Billet invité.
Connaître son ennemi est un prérequis indispensable pour pouvoir espérer le vaincre un jour. Et l’avantage que nous avons face à une organisation hautement structurée comme Daesh, c’est que leur Département Communication ne produit pas uniquement des documents de propagande à base de scènes de boucherie humaine, mais qu’il offre également une liste impressionnante de documents doctrinaux. Ceux-ci expliquant très clairement les objectifs politiques, et séquençant par théâtre d’action les modes opératoires à suivre.
Alors qu’en est-il de ces objectifs sur les théâtres extérieurs, européens en général et français en particulier ?
Bien que datant de janvier 2015, l’interview de Gilles Kepel (politologue et spécialiste des cultures de l’Islam et du monde arabe) les expose très clairement : il s’agit de provoquer une guerre civile en instaurant un cycle de violences, que les gouvernements ne pourront pas maîtriser.
Concernant la société française, est-ce un objectif atteignable ? Dans l’immédiat, certainement pas. Mais Daesh est une organisation qui entend s’inscrire dans le temps long, comme le dit d’ailleurs très explicitement leur slogan : « baqiya wa tatamaddad », littéralement « l’État Islamique se maintiendra et s’étendra ». Leur but est donc de provoquer cette guerre civile, en érodant la résilience de la société française par des attaques en cycle long. Ce n’est pas tant la puissance des coups qui compte alors, mais leurs multiplications sur la durée.
Et dans cette optique, assassiner indistinctement des civils toutes religions confondues n’est pas contre-productif, comme une première analyse intuitive tendrait à le faire croire. Bien au contraire, puisqu’il s’agit ici d’initier une dialectique de la barbarie avec nos groupuscules d’extrême-droite. Ceux là-mêmes qui prônent une France de ‘race’ blanche ou qui beuglent que l’Islam nous fait la guerre avec le ventre de ‘ses femmes’. Ceux-là mêmes qui partagent avec Daesh un objectif politique commun : provoquer les conditions d’une guerre civile, et par la violence aveugle, forcer chacun à choisir son camp pour exterminer ou expulser l’Autre. Le processus étant achevé lorsque le discours binaire s’est installé dans les esprits, et que chacun pense que l’Autre n’est qu’une bête sauvage qui ne comprend qu’une seule chose, le langage de la force !
Il n’y a là aucune surprise stratégique, rien de très innovant. Seulement un schéma hautement rustique, si ce n’est simpliste, mais dont la redoutable efficacité a déjà fait ses preuves. C’est ainsi que furent peu à peu enterrés les accords de paix de Camp David, lorsque les attentats des uns ont répondu aux ripostes des autres, interdisant finalement toute possibilité de modus vivendi.
Nous sommes encore loin d’une situation à l’israélienne, mais c’est très clairement l’objectif final. Peut-il se réaliser ? Oui, à la condition sine qua non de pouvoir enclencher le cycle violences/contre-violences au travers de plusieurs attentats menés par des ressortissants français. L’apparition d’un tel ‘ennemi de l’intérieur’ signifierait alors à coup sûr, que nous serions en train de perdre.
Et d’ailleurs, ‘l’offre de collaboration’ de Daesh a été parfaitement entendue par l’extrême-droite. Elle a même déjà commencé à y répondre favorablement samedi dernier à Pontivy !
Bien entendu, les origines d’une guerre civile ne sont jamais monocausales et des décennies après, les historiens travaillent toujours à en démêler l’infini écheveau. Ce qui veut dire qu’en amont, seule une réponse multispectrale peut éviter le chaos en engageant tous les leviers à disposition de la puissance publique et de la société civile.
Une réponse rendue singulièrement compliquée dans une société où les moyens régaliens de l’État ont été systématiquement détruitS par le libéralisme, où les dirigeants politiques – s’ils ont encore la légalité – n’ont plus que des miettes de légitimité.
Ici également, rien de neuf sous le soleil, c’est quand l’organisme est déjà affaibli par la maladie qu’il devient le plus vulnérable aux agents pathogènes extérieurs.
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