LE TEMPS QU’IL FAIT LE 27 OCTOBRE 2016 – Retranscription

tintin3Retranscription de Le temps qu’il fait le 27 octobre 2016. Merci à Marianne Oppitz !

Bonjour, nous sommes le jeudi 27 octobre 2016, et avant que je passe à la suite, une anecdote, quelque chose que vous avez peut-être vu : c’est en première page sur la toile sur le site du Monde – ce n’est pas le titre principal mais enfin bon, c’est en bonne place – : la moitié des espèces de vertébrés ont disparu en 40 ans. Voilà, je voulais vous signaler ça en passant. Maintenant, on passe aux choses sérieuses. Le football !

Bon, vous avez compris ce que j’essaie de faire, j’espère [rire] (j’espère) ! Ce n’est pas une anecdote ! Ce n’est pas un truc qu’il faut dire comme ça, en passant !

Je vais faire un petit calcul. C’est un calcul qui est à la portée des personnes qui ont fait uniquement l’école primaire et puis de toutes les autres. Si 50 %, la moitié, des espèces a disparu en 40 ans, l’autre moitié, les autres 50 %, ça peut être en 40 ans aussi. Ça peut être un peu moins, ça peut être un peu plus (ça peut être 45 ans au lieu de 40), mais voilà ! Et nous faisons partie du nombre : NOUS sommes des vertébrés !

On a l’habitude, NOUS, de nous voir NOUS, et le monde autour de NOUS qui est relativement subsidiaire : ça n’a pas tellement d’importance, parce qu’il y a NOUS ! Et si on casse le monde autour de NOUS, comme supprimer la moitié des espèces de vertébrés, ou tout foutre en l’air, eh bien, NOUS on sera toujours là ! Non, on ne sera pas toujours là : on ne sera pas toujours là !

Le blog de Paul Jorion fait une petite publication, qui s’appelle « (P)ièces (J)ointes » (une fois par mois, on prend l’ensemble des articles et on les publie), et hier, en faisant la pub de ça, sur le blog, j’ai dit que les exemplaires de ce petit journal s’arracheront parmi les robots quand ils seront là parce qu’ils nous auront remplacés. Et ce n’est pas une blague non plus.

Le livre que j’ai écrit qui s’appelle « Le dernier qui s’en va éteint la lumière », c’est un succès de librairie ! C’est un succès formidable ! Pour un essai, vendre 20.000 exemplaires comme cela a été le cas jusqu’ici, c’est formidable ! Voilà ! Ça a intéressé les gens au printemps – c’est sorti le 21 mars comme les bourgeons – et puis on en a parlé un petit peu, etc., mais voilà, maintenant on passe à d’autres sujets. Il y a les élections surtout. L’extinction, oui, c’est bien, d’autant qu’il n’y a que moi qui en parle – enfin parmi les essais qui sont sortis au printemps dernier [rire], heureusement, il y a d’autres gens qui en parlent. Mais maintenant, on passe aux choses sérieuses, on passe aux élections. Extinctions, élections, etc.

Il y a encore une toute petite chance : il y a une toute petite chance qu’on s’intéresse à ce sujet de l’extinction de l’humanité. C’est l’histoire que raconte le livre de Monsieur Thomas Piketty qui s’appelle « Le capitalisme au 21è siècle ». Il est sorti, je crois en 2014 et cela a été un succès de librairie aussi pour un essai, en France. Il a dû faire comme moi, il a dû publier 20,000 exemplaires et son éditeur lui a dit que c’était très, très bien ! que c’était formidable ! qu’on ne pouvait pas attendre beaucoup mieux. Et puis son livre a commencé à être lu aux États-Unis et voilà, maintenant, il s’en est vendu des millions et maintenant les gens font attention : les gens s’intéressent à la concentration de la richesse – parce que c’est de ça qu’il parle.

Alors, moi, j’ai encore une toute petite chance – pas aux États-Unis, parce que personne ne s’est encore intéressé à acheter les droits pour traduire mon bouquin en anglais – mais enfin, comme vous le savez, on a acheté les droits en Chine et on est en train de le traduire. Il y a encore une petite chance que mon livre intéresse les gens, parce qu’on s’y intéresse ailleurs !

Vous vous souvenez, pour le livre de Monsieur Piketty, à la réception, il n’y a pas eu grand-chose comme discussion. Il y a un Monsieur qui s’est rendu célèbre, et voilà : son nom restera attaché à cela, c’est Monsieur Nicolas Baverez, qui a dit que le livre de Piketty, c’était « du marxisme de sous-préfecture ». Et voilà donc, un titre de gloire que l’on retiendra pour lui.

Cette question de l’extinction… une image qui me vient, voilà – parfois on est distrait par une image qui passe – et l’image qui passe, c’est que quand j’ai parlé de la… quand j’ai annoncé la crise des subprimes, on a utilisé, en France, on a pris cette image qui est extraite du livre de Tintin, « L’étoile mystérieuse », c’est le prophète Philippulus qui dit « La fin est proche ! ». Il est là, à taper sur son gong, il est dans un grand drap qui évoque, je suppose, un linceul et il dit : « La fin est proche ! ». Et on a trouvé drôle que j’annonce la crise des subprimes et on a dit, voilà : « un Cassandre, un prophète qui nous annonce des catastrophes ».

philippulus

Et là, aujourd’hui, je suis dans ma toge de Philippulus parce que, oui, je dis effectivement : « La fin est proche ! ». Ces chiffres là, je les connaissais au moment où j’ai écrit le livre, ils restent vrais. On les répète et puis voilà, dans l’après-midi, on retirera cet article de la première page du Monde pour passer à autre chose, effectivement.

Un des thèmes de mon livre, c’est que nous sommes mal outillés pour comprendre ce genre de choses. On ne comprend pas ! On ne comprend pas. J’explique pourquoi, à partir de l’expérience que j’ai eue d’apprendre un peu la psychanalyse, de réfléchir sur ces trucs là. Pourquoi est-ce que nous sommes absolument incapables de comprendre ces choses ?

Hier, j’étais à Lille (je suis toujours à Lille), et à la Catho, il y avait un exposé très intéressant d’une neuro-physiologiste qui nous parlait dans le cadre du séminaire qui est consacré au transhumanisme. Nous avions une discussion, justement, sur la mémoire et la manière dont la conscience fonctionne par rapport aux émotions, etc. Voilà : un thème que j’ai moi-même déjà un peu couvert, non seulement dans « Le dernier qui s’en va éteint la lumière », mais dans un ouvrage précédent, à la fin des années 80. En 1989, j’ai publié « Principes des systèmes intelligents ». Et cela m’a fait plaisir de voir que je pouvais un peu éclairer la discussion qui avait lieu, hier, avec l’exemple de mon système ANELLA, où j’avais essayé de simuler du sentiment, comme étant le moyen, justement, d’introduire de la pertinence dans le dialogue d’une machine avec un être humain. Et c’est ça la transition avec la suite.

On comprend de plus en plus comment il faut faire marcher une machine [intelligente]. Finalement, qu’on donne une conscience à un robot ou pas, ça n’a pas d’importance ! Comme on le faisait apparaître hier, la seule chose qui est importante, c’est qu’une fois que l’information de ce que le robot aura fait s’affiche dans une petite lucarne – celle que nous appelons « la conscience » pour nous – la seule chose qui sera nécessaire, c’est qu’il y ait une rétroaction dans le système. C’est que l’information qui apparaît là, tout à coup, avec retard, par rapport aux gestes qui ont été posés, c’est que cette information soit réintroduite dans le système. Qu’est-ce qui s’est passé exactement ? Qu’une évaluation soit faite et que l’évaluation qui est faite soit réinscrite en mémoire. C’est tout ce qu’il faut.

La dame – je mettrai son nom en-dessous de mon exposé ici, dans ma petite vidéo – nous montrait 4 interprétations du mécanisme entre gestes posés, conscience, effet de retour, etc. Et j’attirais l’attention sur le fait que le modèle que je présente dans « Principes des systèmes intelligents » – celui que j’avais implémenté, comme on dit maintenant, que j’avais réalisé dans un système – en fait il réconcilie l’ensemble de ces mécanismes. C’est simplement qu’il y a une distinction à faire entre des actes, je dirais, purement « moteurs », faits par nous, et des paroles que nous prononçons et des paroles que nous entendons. Il y a un élément de plus quand il y a des paroles. Mais c’est tout.

Pour l’anecdote, il est intéressant qu’un nouveau modèle soit présenté : voilà, c’est une originalité par rapport à ce qu’on avait déjà compris en psychologie. Ce nouveau modèle, je l’ai écouté avec attention, il s’appelle « bi-mnésique ». Et voilà, c’est ce qu’on trouve chez Aristote ! Il faut lire cet auteur : c’est en relisant ce qu’il avait écrit sur la formation des prix que j’ai eu l’occasion de rappeler « au monde » comment ça marche la formation des prix. Ce n’est pas une invention à moi : ça se trouvait chez Aristote. Et maintenant voilà, sur le fonctionnement de la conscience et des effets psychologiques en retour, ça se trouve chez Aristote. Il distingue les appétits et la délibération. Ce sont des mécanismes légèrement différents. Et dans la délibération, il ne le dit pas mais c’est moi qui le dit – c’est mon expérience avec mon système ANELLA – ce qui se passe dans la délibération, c’est qu’en plus il faut le langage : il faut « lalangue » [comme disait Lacan].

Mais les choses que nous disons, elles sont du même ordre que les gestes, les autres gestes que nous posons. C’est la même chose. C’est la même chose : j’ai raconté ça quelque part, je me constate en train de courir sur une plage et je me dis : « Mais qu’est-ce que je fais ? » Et puis, à ce moment là, avec – je ne sais pas – une demi seconde de retard, une seconde de retard, j’entends les cris d’une personne qui se noie dans l’océan et je comprends que si je cours, c’est parce que mon corps a pris la décision de courir parce qu’il entendait ces cris. Il les a entendus avant moi ! Et c’est la même chose quand nous parlons. Nous nous entendons dire ce que nous disons. Et comme me le disait ce monsieur lors d’une émission de télévision, il disait à propos de lui-même : « Est-ce que vous êtes comme moi, d’être toujours déçu de vous entendre dire le contraire de ce que vous vouliez dire ? » Et j’avais eu la chance de pouvoir lui dire : « Non ! », mais voilà, il y a des gens comme ça, malheureusement, malheureusement pour eux.

Alors, voilà, c’est ça, notre espèce c’est cela aussi. On nous dit « c’est l’extinction, voilà c’est une question de 60 ans, 90 ans, c’est une question de 40 ans pour la moitié, alors il reste peut-être 40 ans aussi ! ». Alors, le sou n’est pas encore tombé. Le sou n’est pas encore tombé dans la machine, dans le juke-box. Qu’est-ce qu’il faut faire ? Qu’est-ce qu’il faut faire ? J’espère, j’espère que les Chinois entendront un peu plus dans ce mot « extinction » que les gens autour de moi. Qui entendent surtout qu’il rime avec « élection » et que élection est une chose plus importante.

Enfin, voilà, je ne suis pas désespéré, mais (rire) Je ne suis pas désespéré, d’autant que demain, je parle au groupe Spinelli. On va parler entre gens qui croient qu’il y a encore quelque chose à faire avec l’Europe. On va parler de l’avenir de l’Europe… pour ce qu’il en reste. Il faut que je termine d’ailleurs, ce matin, la petite note que j’avais promise au groupe de la gauche radicale du parlement européen (je mange à tous les râteliers : tous ceux qui veulent bien m’entendre, sur ce qu’on pourrait encore faire avec l’Europe).

Mais, une chose que l’Europe devrait faire, en priorité, c’est s’assurer qu’il y a encore des êtres humains dans 40 ans. Mais, ça, c’est très difficile à faire entendre comme message. On peut encore entendre le message de savoir s’il faudrait qu’on privatise la justice dans des tribunaux arbitraux, ça les gens sont encore prêts, heureusement, à se soulever un petit peu sur des questions comme celles-là. Mais, l’extinction, c’est un mot qui… le mot est trop fort pour nos cerveaux. Si le cerveau le comprenait, il le ferait exploser. Donc, il vaut peut-être mieux parler de l’avenir de l’Europe, des choses qui sont… ou aux prochaines élections : des choses qui sont à la portée de notre… de cette chose qui se trouve là, au milieu de notre front et qui est limitée, qui est limitée. Ben, voilà, c’est un truc matériel ! il y a des contraintes ! C’est déjà pas mal du tout : on a inventé des choses pour aller dans la lune, on a inventé des choses pour nous guérir de la plupart des maladies. Mais, là, ce truc de l’extinction, là, on bloque ! Si, on peut constater qu’on a déjà détruit la moitié des vertébrés autour de nous en 40 ans, mais, projeter dans les 40 années à venir, ça paraît impossible !

Enfin voilà, une petite réflexion, un jeudi parce que vous l’avez compris, vendredi, demain, je suis occupé. Je parlerai de l’avenir de l’Europe, demain, à cette heure-ci, ou un peu plus tard.

Voilà, allez, bonne semaine.

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Le Monde : La moitié des espèces animales vertébrées a disparu en quarante ans, le 27 octobre 2016

Paul Jorion, Principes des systèmes intelligents, 1989

Paul Jorion, Le dernier qui s’en va éteint la lumière, 2016

Catherine Belzung (CNRS, Université François-Rabelais de Tours) : « Les émotions artificielles existent-elles ? Le regard d’une neurobiologiste »

Résumé : Les émotions ont été sélectionnées par l’évolution des espèces pour permettre la survie des êtres vivants, et elles sont profondément ancrées dans leur existence. Elles dépendent à la fois de sensations corporelles (battements cardiaques, sudation, etc.) et du fonctionnement cérébral. Dès lors, on peut se demander: est-il possible de les reproduire dans un être artificiel ?

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