LE TEMPS QU’IL FAIT LE 21 AVRIL 2017 – Retranscription

Retranscription de Le temps qu’il fait le 21 avril 2017. Merci à Pascale Duclaud !

Bonjour, nous sommes le 21 avril 2017. En France, après-demain dimanche : premier tour de l’élection présidentielle. Alors vous avez vu l’attitude que j’ai choisie d’avoir sur le blog, c’est-à-dire que je me suis adressé non seulement aux gens qui avaient déjà écrit des billets sur le blog en leur disant : « Voilà, proposez-moi des choses », mais vis-à-vis du public en général, je me suis adressé à la cantonade en disant : « Eh bien envoyez-moi des papiers ».

Et il se fait que les trois candidats pour lesquels des billets ont été proposés sont dans l’ordre d’importance numérique : je dirais M. Mélenchon, M. Hamon et M. Poutou. D’autres personnes se sont, comment dire, ont fait des réflexions un peu plus générales sur le cadre lui-même des élections ; ça a été mon cas.

Hier, deux billets allant un petit peu en sens inverse. L’un disant : « Mme Le Pen ne se retrouvera pas au second tour » et l’autre de nature un peu plus statistique, disant : « Oui, s’il y a une chose qui est certaine c’est que Mme Le Pen sera au second tour ». Donc vous voyez, voilà, des attitudes, des propositions, des réflexions d’ordres extrêmement divers. Alors, comme je l’ai signalé aussi, eh bien le journal l’Echo, autrefois l’Echo de la bourse, journal financier belge,m’a demandé de commenter, dimanche soir, les premiers résultats des élections et ma réflexion se trouvera dans le journal qui sera publié le lendemain matin. Donc on aura l’occasion d’en reparler. Bon, ce que j’en penserai, ce ne sera pas secret (rires) et on pourra, je pourrai aussi en parler sur le blog.

Aujourd’hui je voudrais parler de choses un peu plus générales, bien que cela ait un rapport avec l’élection : c’est l’attitude à avoir vis-à-vis de la zone euro. Alors ce qui est curieux, c’est que les candidats, leur position de droite, de gauche, du milieu, du centre, etc, ne permet pas de savoir ni s’ils sont favorables à « Berlin contre Moscou » ou « Moscou contre Berlin », ni non plus l’attitude qu’ils auront vis-à-vis de l’Europe. Alors, pour m’aider dans la réflexion, il y a un livre, un livre qui vient de paraître, c’est par Bruno Colmant : « L’Euro : une utopie trahie ? ». C’est un livre dont je rendrai compte dans ma prochaine chronique dans le magazine Trends tendances, un magazine là aussi financier en Belgique. Livre très complet de Colmant ; une réflexion… Voilà, il part du Moyen Age et ce qu’est l’argent pour nous jusqu’à ce qu’on ait notre monnaie commune, l’euro, et ce qui va en advenir. Sa position à lui est intéressante ; elle est un peu inattendue : il nous dit que si on garde la zone euro telle qu’elle est, ça va être difficile  – Ça, nous nous en doutons tous depuis un moment – « Mais surtout » dit-il, « nous allons aller vers une étatisation de plus en plus complète du système bancaire et de l’économie en général ». Et comme Colmant est –  malgré l’influence keynésienne qui découle un peu de la discussion que nous avons eue ensemble quand nous avons fait un volume sous la direction de Marc Lambrechts, qui s’appelait « Penser l’économie autrement », paru chez Fayard il y a quelques années – sa position est quand même une position libérale et il ne voit pas cette étatisation de la finance et de l’économie d’un bon œil. Je pourrais moi, avoir une attitude beaucoup plus, je dirais « sereine » vis-à-vis de la question, en se disant que finalement, non seulement Keynes, mais aussi Hayek, se réconcilient sur la chose suivante : c’est que finalement, eh bien que le socialisme, c’est quelque chose qui aura lieu de toute manière et que donc la question est de savoir simplement à quel rythme on va le faire et s’il faut le faire plus ou moins rapidement. Parce qu’on nous présente toujours l’opposition Keynes et Hayek comme étant une opposition radicale. Et effectivement, la mort prématurée de Keynes a été une bonne affaire pour les ultralibéraux (rires) parce qu’il n’y avait plus en face d’eux quelqu’un pour rétorquer chaque fois qu’ils disaient une ânerie. Mais, là c’est une chose sur laquelle, voilà, sur laquelle ils étaient d’accord : c’est le fait que, inéluctablement, on arrivera un jour ou l’autre au socialisme. Et bizarrement… bizarrement c’est peut-être Keynes, des deux, qui considérait que la chose était la plus difficile (rires). Pourquoi c’était lui qui trouvait la chose vraiment difficile ? C’est parce que lui réfléchissait pratiquement à comment il fallait le faire, ce qui n’est absolument pas le cas bien entendu de M. Hayek qui voyait là dedans une abomination.

Alors on pourrait suivre Colmant et dire : « Voilà, on garde l’euro tel qu’il est et ils vont bien être obligés, voilà, de glisser petit à petit au socialisme ». Mais ça risque de prendre quand même beaucoup de temps (rires) parce que parmi eux il y en a quand même beaucoup – parmi les gens qui dirigent l’Europe en ce moment – qui essaieront d’empêcher que ça se fasse ! Le plus longtemps possible ! Ils traîneront les pieds, c’est la moindre des choses (rires). Ils « freineront des quatre fers » comme on dit aussi ! Alors voilà !

Hmm… Qu’est-ce qu’il faut faire ? Qu’est-ce qu’il faut faire avec l’euro ? Colmant ne vient pas vraiment, je dirais, avec des propositions concrètes. Il déplore la situation dans laquelle on est, de même que M. Van Rompuy, vous avez vu ? M. Herman Van Rompuy, ancien premier ministre belge, mais aussi [président du Conseil Européen, le pouvoir exécutif de l’Union européenne]. Enfin voilà, il représentait l’Europe au niveau global. M. Van Rompuy, lui aussi qu’est-ce qu’il dit essentiellement ? : « l’Allemagne empêche qu’on avance. Elle empêche qu’on recule aussi, mais elle empêche qu’on avance ». Et ça c’est la position, enfin, de tout le monde ! Pour qu’une zone monétaire puisse fonctionner, il y a un certain nombre de conditions à remplir, qui sont remplies par exemple aux Etats Unis pour qu’on puisse le faire. L’état n’émet qu’une seule sorte d’obligations au niveau national, le système financier est intégré, le fisc c’est un seul système de règles pour l’ensemble. Quand on émet de la nouvelle dette, eh bien ça donne la nouvelle dette à l’échelle de la zone monétaire dans son ensemble. Et ainsi de suite. On sait ce qu’il faut faire ! Et en particulier, il y a un système en arrière-plan qui s’appelle Target 2, qui est une espèce de caricature de ce qu’on fait aux Etats Unis avec le dollar, sauf qu’on ne fait pas ce qu’on devrait faire pour que le système soit véritablement intégré. A une époque, j’ai proposé qu’on travaille essentiellement sur ce système Target 2 avec lequel on pourrait  un peu en douce unifier la zone euro par derrière. Ce n’était pas une mauvaise idée mais euh… il y a des moyens plus directs.

Alors qu’est-ce qu’il faut faire au niveau de l’Europe ? Alors moi, vous connaissez ma position, c’est que – et ça c’est une position que je n’aurais sans doute pas si je n’avais pas été banquier pendant dix huit ans – mais ayant été banquier pendant dix huit ans, je dis d’un point de vue purement de technicien : il ne faut pas essayer d’en sortir, ce serait pire que d’y rester et essayer d’en sortir tous en même temps, ça pourrait conduire à une crise financière encore plus grave, encore plus grave que celle de 2008 et on n’avait déjà pas les sous vraiment pour le faire en 2008 alors… ! Et maintenant : non, non, non ! N’en parlons pas, donc… Il ne faut même pas essayer ça. Il ne faut même pas essayer ça….

Alors qu’est-ce qu’il faut faire ! Hmm… Je crois que la seule chose qu’il nous reste, c’est une idée qui circule depuis un certain temps, mais je crois que c’est la bonne. On la trouve souvent dans les éditoriaux du Financial Times, ce qui ne veut pas dire a priori que ce soit une mauvaise idée.  Il faut dire à l’Allemagne : « Maintenant on termine cette affaire et on en fait quelque chose qui marche bien… Ou bien, chers amis… c’est vous l’obstacle, il faut que vous en sortiez et nous on continuera sans vous parce que voilà, ça sera beaucoup plus simple, ce sera beaucoup plus simple pour vous de votre côté pour reconstituer le deutschemark ». Ce sera beaucoup plus simple de continuer avec ceux qui restent – voilà – parce qu’il n’y a pas le choix. Alors comment on fait ça ?

Comment on fait ça : on peut menacer comme fait M. Mélenchon : « Ouais, ouais ! On peut en sortir ! », etc. Ou on peut dire simplement comme Mme Le Pen : « Bah il faut sortir de toute manière donc il n’y a pas de problème » et ainsi de suite. « En sortir », j’ai dit ce que j’en pense : ça ne va pas…! On ne peut pas le faire… Bon, on ne peut pas le faire ; ça nous rendrait tellement pauvres tous qu’il ne faut même pas essayer ! Vous savez que bon, que moi je ne suis pas en faveur du système financier tel qu’il est. Il est biaisé en faveur de ceux qui ont déjà du fric et ça tout le monde le sait. Il autorise, il permet la spéculation et quand on dit aux gens, même à vous qui me regardez, qu’il faudrait interdire la spéculation, tout le monde résiste à ça. Pourquoi ? En réalité je n’en sais pas grand-chose ! Parce que c’est la première chose à faire pour remettre beaucoup d’argent dans l’économie telle quelle est. Dans l’économie réelle, c’est une chose qu’il faudra absolument faire. Les gens qui vous disent « On ne sait pas distinguer la spéculation du reste », bon, ça ce sont des propagandistes du système tel qu’il est. Ce sont des propagandistes de la science « économique » entre guillemets, de l’ultralibéralisme, etc. Ne les écoutez pas : la spéculation était interdite en France jusqu’en 1885, 1867 en Belgique, 1860 en Suisse. On l’interdisait. Le système pouvait marcher, il marchait, il marchait beaucoup mieux. Bon c’était un système qui était un petit peu exsangue en permanence : il n’y avait pas assez d’argent dans le système au début du 19e siècle mais ça c’est une autre affaire et qu’on pourrait régler autrement. Alors qu’est-ce qu’il faut faire ? Eh bien, dans l’article que j’ai écrit l’autre jour et qui va paraître dans Trends – Tendances la semaine prochaine, je dis :  il faut que les dix-huit autres que l’Allemagne, mettent sur pied (j’appelle ça une ambassade mais enfin bon, on peut appeler ça comme on veut) une équipe et mettre les Allemands en demeure. Aller à Berlin s’il le faut et les mettre en demeure de choisir : ou bien on répare la zone euro – et alors là, eux devront faire un certain nombre de choses – ou bien on ne la répare pas, et on leur demande à eux de sortir.

On leur demande à eux de sortir pour que les autres puissent réparer le système et aller de l’avant parce que finalement ce n’était pas une mauvaise idée au départ, de le faire, si on n’avait pas simplement voulu continuer l’idée d’un marché commun, c’est-à-dire de se préoccuper uniquement que les marchands soient contents à l’intérieur de la zone euro, et se foutre… Excusez-moi… Se ficher de tous les autres parce que ce n’est pas intéressant, et que finalement il n’y a que les marchands qui comptent. Et voilà, ça c’est ce qu’on nous a dit et puis tout le reste suivra, et puis de toute façon comme le travail disparaît, eh bien les salariés gueuleront de moins en moins, donc les problèmes s’arrangeront de cette manière-là. Alors ce n’est pas ça qu’il faut faire.

Donc il faut se mettre tous ensemble sauf l’Allemagne, aller chez eux et leur dire… (et s’il y en a qui ne veulent pas y aller ? alors on verra très clairement ceux qui sont dans le camp de l’Allemagne, mais je ne veux pas prononcer de noms a priori en disant « Oui peut-être que le pays Machin, etc. peut-être qu’il se mettrait avec l’Allemagne… On verrait bien !). On verrait bien mais en tous cas, à ceux qui seraient contre terminer à mettre en place les conditions d’un système monétaire qui marche, on leur dirait : « Eh bien, chers amis, retirez-vous s’il vous plaît pour que nous on puisse continuer à travailler correctement et qu’on puisse continuer à aller de l’avant parce que, eh bien une zone euro sans l’Allemagne, ce serait quelque chose qu’on pourrait s’arranger pour faire marcher ensemble. Ce serait plus facile : on n’aurait pas en face de nous quelqu’un de satisfait de lui-même, disant : « Je suis un exportateur net inégalable et faites tous pareil ! ». Alors que, évidemment ce n’est pas possible : tout le monde ne peut pas exporter plus qu’il n’importe ! Il faut bien à ce moment-là qu’il y en ait qui importent davantage que les autres et donc il ne faut pas gueuler sur eux ! Et on pourrait à mon avis, entre nous, tous les autres, on pourrait se mettre d’accord sur la manière de faire avancer le schmilblick. Et vous connaissez sans doute déjà mon idée : c’est qu’à terme, il faudrait prendre, utiliser cette zone euro telle qu’elle existe maintenant pour en faire le point de départ, le tremplin, pour un système monétaire mondial, parce qu’il en faut un. Il en faut absolument un, unifié, pacifié. Pacifié… justement comme l’avait proposé M. Keynes en 1944 à Bretton Woods, c’est-à-dire où on ferait taire les exportateurs nets en leur disant : «  Mettez de l’équilibre dans votre système, comme tout le monde. Tous les ans, on viendra voir si votre système est équilibré ».

Alors, libre à l’intérieur de ça, pour des [sous-]zones de se dire « Eh bien, on va faire ça tous ensemble ». Imaginons que le Benelux se dise : « On fait une zone économique plus viable que la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg séparément. Eh bien, faisons-le ! Regroupons-nous à l’intérieur si on veut, pour avoir quelque chose qui tienne ». Mais qu’à l’intérieur de ces systèmes, on ait quelque chose d’équilibré et qu’on équilibre les rapports de la zone euro elle-même avec l’extérieur du monde.

De toute façon, vouloir être une monnaie de réserve, ça n’apporte que des problèmes. Ça n’apporte que des problèmes parce que justement comme on l’a vu, c’est le dilemme de Triffin, le fameux dilemme de Triffin pour les Etats Unis : Si vous voulez avoir une monnaie qui est à la fois domestique dans une zone économique comme le dollar l’est aux Etats Unis, et en même temps être une monnaie d’échange à l’intérieur de tout le système économique, vous devez remplir deux conditions qui ne sont pas conciliables : c’est que la masse monétaire doit représenter ce qui circule à l’intérieur de votre zone, et doit représenter aussi tout ce qui circule en billets de votre dénomination en dehors. Ce qui n’est pas possible parce que ce sont deux chiffres bien différents. C’est le problème des Etats Unis mais ça n’a jamais été leur problème en réalité parce qu’ils l’ont exporté. Ils nous ont chargés, nous, de régler ce problème-là en étant, eux, des importateurs nets de manière absolument massive et en donnant de l’argent à l’extérieur pour alimenter le système des eurodollars, voilà… ! «  Vous voulez des dollars pour les amasser, pour les échanger entre vous ? Eh bien voilà : on va vous acheter plein de trucs et on va imprimer des dollars pour vous les acheter ! ». C’est un facteur de déséquilibre.

Il faut revenir à un vrai système monétaire international, c’est-à-dire à un système équilibré et pacifié, apaisé comme le dit M. Keynes. Un euro reconstitué, avec ou sans l’Allemagne, pourrait être véritablement le point de départ pour ça. Réfléchissons-y ! Voyons comment il faut faire ! Bruno Colmant sait que c’est une proposition que j’ai là depuis un moment ; on en a déjà discuté. Voyons comment pratiquement le faire. Mais, comment dire… euh…froncer les sourcils, euh… rouler des mécaniques, euh… dire : « Retenez-moi ! », etc. ça, ça ne marchera pas. Il faut aller parler sérieusement à l’Allemagne. Et si on est là, on est là dix huit contre un, eh bien, il y a quand même, je dirais, une masse suffisante pour avoir une discussion franche sur ce qu’il faudrait faire maintenant et qu’on dise à l’Allemagne : « Ou bien vous nous aidez à réparer le système, ou bien vous en sortez et ça nous facilitera les choses. Voilà ! »

Allez, à bientôt !

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