Pour quelques îles…, par DD & DH

Billet invité.

La Cour Permanente d’Arbitrage de La Haye vient de donner raison à Manille qui avait fait appel auprès d’elle dans le conflit l’opposant à la République Populaire de Chine à propos des Iles Spratley. Verdict rendu ce 12 juillet 2016 en l’absence de la Chine qui a pratiqué la politique de la chaise vide, estimant illégitime et sans objet le recours unilatéral à cette juridiction par Manille.

Ces îles Spratley couvrent une surface particulièrement vaste, elles se composent de 25 îles habitables, 128 îlots et 77 bancs de sable. Le Vietnam a occupé la plupart des îlots, Taïwan s’est installée dans la plus grande île du groupe et les Philippines ont considéré, de leur côté, que 53 îlots et l’île occupée par Taïwan leur appartenaient. Fortes de leur droit de propriété, Taïwan, les Philippines et le Vietnam se sont jugées autorisées à disposer légitimement des zones économiques de 200 milles conformes à la réglementation internationale du droit de la mer, sans qu’il existe toutefois un véritable moyen, étant donné la confusion de la situation, d’apprécier la position exacte des frontières maritimes dans la zone. Sans compter que la Malaisie, l’Indonésie et Brunei ne voient pas pourquoi quelques unes de ces îles, tangentes à leurs eaux territoriales, ne pourraient pas leur appartenir aussi. Quant à la République Populaire de Chine, elle revendique purement et simplement les Spratley en soutenant que, découvertes sous l’empereur Wudi des Han (141-87 av JC) et présentant des « preuves » d’occupation chinoise, ces îles ne sauraient lui être contestées, dans la mesure où, si elle a perdu l’autorité qu’elle exerçait dessus, ce fut en raison de la présence française en Indochine (les Français ont été les premiers à envahir les Spratley en 1933) et de l’invasion de la Chine par les étrangers. Qu’on prenne en compte, pour bien comprendre l’embrouillamini du sac de nœuds, que la RPC et Taïwan défendent dans cette affaire un même point de vue face à Manille, à savoir l’incontestabilité du caractère chinois de l’archipel, pendant que Pékin revendique toujours Taïwan comme partie intégrale de son territoire, exigeant son exclusion de tous organismes ou accords intergouvernementaux.

Cette mer relativement fermée d’une superficie de 3 400 000 km2, qui s’appelle officiellement (auprès de l’Organisation Météorologique Mondiale et diverses organisations internationales) « Mer de Chine Méridionale », intéresse beaucoup de monde, et pas seulement ses riverains évidemment. Non seulement elle est riche en hydrocarbures et autres ressources, mais reliant l’Océan Pacifique et l’Océan Indien, elle est sillonnée de routes maritimes internationales capitales pour les pays d’Europe, d’Afrique, du Proche et du Moyen-Orient dans leur commerce avec l’Extrême-Orient. C’est l’aorte des 2/3 des échanges commerciaux de la planète. Les luttes pour son contrôle ont toujours été vives et ce sont les canons qui ont dit le droit pendant plusieurs siècles ! Les Arabes l’ont « ouverte » au XIVe quand ils ont, les premiers et sans vraie concurrence, mis la main sur le lucratif commerce des épices, faisant transiter muscade, clous de girofle et poivre vers l’Europe par les « Echelles du Levant » et assurant la richesse des fastueuses cités du nord de l’Italie comme Venise et Florence. Les profits engendrés ont fait tourner bien des têtes en Occident. Celle de Christophe Colomb bien sûr, mais son pari sur la route à prendre en 1492 était faux comme on le sait… Grâce au Traité de Tordesillas (1494), à Vasco de Gama et aux grands projets maritimes du roi Henri le Navigateur, les Portugais ont doublé avec une longueur d’avance le Cap de Bonne Espérance et sont arrivés les premiers dans l’Océan Indien en direction des îles aux épices (les Moluques), suivis de peu par les Hollandais qui ont tout de suite fait le choix de s’assurer une position stratégique de contrôle du trafic en fondant Batavia (Djakarta) avant de poursuivre leurs expéditions commerciales vers Formose et le Japon. Les Espagnols, occupés à coloniser leurs « Indes Occidentales », sont arrivés au banquet des « Indes Orientales » avec un temps de retard et ont pris ce qui restait, comme on fait dans ces cas-là : l’île de Luçon en l’occurrence, située dans un archipel qui fut baptisé « Philippines » en l’honneur du monarque d’Espagne, Philippe II (1527-1598). Les Anglais ont trouvé que, ma foi, l’Inde pouvait s’avérer un morceau de choix et les Français, sachant les places déjà prises plus loin en Orient, se sont arrêtés aux Ile Bourbon (la Réunion) et de France (Maurice), même si Louis XIV eut quelques velléités de conquête du Siam (Thaïlande), comme le narre un délicieux roman historique que nous recommandons très chaudement comme lecture d’été :  » Pour la plus grande gloire de Dieu » (Morgan Sportès. Ed du Seuil 1995, Points 1998)

Dans la première moitié du XXe, la Mer de Chine Méridionale passa sous le contrôle du Japon dont les ambitions territoriales expansionnistes sans frein mirent la Chine à genoux lors d’une guerre impitoyable. Le seul obstacle qu’il rencontra fut les Etats-Unis qui, par les moyens que l’on sait, le força à capituler (1945). Dès lors, les maîtres absolus de toute la zone Pacifique furent les USA auxquels échut en partage la suprématie de cette partie du monde. Leurs forces aériennes sont depuis lors basées à Guam, Okinawa, aux Philippines et en Australie et leur flotte de guerre patrouille en permanence dans les eaux internationales. La chose passa pour « normale » aux yeux du reste du monde dans le contexte de la guerre froide (et même « chaude » avec la guerre de Corée). La Chine continentale, non reconnue par l’Occident pendant plus de 20 ans, donc mise hors jeu, s’est trouvée spoliée de la restitution par le Japon vaincu des territoires maritimes chinois. Il apparaît assez évident que l’affaire des Spratley (et autres îles, car il y a bien d’autres sujets de litige en cours) n’est qu’un aspect de la partie de go mondiale qui se joue entre USA et RPC et dont l’enjeu le plus immédiat, tel que le conçoit la Chine, est le retour à une situation plus équilibrée dans le rapport de forces et plus « saine » du point de vue du droit de chaque nation à veiller à ses intérêts et à la sauvegarde de son autonomie.

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