Un seul problème ? la finance et les banques ? par Vincent Rey

Billet invité.

Avec les élections présidentielles qui approchent, et les référendums qui se multiplient, les lignes de fracture semblent s’approfondir, non pas entre droite et gauche, mais  entre « pro-système » et « anti-système ».

Mais qu’est ce donc que le « système », si ce n’est le marché lui-même, et ses conséquences négatives ? Le « teasing » de l’émission économique de France Inter intitulée « on n’arrête pas l’éco », commence ainsi : « tout, chaque chose qui nous entoure, est économique ». Une telle proposition revient à dire que « rien n’est économique », et si rien n’est économique, il ne sert donc à rien d’essayer d’intervenir. Ce n’est peut-être en définitive, qu’une autre version de la maxime « laisser faire, laisser aller », et, si c’est le cas, il ne reste plus qu’à se borner à regarder ce qui se passe !

Que peut bien représenter cette notion de « système ».  N’est-ce pas finalement, une sorte d’entité économique ressentie et abstraite, englobant confusément tout ce qui menace l’individu dans la société ? On ne voit jamais des gens qui ne se sont pas sentis une fois vulnérables dans leur vie, évoquer le « système ». Bien peu de professeurs, de médecins, de dentistes, d’infirmières critiquent le « système ». Peu d’hommes et de femmes politiques également, pas davantage de personnalités du CAC40 ; le « système » c’est donc la menace elle-même, mal définie ou fantasmée, mais en tout cas certainement ressentie par une part croissante d’hommes et de femmes, ceux qui ont déjà frissonné, au contact du métal froid de sa tenaille sur leur nuque.

Or que peut bien avoir en commun une menace diffuse qui ferait à la fois voter « non » au référendum sur la constitution européenne, « oui » au Brexit, et demain peut être « oui » à Donald Trump ou à Marine Le Pen, « oui » au partis d’extrême droite allemand, hongrois, italien, grec ? etc. Est-ce que c’est la finance qui menace tous ces gens, les banques, ou bien les étrangers, ou bien les patrons, ou les peuples arabes, ou bien les fonctionnaires, ou bien les technocrates européens, à moins que ce ne soit les francs maçons, l’Opus Dei, les paradis fiscaux, les gays et lesbiennes, les 35 heures, les juifs, les charges patronales, les accords commerciaux internationaux, Israël, les mécréants … etc. ? N’en jetez plus !

Qu’est-ce qui peut bien nous faire chercher ainsi des ennemis tous azimuts ? Qui peut bien être cet ennemi impalpable, qui nous tire dessus de tous côtés ? Et qu’est-ce qui semble orienter le monde vers ces voies (sans issue) remettant en cause la liberté et le principe démocratique même ? Il doit bien y avoir quelque chose de plus large, et de plus partagé dans le monde, que les méfaits de la finance, quelque chose au cœur du fonctionnement de l’offre et de la demande, ou de l’homme, qui est atteint, et qui fait dérailler la société de sa voie de progrès, sans qu’on en ait clairement l’explication. A moins que nous ne soyons, et de plus en plus, les victimes d’une illusion collective ?

Non. Il y a des faits : selon Angus Deaton, le taux de mortalité des 45-54 ans s’accroît aux USA : overdoses de drogues, ou de médicaments analgésiques. Les prescription de médicaments opiacés contenant de l’héroïne et de la morphine explosent. Que se passe-t-il, pour qu’il y ait autant de détresse dans le pays le plus riche du monde ? Qu’y a-t-il de si horrible, dont il faudrait s’évader par tous les moyens ?

Plus globalement que la finance, c’est peut-être que nos sociétés occidentales, ou celles chez qui le FMI tente depuis des années de parachuter le modèle libéral des USA, sont dopées à toutes sortes de rêve, et que les citoyens sont les victimes des actions de propagande sans précédent, que mettent en oeuvre les firmes, sans aucune contradiction. Et qu’ainsi, le décalage s’accentue entre la réalité, ou ce qui reste possible pour les individus, et ce qu’on leur donne à rêver, à coup de millions de dollars ou d’euros.

Le fanatisme pour le sport en donne la meilleure trace, avec ces hooligans, qui transposent la puissance ou l’impuissance sportive de leur équipe, en-dehors des stades : lorsque toute leur colère de ne pas être un « butteur » comme Rooney ou Cantona explose, les plus dégradés d’entre eux se font volontiers les « butteurs » des supporters adverses. Aux USA quatre quarts temps composent un match de foot américain, entre lesquels la publicité organise la frustration des masses. Partout la beauté de femmes et d’hommes retouchés sur Photoshop, saute au visage du téléspectateur, qui n’a désormais plus jamais un steak assez gros dans son assiette, ni une femme assez belle, ni un yaourt assez bon, comme celui qui fait fermer les yeux de la jolie blonde qui s’enfonce voluptueusement la cuillère dans la bouche…

La propagande des firmes ne se préoccupe pas de morale, et elle encadre volontiers le spectacle de la destruction de la société elle même. Lorsque BFM diffuse en direct l’attentat de l’Hyper Casher, le tarif de la publicité monte pour les annonceurs, avec l’audimat. On notera qu’à cette occasion, le terroriste, un être totalement corrompu par le « système », a participé lui-même au profit général des firmes impliquées, car lorsqu’il s’est exprimé en personne sur les ondes, il a certainement affolé les compteurs ! On peut encore citer l’exemple, récurent celui là, du spectacle continuel de la police, de tous ces trafics filmés en caméra cachée dans les quartiers, ou ces irruptions de la police au petit matin, en criant « couchez-vous » chez des dealer « racailles », choisis maghrébin de préférence, entre deux publicités pour Nesquick, Audi, ou même la Jouvence de l’Abbé Souris…

 Mais lorsque la nuit vient, et que les stars de la police, du show-biz, ou du sport business s’éteignent, le citoyen ou quelquefois l’individu, quand il ne lui reste plus grand chose en matière d’appartenance sociale, revient à sa médiocrité ordinaire, et ça lui fait mal. Et plus l’économie semble n’être que le jeu de quelques-uns, et plus ce matraquage publicitaire semble s’accentuer, laissant les gens anéantis, et en colère contre ce « système » qui les frustre, et en colère contre leur vie médiocre. C’est totalement négatif, et certainement extrêmement coûteux.

Le meilleur analyste économique, celui peut-être à qui on devrait donner le prix Nobel, c’est peut être alors Alain Souchon pour sa chanson « Foule sentimentale ». Souvenez-vous, ces paroles qui disaient : « il se dégage… de ces cartons d’emballage… des gens lavés hors d’usage… tristes et sans aucun avantage… ». Mais il a peut-être sous-estimé le problème, car il se dégage maintenant des gens violents, et cela n’a pas l’air d’être parti pour s’arrêter.

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