Ah ! La querelle Billeter vs Jullien !, par DH

Billet invité. À propos de mon propre billet L’ordre impérial expliquerait la Chine bien mieux qu’une supposée « pensée chinoise ».

Comme il est évident qu’elle dépasse la simple « lutte des places » dans le micro biotope où niche l’espèce dite « sinologus occidentalis », il importe de regarder de plus près la querelle Billeter vs Jullien.

Je ne pourrai sur le sujet émettre qu’un point de vue personnel (à peine autorisé dans la mesure où je n’ai pas du tout une connaissance exhaustive et en version originale de tous les textes chinois auxquels, en particulier, Billeter fait référence en reprochant à Jullien de les glisser sous le tapis, mais, à ce compte-là, ai-je envie d’ajouter, nous serions nombreux à n’avoir pas notre mot à dire !). J’avoue d’emblée que, dès sa mise en route, le « chantier » de F. Jullien m a alléchée et fait frétiller de curiosité : son projet de faire fonctionner la Chine comme un révélateur de ce que les chemins qu’avaient pris notre pensée européenne à la suite des Grecs et dans le cadre dominant d’une religion révélée n’étaient pas les seuls possibles, m’est apparu extraordinairement novateur et fécond. La progression de son travail au fil des ouvrages n’a pas déçu mes attentes et je continue à trouver que sa méthode de détection des « plis » de notre pensée que nous ne songeons plus à interroger, mis en regard de ceux du monde sinisé est très efficace et nous permet de faire coup double : entrer dans la familiarité de la pensée chinoise et fissurer la benoîte et aveugle confiance que nous avons en la nôtre. Il est vrai que, pour faire œuvrer les différences entre les deux civilisations à son profit, Jullien a dû prendre comme postulat que la Chine était « autre » et que cette altérité était radicale. Je vois bien que c’est un des reproches majeurs de Billeter qui situe ce point de vue du côté d’un « essentialisme » haïssable (du même type que « la France « éternelle » – c’est moi qui l’ajoute – de race blanche et de civilisation chrétienne » de Nadine Morano, chez nous !). Depuis le début de la querelle, les poux que cherche Billeter à Jullien logent dans ce postulat et bien sûr, c’est de bonne guerre, il lui reproche de ne sélectionner ses sources qu’en fonction de l’eau qu’elles apportent à son moulin. La Chine posée comme immuable et « autre » de toute éternité et pour toujours (ce qui n’est pas ce que dit Jullien, mais son adversaire fait semblant de l’ignorer), ça lui donne des boutons, à Billeter ! Pour lui, la Chine est une civilisation nullement à part et, si les Chinois nous apparaissent encore si différents de nous en ce début de XXIe, c’est seulement parce qu’ils sont passés au laminoir de deux millénaires de pouvoir impérial (auxquels il faut ajouter sans doute, pour faire bonne mesure, 90 ans de dictature du PCC). Les Chinois seraient donc comme vous et moi, main dans la main dans le même « pli » de pensée, s’ils n’avaient été broyés, tordus et déformés (comme les bonzaïs et les pieds des Chinoises en « lotus d’or » ?) par le rouleau compresseur de l’empire. L’hypothèse est assez aventureuse, d’autant que l’on peut lui faire le coup de l’oeuf et la poule : et si les Chinois avaient consenti pendant les deux millénaires (et les 90 ans) à subir un pouvoir très fort, précisément parce que cette forme de gouvernement était celle qui s’accordait le mieux (ou le moins mal) à leur manière de concevoir leur monde et de concevoir leur place dans ce monde ? Je vois bien où Billeter veut en venir quand il cite tous les courants qu’on peut appeler « dissidents » par rapport au corpus canonique qui a corseté si longtemps la Chine et, sur ce point, il a raison : il y a eu en Chine des anticonformistes, des penseurs innovants, des voix dissonantes et il y en a encore. Leur mise sous le boisseau dès l’avènement de la RPC est sans doute très regrettable pour l’histoire de la pensée humaine et les brimades et sanctions que subissent à l’heure actuelle ceux qui, en Chine, s’aventurent à formuler des idées jugées « inappropriées » par le pouvoir sont beaucoup plus que regrettables. Je peux en donner acte à Billeter, mais je n’arrive décidément pas à accommoder convenablement en chaussant les lunettes qu’il nous propose. Ceci n’est bien sûr qu’un hors d’œuvre, le reste du menu est à suivre…

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