Le logement : droit fondamental, mais pourquoi meurt-on encore dans la rue ? par Yves Nyssen

Billet invité.

La crise du logement en France touche 12 millions de personnes mal logées ou sans logement, ce problème est récurrent et ne date pas d’aujourd’hui, souvenons-nous du fameux appel de l’abbé Pierre en 1954.

Le nombre des expulsions locatives en 2015 a vu un accroissement de 24%, l’accroissement sur la période 2012-2015 quant à lui, a été de 36%. Cela corrobore bien ce qui est observé concernant l’augmentation de la pauvreté en général et les difficultés qui en découlent concernant le logement. Il y a de plus en plus de locataires qui éprouvent des difficultés à régler leur loyer, cela les obligeant à faire des choix en matière de dépenses : manger, se chauffer, assumer des charges financières, etc.

La tentation est grande d’éviter de payer le loyer afin d’alléger la charge ponctuellement dans l’attente de jours meilleurs, l’idée, bien sûr n’est pas bonne car dans ce cas, les procédures issues du code civil priorisant le propriétaire bailleur, entrent rapidement en jeu avec toutes les conséquences dramatiques qui en découlent.

Cette augmentation de la pauvreté due au manque d’emplois ou aux emplois précaires sous-payés, se conjugue avec la hausse continue des loyers.

Pour illustrer les difficultés actuelles, l’indice INSEE des loyers payés par les locataires s’établit à 100,41 en décembre 2016 contre 55,57 en janvier 1990, ce n’est guère loin d’un doublement, alors que pendant ce temps, l’indice des salaires de base passe de 78,3 à 113,9, loin d’un doublement pour la même période.

En revanche, selon les études réalisées par la CGEDD : « […] la faiblesse extrême et prolongée des taux d’intérêt est cependant la principale explication du niveau actuel du prix des logements. » En d’autres termes, le niveau extrêmement bas des taux d’intérêt a concouru au grossissement de la bulle immobilière qui influence également le prix des loyers pratiqués.

L’indice du prix des logements rapporté au revenu par ménage en France est ainsi passé de 0,9 en 1975 à 1,8 en 2012.

Cette ‘bulle de l’immobilier’ n’a qu’un seul avantage, celui d’accroître la valeur potentielle des biens détenus par la fraction la plus aisée de la population.

Cette bulle, aucun politique ne veut tenter de la dégonfler : l’immobilier en France est un tabou, il représente près de 70% du patrimoine !

Un exécutif véritablement socialiste aurait pu profiter des taux bas actuels pour lancer la construction massive de logements, – non pas en distribuant des cadeaux fiscaux aux plus riches, comme cela est habituel via les dispositifs de défiscalisation -, mais en prenant en main directement la direction des opérations. Cela aurait eu un double impact: la relance de l’emploi dans le domaine de la construction et une pression exercée sur le prix du logement en général avec pour résultat des loyers accessibles à tous.

Pour illustrer l’impact qu’aurait un taux beaucoup plus élevé de logements sociaux, il suffit d’observer la situation aux Pays-Bas, pays où le taux de logements sociaux est de 35% (atteignant même 50% à Amsterdam), alors qu’il atteint à peine 18% en France. Ce taux élevé influence de manière certaine le niveau des loyers pratiqués, ainsi, l’indice rapporté au revenu disponible des ménages est de 1,7 en France, alors qu’il est de 1,05 aux Pays-Bas, démontrant bien ainsi l’influence que ce taux peut avoir sur l’ensemble du prix des loyers proposés.

La nouvelle loi adoptée récemment impose aux municipalités le passage de 20 à 25% du taux d’équipement en logements sociaux. L’on peut toutefois se poser la question du financement par les pouvoirs locaux car pour réaliser un budget global, acceptable vis à vis des contraintes européennes, l’État réduit ses dotations à ces mêmes municipalités, les contraignant à l’augmentation des impôts locaux.

Pour Paris, le taux global de logements sociaux est en ligne avec l’ancien objectif de 20%, mais toutefois avec des disparités très fortes selon les arrondissements: de 1,3% dans le 7ème arrondissement, 3,7% dans le 16ème, à 37,3% pour le 19ème arrondissement (apur.org)

Prenant conscience du mal logement, le Président Jacques Chirac, malgré les réticences de certains de ses ministres de l’époque, a demandé en décembre 2006 que soit promulguée une loi précisant le droit au logement, cela est tout à son honneur.

Cette loi a été votée le 5 mars 2007, nommée « Loi établissant le droit au logement opposable », connue sous son appellation condensée: DALO.

Bien que le droit à disposer d’un logement convenable soit reconnu au niveau international de manière indirecte au travers de diverses conventions: Droits de l’homme et Pacte international relatif aux droits sociaux (ONU), ce droit fondamental, mentionné dans le préambule de la constitution de 1946, n’est aucunement inscrit comme opposable à l’État.

Si l’on peut considérer que la promulgation de cette loi Dalo est une avancée, elle manque toutefois d’audace car l’État ne se donne pas vraiment les moyens de l’appliquer pleinement.

Elle est également incomplète en ce sens qu’elle n’interdit pas les expulsions sans obligation de relogement.

Des commissions départementales de médiation ont été instituées et sont chargées d’examiner les recours amiables déposés par les demandeurs de logements sociaux en difficultés.

Les délais de prise de décision des commissions varient selon les départements, il est de 3 mois en général et de 6 mois en Île-de-France, région en tension.

Si le demandeur est reconnu prioritaire, le préfet du département doit proposer, – pris sur son quota réservataire auprès des bailleurs sociaux -, un logement dans les 6 mois qui suivent. À l’issue de ce délai, et n’ayant reçu aucune proposition de logement, le prioritaire peut assigner l’État devant le tribunal administratif, aux fins ‘d’injonction de faire’ avec versement d’astreintes (versées au bénéfice du Fond de Développement Urbain).

Tout cela est bien théorique car la réalité est tout autre: bien que L’État possède 25% des droits d’attribution dans les logements sociaux, là où le préfet a délégué aux municipalités son droit d’attribution, il est mis en place des stratégies d’évitement permettant de ne sélectionner que des candidats agréés par le milieux politique local !

On voit donc bien les difficultés concrètes d’application, alors que l’État par son représentant, – en l’occurrence le préfet -, peut se substituer au bailleur pour attribuer un logement, mais dans les faits, cette possibilité n’est jamais utilisée par peur de l’effet boomerang dû aux élus locaux.

Concernant cette lacune du cas des expulsions, il semble bien que le ‘droit au logement’ soit mis en échec par le ‘droit du logement’ qui est un droit ancien issu du droit de la propriété et pour lequel, s’applique avec toute sa rigueur, un code civil hérité des siècles passés.

Une expulsion locative est quelque chose d’extrêmement violent et s’apparente à un véritable bannissement de la cité, cette décision d’expulsion peut être très rapide grâce aux procédures toujours en cours actuellement qui prévoient l’annulation du bail en référé, l’intervention de l’huissier désigné par le propriétaire et l’appel au concours de la force publique.

Les bailleurs sociaux ne sont pas les derniers à appliquer strictement ces dispositions du code civil, sachant par ailleurs que la plupart de ces offices HLM ont opté pour la comptabilité privée commerciale, abandonnant la comptabilité publique, ce qui amorce ainsi une sorte de privatisation masquée.

Il existe en France 742 organismes s’occupant du logement social qui gèrent un parc de plus de 4,4 millions de logements, cette dispersion d’organismes ne facilitant pas la tâche de l’État. Il serait sans doute judicieux de pousser à la fusion de ces nombreux organismes, permettant ainsi une meilleure gestion globale.

Selon le récent rapport Carlotti (hclpd.gouv.fr), l’État n’a aucune vue exacte sur la disponibilité des logements susceptibles d’être attribués, les logiciels SYPLO étant mal alimentés en données, avec pour conséquence une mobilisation du quota réservataire qui n’est dans les faits que partielle.

L’on peut se poser la question de ce que veut réellement l’État dans ce domaine du logement: vis à vis de l’opinion publique, il semble dire «faire ce qu’il est nécessaire de faire» mais en réalité il continue de privilégier une tendance libérale du logement par l’octroi de bénéfices fiscaux aux plus aisés via les diverses lois de défiscalisation en vigueur. L’effort direct de l’État pour le financement des logements sociaux a permis la construction de 131.000 logements en 2010, cela a été le point culminant car depuis, il est retombé aux environs de 110.000 par an, ce qui est insuffisant, loin des attentes des français et loin des promesses électorales.

L’État s’appuie sur les nombreuses associations chargées de gérer la misère issue de ce problème aigu du logement, associations qui ne peuvent que pallier les insuffisances publiques. Une énergie humaine considérable est dépensée par toutes ces associations et services sociaux des municipalités, tout cela avec peu de résultats concrets: des gens meurent encore dans la rue. Il est plus qu’urgent de revoir les procédures menant aux expulsions locatives car il est vain de laisser croire que l’État s’implique dans la résolution de ce problème, alors qu’il prête la main dans le même temps, à ceux chargés d’exécuter ces procédures. Il faut retrouver une véritable cohérence avec l’esprit qui a mené à l’élaboration de la loi Dalo il y a 10 ans déjà.

Il semble qu’aucune étude d’évaluation de la politique du logement, concernant l’impact des incitations et des avantages fiscaux octroyés en matière de construction de logements destinés à la location, n’ai été réalisé à ce jour: impact sur l’accroissement du patrimoine des plus favorisés ; impact de l’apport réel concernant les couches de populations défavorisées.

L’on peut également se poser la question du pourquoi l’on trouve, sur les anciennes emprises de l’État, des constructions qui sont réalisées dans un but d’investissement privé, avec proportionnellement peu de constructions destinées aux logements sociaux ?

Cela est particulièrement vrai dans les zones en tension d’Île-de-France et à Paris en particulier avec les anciens sites de casernement ou d’emprises SNCF. Pour éviter l’accroissement du prix du foncier, ne pourrait-on conclure un bail emphytéotique pour ces surfaces, plutôt qu’une vente qui laisse ouverte les possibilités spéculatives ?

L’on construit trop de ‘logements à profits’ qui sont inaccessibles à la majorité des faibles revenus, les loyers sont en hausse constante et les APL (aides personnalisées au logement) sont de plus en plus réduites, l’encadrement des loyers longtemps retardé n’a pas encore produit ses effets.

À supposer que miraculeusement un gouvernement décide de construire massivement des logements sociaux, un écueil de taille se profilerait, en l’occurrence la Commission Européenne et ses défenseurs du dogme de la ‘concurrence libre et non faussée’. Les Pays-Bas, champions du logement social avec 35% des logements de ce type se sont vus poursuivis devant la Cour de Justice Européenne pour cette atteinte à la concurrence qui empiète sur les profits possibles des investisseurs immobiliers privés.

L’Europe argumente que ce type de logements ne doit être accessibles qu’à un public limité de personnes défavorisées, alors que jusqu’il y a peu, les Pays-Bas admettaient tout type de demandeurs. Remarquons également au passage, que les Pays-Bas consacrent 3,20% du budget au logement, la France dans le même temps n’en consacrant que 1,80%.

Un autre avantage de la politique du logement menée aux Pays-Bas est une moindre ghettoïsation des quartiers grâce à un meilleur brassage social, chose difficilement observable en France où l’on rejette les populations défavorisées loin des grands centres: les utilisateurs de la ligne D du RER savent qu’il y a des villes sur cet axe qui comptent de 44 à 51% de logements sociaux où l’on concentre de trop nombreuses familles à problèmes, les émeutes de 2005 ne sont pas étrangères à cet état de chose.

La conclusion sera celle que tirait déjà le parlement européen en 1996 :

« Le phénomène des sans-abri est la conséquence la plus évidente de l’incapacité des politiques européennes du logement à s’adapter aux mutations économiques et sociales. La concentration croissante des ménages pauvres dans des quartiers déshérités, qu’il s’agisse du secteur des locations sociales ou privées, constitue un autre échec de nature à menacer à la fois la cohésion sociale et la compétitivité économique [….] »

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