CHINE – Sur les traces du taoïsme (3) : Clergé, rituels et pratiques, par DD &DH

Billet invité. Troisième d’une série de trois.

Pour ce troisième et (provisoirement) dernier volet de notre exploration du taoïsme, nous sommes bien conscients de n’entraîner plus derrière nous que ceux (et celles) qui ont mordu à l’hameçon des épisodes précédents. Autant dire des… adeptes ! Au menu de cette troisième étape, un peu rude (un équivalent des « secteurs pavés » du Paris-Roubaix !), quelques tentatives d’approche des caractéristiques du clergé taoïste et une évocation, qui par la force des choses restera sommaire, des rituels, cérémonies et offices que ce clergé prend en charge.

Les obédiences

Nous l’avons déjà dit, la notion de clergé taoïste émerge sous les Han postérieurs (25-220) grâce au soutien de cette dynastie, avec la divinisation de Laozi [Lao-Tseu, Lao-tse, etc.] et l’apparition d’un culte dit Huanglao, adressé en une même entité à l’Empereur Jaune (Huangdi) auquel le mythe attribue la fondation de la civilisation chinoise et à Laozi (peut-être tout aussi mythique) qui a postulé l’Un primordial et décrypté le code du Tao qui régit la propension du « qi » à faire advenir les « dix mille êtres« . Rappelons qu’en Chine on est toujours dans le temps long et que la divinisation de Laozi a pris un demi-millénaire ! La première « secte » taoïste constituée le fut en 142 par Zhang Daoling qui fonda la lignée héréditaire des « Maîtres Célestes » (voir « Sur les traces du taoïsme, 1 ») et elle prit par la suite le nom d’ « École du Zhengyi (l’Un authentique) ». D’autres « Écoles » sont apparues selon un processus toujours sensiblement identique : des révélations communiquées par des esprits qui sont consignées dans un écrit, lequel devient le texte de référence transmis de génération en génération par les Maîtres de la secte mais non divulgué aux profanes. Se dessinent ainsi au fil du temps jusqu’au Ve s. différentes traditions taoïstes que la compilation de Lu Xiujing (406-477) répertorie en deux groupes principaux : la tradition du Maoshan ou « Ecole Shangqing (Suprême Pureté) » qui privilégie la méditation solitaire et celle du « Lingbao (École du Joyau Sacré) » où, non sans quelques greffes de bouddhisme mahayana, s’instaure une pratique communautaire autour d’une liturgie. Lu Xiujing y adjoint toutefois un courant, plus vivace dans le Sud, celui dit du « San Huang (les Trois Augustes) » davantage porté à mettre en œuvre le large éventail des pratiques thaumaturgiques et divinatoires. Plus tard (XIIe s.) « l’Ecole Quangzhen (Perfection totale) » marque l’avènement d’un taoïsme exclusivement monastique : pratiqué sous la forme de petites communautés portées à l’ascétisme, ce courant est le plus spontanément enclin au syncrétisme des trois grandes Écoles de la pensée chinoise (taoïsme, bouddhisme, confucianisme). Enfin, une branche de la « Perfection totale » donne naissance à « L’École Longmen (la Porte du Dragon) », la plus répandue sous les Qing (1644-1911) et encore aujourd’hui : c’est de cette École que relève le Temple des Nuages blancs (Baiyunguan) de Pékin qui est le siège de la très officielle « Zhongguo daojiao xiehui » (Association taoïste de Chine) créée en 1957 (soulignons cette date qui marque que Mao a manifesté sa volonté de tolérer, reconnaître et … encadrer la religion taoïste). On l’aura compris, le taoïsme sous sa forme religieuse (daojiao) est multiforme, multi-obédiences et ce trait est d’autant plus marqué qu’une tendance forte l’amène, partout où il est représenté, à adopter et assimiler des cultes locaux plus anciens où survivent des formes de chamanisme archaïque et les cultes, très implantés partout, dédiés aux « dieux du Sol ». Spontanément englobant et œcuménique, le taoïsme a permis à ces sectes multiples et diverses de prospérer dans une cohabitation pacifique et généralement sereine. La guerre de religion n’est pas dans l’ADN de la Chine !

Le clergé.

Tout ce que nous venons de dire annonce clairement l’absence d’homogénéité que l’on va constater dans le clergé taoïste : il semble en effet qu’on ne puisse guère envisager de mettre sur le même plan celui qui a choisi le célibat de la vie monacale, le méditant solitaire dans sa grotte/ermitage, l’officiant des grandes liturgies, le medium qui s’adonne à la divination et l’alchimiste en quête d’immortalité. Tous sont pourtant « taoïstes » et participent d’une forme de « clergé ».

Notre propos devra se contenter de faire saillir les spécificités de ces différentes catégories de personnages sans pouvoir entrer dans le détail de leurs prérogatives.

Le clergé taoïste n’est pas exclusivement masculin : contrairement aux confucéens, les taoïstes, compte tenu du rôle éminent et premier attribué au « féminin » chez Laozi, pouvaient difficilement exclure les femmes de leurs pratiques cultuelles (toutefois elles ont rarement eu accès dans l’histoire au titre suprême de Maîtresse Céleste) et il existe toujours en Chine des monastères de nonnes taoïstes. Le clergé, qui reste donc essentiellement masculin, comprend des personnages de rang, de statut social et de fonctions différents : les daoshi qu’on reconnaît à leur connaissance approfondie du canon et à la possession d’un certificat d’ordination en bonne et due forme sont au sommet de la hiérarchie. Les Maîtres Célestes de l’École Zhengyi, héritiers en droite ligne de Zhang Daoling, sont les plus prestigieux d’entre eux. En dessous de ces sommités érudites, les fashi, qu’on peut traduire par « maîtres du rituel » sont beaucoup plus nombreux et dans pratiquement toutes les communautés villageoises on trouve un ou plusieurs fashi pouvant répondre à la demande de rituels courants de tout type de la part des habitants parmi lesquels ils vivent mariés, pères de famille et paysans/artisans comme tout un chacun. Comme c’est strictement le cas pour les daoshi, la possession du titre de fashi est généralement héréditaire (après la série d’épreuves d’un cérémonial d’initiation qui doit faire la preuve que la transmission est validée par les dieux). Ce type de filiation de père en fils s’explique par le fait que les « pouvoirs » du maître (daoshi ou fashi) se fondent sur le passage de main en main d’un écrit sacré unique où figurent la liste des esprits et puissances célestes qui, par une sorte de contrat, doivent impérativement répondre à leur appel. Cet écrit se présente généralement sous la forme d’une très longue bande de tissu de plusieurs mètres portant une foule d’inscriptions, de cartes du ciel et de diagrammes que son propriétaire garde enroulée si serrée qu’elle est à peine plus grosse qu’un pouce. Ce sont les investigations de Patrice Fava au Hunan qui nous permettent de connaître par le menu ces traditions toujours très vivaces à l’heure actuelle alors qu’on pouvait les croire éradiquées à jamais.

Nous devons en effet répondre maintenant à une question que le lecteur ne peut manquer de se poser : « Et qu’en est-il aujourd’hui en Chine de tout ce que vous nous racontez depuis le début ? ». La question est légitime et nous allons tenter d’y répondre au moins en partie. Tout ce que nous décrivons est extrêmement vivant et n’a rien perdu de ses caractéristiques à Taïwan (du reste beaucoup des témoignages que l’on peut consulter sur le sujet se fondent sur des choses vues à Taïwan). La situation en Chine continentale est plus complexe. On sait que le taoïsme au sens large se trouve si étroitement imbriqué dans le quotidien via la théorie des Cinq Agents (wuxing), le fengshui, la médecine, la géomancie, la peinture, la calligraphie, le taijiquan … qu’il imprègne en profondeur la culture chinoise dans laquelle il ne cesse jamais d’infuser. Mais il en va évidemment autrement sur le plan spécifiquement religieux et cultuel qui a fait l’objet d’un travail de sape assez puissant au XXe siècle. Contrairement à ce qu’on pourrait croire de prime abord, ce n’est pas la période maoïste qui a porté les coups les plus rudes au daojiao. La tentative d’éradication date du premier tiers du XXe siècle par la destruction massive de temples (Pékin comptait 1000 temples intra muros en 1900, elle va en perdre les 2/3) et la chasse aux pratiques superstitieuses. C’est l’influence occidentale et, en corollaire, le sentiment de honte des élites soucieuses de modernisation (qu’on voit s’exprimer dans le Mouvement du 4 mai 1919) qui feront le plus de mal aux daoshi et fashi. Mao, il est vrai, a poursuivi la lutte contre les « vieilleries superstitieuses », mais n’a pas attaqué le taoïsme en tant que tel, signant avec lui une sorte de pacte de non-agression implicite (cf. plus haut) pour mieux tirer à boulets rouges sur le confucianisme. Bien sûr la Révolution Culturelle, dans sa rage de destruction, a trouvé un aliment de choix dans les statues, objets de piété et talismans du daojiao, mais est restée dans l’ignorance de ce qu’elle saccageait et livrait aux flammes ! On pouvait croire la Chine, désormais apaisée, suffisamment « communiste » et modernisée pour que l’heure soit venue de retrouver toutes ces vieilles choses dans les musées d’art et traditions populaires ! Ce n’est pas le cas et Patrice Fava : après avoir vécu quelque temps à Taiwan et y avoir obtenu son ordination de daoshi, le subodorait. Les découvertes qu’il a faites au Hunan à partir de 1999 montrent que toutes les pratiques qui se sont mises en sommeil au moment de leur répression se sont conservées intactes et que les rituels à nouveau pratiqués au grand jour n’ont pas changé d’un iota. Statues, généalogies, objets cultuels et textes magiques sont souvent sortis indemnes des cachettes où ils avaient passé près d’un siècle de guerre et de révolution et tout a repris son cours ancien à la virgule près !

Les taoïstes rattachés à un temple portent une tenue simple : pantalon et veste nouée noirs ou bleu foncé, guêtres de bandes molletières blanches enroulées du genou à la cheville et sandales de tissu. Les cheveux longs relevés en chignon traversé d’une épingle constituent le principal signe distinctif de la « vocation » taoïste depuis près de 2000 ans. Une coiffe de satin noir autour du chignon complète la tenue ordinaire du clergé régulier, celui, qui, rattaché à un temple et à un Maître, a prononcé ses vœux. Le « fashi », 100% séculier, ne porte pas au quotidien de vêtement particulier. Pour accomplir les rituels, il endosse robe et manteau de simple coton qu’il garde dans la même malle que les objets sacrés et se couvre la tête d’un carré d’étoffe où domine le rouge et qui comporte un chignon postiche. L’habit de cérémonie qu’endossent les Maîtres daoshi lors des offices solennels est, lui, d’une grande somptuosité : vastes chasubles de soie entièrement couvertes de broderies symboliques qui marquent le rang élevé de l’officiant et doivent en imposer. La photo que nous joignons montre, à gauche, un jeune taoïste en tenue ordinaire et, à droite, un maître en chasuble de cérémonie en train de célébrer un office à la demande d’une famille réunie dans la salle, probablement pour un défunt (Temple Baiyunguan de Shanghai 2011).

 

Les prérogatives du clergé taoïste.

Le taoïsme, nous l’avons dit, a durablement imprégné la vie quotidienne dans tous ses aspects. Même si, en RPC, on s’en émancipe peu à peu, en tout cas en ville, le taoïsme est resté présent en filigrane dans les représentations théâtrales, qu’elles soient données par des poupées sur tiges ou par des acteurs en chair et en os. Encore aujourd’hui très ritualisé, l’opéra traditionnel garde la trace de sa fonction d’abord liturgique. Si les grandes villes ont maintenant des salles de spectacle à l’occidentale, les villages chinois ont leur scène en plein air pour accueillir, comme cela s’est toujours fait, les troupes ambulantes d’acteurs ou de montreurs de marionnettes. « Le rôle religieux du théâtre de marionnettes est encore plus marqué que celui du théâtre à acteurs humains. Il est rare qu’il ne soit fait appel aux montreurs que pour le spectacle : les marionnettes ont une puissance qui fait d’elles de précieux auxiliaires dans la lutte contre les mauvaises influences. C’est donc en premier lieu pour l’exorcisme qu’on invite la troupe en cas de sinistre (…) ou de purification. (…) Car les poupées ne représentent pas les dieux, elles SONT les dieux. » (Kristofer Schipper). A ces représentations de marionnettes, auxquelles il faut joindre celles du théâtre d’ombres, sont étroitement liés les rites funéraires (qu’elles accompagnaient autrefois). Les taoïstes y ont eu et ont encore un rôle de premier plan. En effet c’est à eux qu’on confie le soin de purifier la maison du mort et de mener le cortège de deuil le jour de l’enterrement : c’est au son de la musique taoïste que le défunt est mené à sa tombe sur laquelle seront consacrés et guidés, par des miroirs et des incantations, vers le séjour des morts tous les objets de papier à brûler que la parenté a prévus pour le confort du disparu dans son nouveau lieu de résidence. Il arrive que la famille décide de confier la suite des cérémonies de deuil aux bouddhistes, mais on est en Chine et il y a de la place pour tout le monde à son heure.

Une des fonctions les plus courantes des taoïstes consiste à délivrer des amulettes, des talismans et autres papiers-charmes ( les zhima : « papiers à cheval », appelés ainsi pour leur célérité à aller porter aux dieux les requêtes qui leur ont été confiées). Les talismans sont des fu : « caractères de forme bizarre que l’on appelle aussi écrits sigillaires ou caractères-nuages, ils représentent des noms, des souffles divins issus du corps du maître. Consacrés et purifiés par la fumée qui s’exhale du brûle-parfum » (John Lagerwey), ils sont censés empêcher toute offensive des mauvais souffles. Ces formules seront, selon les prescriptions de celui qui les a rédigées, collées dans la demeure, gardées sur soi ou brûlées pour en ingérer la cendre. On voit là clairement se dessiner, outre le rôle propitiatoire des interventions des taoïstes (les porte-bonheur ou les anti-poisse), leur rôle prophylactique : dans un contexte où les soins médicaux peuvent être trop loin, trop chers ou ressentis comme susceptibles de contrarier la nature des choses, le recours au daoshi ou au fashi en cas de maladie fait partie des conduites encore adoptées dans les campagnes. On attend de lui qu’il procède à une cérémonie à domicile au cours de laquelle on le verra en général se démener beaucoup, donner de grands coups de son épée cérémonielle et gronder férocement des formules de menaces, aux prises qu’il est avec des légions de démons qui ne sont autres que les microbes, virus et infections qu’il lui faut faire sortir de la pièce avec l’aide des troupes divines qu’il commande. Des scènes de ce genre sont fréquentes à Taiwan. Qu’en est-il en Chine continentale ? Difficile de mesurer l’impact actuel de ces pratiques : elles ont lieu à huis-clos et dans l’anonymat. Disons juste qu’il serait étonnant qu’elles aient complètement disparu. La présence de fashi dans les campagnes que P. Fava a mise en évidence implique l’existence de ce type de survivances. Y compris venant en plus et en complément de l’intervention d’un médecin ! Notre panorama (plus que sommaire) des fonctions et interventions du taoïsme serait incomplet si nous ne mentionnions pas, à ses marges, le recours aux phénomènes de transes lors desquelles des médiums (qui ne sont généralement pas des membres du clergé, mais souvent des femmes, et parmi les plus humbles) rendent des oracles et font des prédictions. Leur médiumnité se manifeste de plusieurs façons : soit le dieu parle par leur voix qu’on ne reconnaît plus alors comme étant la leur, soit il se manifeste par l’intermédiaire d’une petite chaise (ou table) « écrivante » qui, tenue par le/la médium trace des caractères sur la surface d’une vasque remplie de sable ou de riz. Ce genre de pratiques imprégnées de magie et héritières directes du chamanisme des origines a toujours eu beaucoup plus cours dans le sud de la Chine (dans la même aire géographique que Taiwan) que dans le nord. Sans doute la tradition n’en est-elle pas non plus éteinte …

Que beaucoup de choses nous échappent quant aux significations des activités qui relèvent du taoïsme est une évidence que nous ne saurions nier. Et ce n’est pas seulement parce que nous avons affaire à une religion, pour une grande part ésotérique, dont les textes sacrés ne sont pas divulgués au profane et qui repose sur une sorte de « catharisme » réservant le salut à des « bons hommes » initiés. Même ce que nous avons sous les yeux échappe bien souvent à notre compréhension et nous allons vous donner un exemple de nos limites très vite atteintes dans ce domaine. A l’été 2009, dans le grand temple taoïste qui se trouve au pied du Pic sacré du Sud (Nanyue au Hunan), nous avons croisé un « pèlerinage » (nous employons ce mot faute d’autre) de beaucoup d’hommes et de quelques femmes dont nous n’avons pu déterminer clairement les objectifs et la démarche. Une photo vous les montre : tous portent les mêmes vêtements noirs et ont la tête couverte d’une bande de tissu, noir lui aussi. L’élément le plus intéressant dans leur habillement est le tablier de soie rouge brodé qu’ils portent tous, hommes et femmes. Ce tablier pourrait nous évoquer des « décors » maçonniques : il ne serait en effet pas si aventureux d’imaginer que toutes ces personnes soient affiliées à une forme de « fraternité ». Mais, en Chine, ce tablier qui couvre le ventre est le vêtement d’été traditionnel des tout petits enfants et, à Taiwan, lors des processions, il est porté par les médiums. On sait que le but ultime de l’adepte du taoïsme est de « régresser » vers l’état d’enfançon qui est la porte de l’immortalité. Le port de ce tablier d’enfant marque-t-il une avancée vers ce but ? Quoi qu’il en soit, nous avançons sans preuves l’hypothèse qu’il s’agit là d’un groupe de médiums réunis (pour un symposium ? un séminaire ?). Tous portent en effet devant eux une espèce de petit meuble à quatre pieds qui pourrait bien être cette fameuse table/chaise « écrivante » dont nous venons de parler. Nous les avons vus exécuter ensemble sur le parvis du temple des séries de pas visant à composer comme une grande danse collective à plusieurs figures, mais, hélas, nous ne les avons pas vus « médiumniser » ! En fait, nous sommes réduits à des conjectures : les Chinois qui nous accompagnent ne semblent pas en mesure de nous fournir des explications. Ils ne savent visiblement pas mieux que nous la signification de ces vêtements, de cette table/chaise et de cette danse. Nous remarquons toutefois qu’aucun ne s’avise d’interroger ces gens pour en savoir plus. Ce n’est pas la première fois que nous ressentons chez des Chinois « modernes » une sorte de crainte superstitieuse en présence de « fangshi » (hommes à techniques magiques, donc à pouvoirs) taoïstes…

Il reste à évoquer les grandes cérémonies des Maîtres Célestes qui sont toujours pratiquées à Taiwan. Leur rituel est trop complexe et leur durée trop longue (elles peuvent s’étendre sur plusieurs jours) pour que nous entrions dans le détail. Nous nous bornons donc à évoquer leur plan d’ensemble : le premier acte de cet office qui se déroule souvent en plein air, par exemple dans une cour, consiste à délimiter une aire sacrée orientée et purifiée par les fumées d’encens au centre de laquelle se placera l’autel (une simple table devenant « table/grotte ») devant lequel le Maître va mener seul le long processus de l’appel aux divinités. Ensuite, entamant en lui-même un voyage intérieur peuplé de visualisations, il suivra à la lettre tout un canevas de pas, de déplacements dans l’espace sacré, de maniements d’objets rituels (écrits sur papier, tablette, épée …). Il n’a pas d’assistants visibles, mais il est censé en avoir des foules d’invisibles venus lui prêter main forte dans son combat contre les forces malignes qui se manifestent sous les formes d’épidémie, pluie de sauterelles ou autre désordre …

Toutes ces pratiques nous paraissent d’un autre âge ? Il est vrai qu’elles nous renvoient à ce que fut notre Moyen Âge et que le pauvre P. Henri Doré s’en arrachait les cheveux au début du XXe siècle désespérant pour de bon d’un peuple aussi irrémédiablement enfoncé dans la bêtise de pareilles absurdités !

Taiwan d’abord et désormais la Chine Populaire font tous les jours la preuve que ces croyances ne sont pas un frein à la plus avancée et féconde des modernités, à la maîtrise des technologies de pointe et à la recherche fondamentale dans les domaines les plus pointus. Ce « mystère chinois » sur lequel nous sommes, bon gré mal gré, appelés à compter dans l’espoir de ne pas devoir « éteindre définitivement la lumière » très vite, non seulement n’est pas un obstacle à une modernité raisonnée, mais pourrait peut-être même servir d’antidote à bien des poisons que nous distillent les options que nous avons choisies, nous, sur le chemin de ladite modernité.

Il nous reste à évoquer tout ce qui concerne la quête de l’immortalité et les recherches alchimiques qui se sont fixé ce but. C’est le cœur même du daojiao ! Raison pour laquelle il ne saurait être question d’aborder ce sujet, qui va nous mener vers des hauteurs mystico-métaphysiques, en fin de parcours, à la va-vite et avec des lecteurs (il nous en reste beaucoup à ce stade ?) complètement essorés ! Nous ne manquerons pas d’y revenir … à tête reposée.

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« Le continent des esprits / La Chine dans le miroir du taoïsme » John Lagerwey .- Éd. Maisonneuve & Larose 1993

« Aux portes du ciel » / La statuaire taoïste au Hunan » Patrice Fava, Éd. Les Belles Lettres EFEO 2014

« Le corps taoïste » Kristofer Schipper, Ed. Fayard 1982

Il nous est, évidemment, impossible ici de citer les très nombreux ouvrages sur le sujet. On y trouve un peu d’ivraie, celle qui prolifère en surfant sur la vague commerciale du new age, mais beaucoup de bon grain car nous avons en France d’excellents spécialistes de la question, pour n’en citer qu’une : Isabelle Robinet.

Par ailleurs, nous suggérons, pour un témoignage en images, un DVD exceptionnel que l’on peut commander au CNRS qui l’a édité : « La revanche de Han Xin : un mystère taoïste » de Patrice Fava, CNRS Images 2005

http://videotheque.cnrs.fr/index.php?urlaction=doc&id_doc=1217

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