Quelques remarques sur
« Russophilie et Front National » bis, par Roberto Boulant

Billet invitÄ—.

Est-il erroné de vouloir comparer les deux systèmes totalitaires, nazi et soviétique, qui s’affrontèrent armes à la main de 1941 à 1945 ? Non bien sûr, puisque comparer veut dire analyser deux systèmes dans leurs ressemblances, mais également dans leurs différences.

C’est même là, que réside l’intérêt de la chose : dans la sélection des critères, et dans la vérification qu’il puisse ou non, exister entre eux un recouvrement partiel ou total. Bien entendu les causalités, interactions et rétroactions historiques sont tellement nombreuses entre des pays à la culture, à l’histoire et à la géographie différentes, que vouloir les comparer stricto sensu, n’a guère de sens.

Cependant, l’exercice prend tout son intérêt si l’on réduit drastiquement le champ des objets comparés, et que l’on part du singulier pour remonter au général. Pour prendre un exemple (que je ne développerai pas, rassurez-vous), il est possible de déduire de la conception d’un simple char de combat, la logique d’emploi (doctrine) qui a prévalu à sa conception. Et même les conditions climatiques et le type de terrains de son pays d’origine !

À partir de cette première grille de lecture, il est ensuite possible d’élargir le cadre aux modes de production retenus, et donc à l’organisation industrielle et humaine dans un cadre d’économie de guerre. Il suffit ensuite de tirer le fil pour pouvoir faire des comparaisons point à point, même entre systèmes ‘a priori’ différents (ou l’on pourra se rendre compte que concernant l’organisation et les méthodes de production, Staline était un ‘fordiste’ dans l’âme !).

Et cette grille d’analyse fonctionne aussi pour les hommes, quelle que soit leur culture, formation ou histoire personnelle et familiale. La chose est d’autant plus aisée que dans le cas de la guerre à l’Est, les deux systèmes s’affrontant étaient extrêmement hiérarchisé, et représenté chacun par un chef charismatique. Partant de ce point, il est fascinant de constater que par bien des aspects, Hitler et Staline dans leurs commandements respectifs, ont suivi des trajectoires opposées. Si Hitler s’est toujours abstenu de faire fusiller ses officiers généraux (en tout cas, jusqu’à l’attentat de juillet 44), Staline ne s’en est jamais dispensé. Et cela même avant-guerre. Que l’on songe aux (tristement) célèbres purges de l’armée rouge entre mai 37 et juillet 38. Purges qui auront un impact considérable en 1941, puisque c’est une armée rouge pratiquement décapitée de ses chefs, qui devra faire face à une Wehrmacht au sommet de son art et de ses moyens humains. L’invasion nazie et sa fulgurante avancée jusqu’aux portes de Moscou, n’empêcheront d’ailleurs pas les purges de continuer… Mais, et c’est là, LA différence entre les deux dictateurs, Staline apprendra des combats et saura y adapter son commandement avec réalisme. Tandis qu’Hitler de son côté, s’enferrera dans une attitude quasiment mystique et de plus en plus déconnectée de la réalité, au fur à mesure que les rapports de force lui deviendront défavorables.

On peut donc contredire Keynes sans hésitation (du moins sur le terrain de la grande guerre patriotique) : non, les circonvolutions du cerveau de Staline n’étaient pas figées dans le bois. Il apprendra rapidement de la guerre. En laissant une seconde chance à ses généraux vaincus (juste une, et pour les plus talentueux), puis en desserrant peu à peu l’étau des officiers politiques autour du cou de ses officiers généraux. Et le plus remarquable, étant que le ‘système armée rouge’ évolua en même temps que son chef, vers plus de souplesse (toute chose étant relative, à l’aune de l’organisation qui y prévalait avant-guerre). Bien sûr, pendant que Staline acquérait au cours du conflit, de véritables compétences en matières opératiques et stratégiques, il continuait à garder ses généraux collet-serré. Et il s’empressa, une fois la victoire acquise de faire disparaitre le célèbre Joukov, ‘sauveur de Moscou’ et ‘vainqueur de Berlin’ (mais à regret, sans pouvoir le faire fusiller, car vraiment trop célèbre).

Deux hommes à la psychologie fort différente donc, mais qu’il est néanmoins possible de comparer.

Staline peut être vu comme un dictateur classique, voulant dévorer le plus de pays et de peuples possibles. Mais en même temps réaliste, et sachant particulièrement bien mesurer les rapports de force (un trait qui pourrait se résumer dans sa fameuse boutade, à propos des divisions du Pape).

Hitler peut être vu (et probablement est-ce ainsi qu’il se voyait en dernière analyse), comme un messie. Le grand prêtre d’une religion barbare, qui voyant la fin de son empire millénaire inéluctable, décrètera qu’il lui indifférait que le peuple allemand disparaisse, puisqu’il n’avait pas su se montrer à la hauteur de ses rêves de conquêtes ! Il éprouvera même une certaine forme d’admiration pour Staline, qui selon sa terminologie, avait su mener les innombrables masses de l’est, d’une main de fer.

Deux types de caractères (deux typologies même), dont on pourrait s’amuser à retrouver les traits parmi ceux qui nous conduisent à un nouveau désastre. On pourrait même imaginer un nouveau jeu consistant à citer le nom d’un des « maitres du monde », puis à deviner si sa personnalité le rapproche plus du criminel réaliste, ou de l’illuminé rationnel dans sa folie*.

Sauf que bien entendu, tout cela n’est pas un jeu et risque de se terminer à nouveau très mal.

* On peut parfaitement être rationnel dans sa folie comme le montra Hitler. Son objectif principal, la destruction du bolchévisme, s’étant révélé impossible, il se tourna vers son objectif par défaut : la destruction du peuple juif. Ce qui échappera à ses commandants de front, qui à la fin de la guerre, ne comprenaient pas comment il était possible de réquisitionner des locomotives pour les convois de déportés, alors qu’eux-mêmes en avaient un impérieux besoin pour évacuer leurs blessés et acheminer munitions, armes et matériels. La preuve que si (presque) tous les Allemands avaient un Mein Kampf chez eux, cadeau aussi banal qu’obligatoire, bien peu l’avaient réellement lu et encore moins compris…

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