologiques, là une « transparence » des tarifs, ici des droits spécifiques pour les passagers des transports aériens. En réalité, la construction d’un maquis juridique de plus en plus complexe permet aux entreprises de pérenniser un système très favorable, quant au citoyen, même les systèmes de class action ne permettent que trop rarement de rétablir l’équilibre. Cette complexité juridique croissante est le paradis des lobbys de toutes ces entreprises dominantes. Elles vont à la fois pratiquer le chantage à l’emploi, introduire la complexité de leur métier, et au final proposer des solutions clés en main aux politiques. Que peuvent quelques experts nommés par Bruxelles ou les gouvernements quand ils font face aux armées de juristes et d’ingénieurs payés pour défendre les intérêts des entreprises qui les emploient ? C’est ainsi que l’industrie automobile a obtenu des objectifs individuels de réduction de CO2 en fonction du poids des voitures produites, permettant ainsi aux lourdes berlines allemandes et à leurs constructeurs de rester « dans les clous » et de ne pas payer d’amendes, grâce à ces objectifs taillés sur mesure. Les entreprises du transport aérien ont négocié pied à pied un règlement sur les droits du passager aérien présenté comme une grande victoire de l’Union européenne. Dans la pratique, il est pourtant très difficile d’obtenir la moindre compensation, même la gestion des retards est intégrée dans les logiciels des compagnies aériennes et permet d’assurer des solutions alternatives en minimisant les indemnités à verser aux passagers.
Le système qui est en train de se mettre en place a les deux faces de Janus. Les progrès enregistrés en matière de droit de la consommation, d’écologie ou de transparence sont présentés comme des grandes avancées de l’Union européenne. Dans la réalité, la complexité des règles sert les intérêts des entreprises dominantes qui sont les seules à même de pouvoir s’appuyer sur cette complexité pour pouvoir faire valoir leur vue ou faire évoluer les règles du jeu en leur faveur. Il est à craindre que le TTIP dont il est beaucoup question actuellement ne soit que la généralisation de ce mode de fonctionnement.
En réalité, il n’y a aucune volonté politique de rendre lisibles les règles du jeu, de rééquilibrer les rapports de forces. Non seulement une bonne partie du monde politique est devenu la courroie de transmission des intérêts particuliers, mais en plus, il se donne bonne conscience. C’est une partie de la réponse à la question de Paul Jorion dans « son temps qu’il fait du 16 avril 2016 » : Pour qui ?
@tata 1999: 7,4% de la population totale c’est un nombre beaucoup plus grand que 1975: 7% de la population active,…