Place aux jeunes, par Panagiotis Grigoriou

Billet invité. Également sur son blog www.greekcrisis.fr

Pluies et orages. L’air athénien sent déjà le bois brûlé à la tombée de la nuit. Nous implorons… le général Hiver : clémence et indulgence. Cela dit, cette situation crisique grecque est vieille de huit ans. “Une génération en termes de temps”, comme me le dit l’ami Dimitri. Donc temps d’hiver : “Les plus jeunes, ils n’auront pas connu autre chose, et d’ailleurs, c’est la précarisation ou rien, strictement rien, ils le savent”.

C’est autant par cette réadaptation forcée de la société, rien que par la saignée, que le discours politique devient caduque, voire ridicule. Le quotidien… et son esprit de suite.

Le quotidien athénien. Années dites de “crise”

Devant notre immeuble, sans chauffage central depuis 2012, c’est entre voisins que nous extrapolons au sujet de la météo, mais en réalité, en matière de pratiques de chauffage alternatif obligatoire. Nos mentalités évoluent, et notre état de santé avec ou plutôt le contraire. Cet hiver, nous ne ferons pas fonctionner les deux chauffages à bouteille de gaz, ils seront remplacés par de l’électrique, cela nous épargnera, espérons-le, certaines visites chez le pneumologue.

Nos choix sont restreints, comme pour le reste, puis les factures d’électricité après relevé, elles arriveront comme on sait après l’hiver. “Nous aviserons”, tel est le slogan révolutionnaire d’après la dernière mode dans notre immeuble, comme partout ailleurs au château branlant de l’édifice grec.

L’autre soir, nous avons enfin pu pratiquer cette taverne des quartiers populaires dans l’ouest d’Athènes, entre amis. Projet… géopolitique sans cesse reporté depuis plusieurs semaines. Petit vin, petits plats, petite facture (8€/personne) et cependant, grand moment dans la lutte… finale, contre la désertification de notre sociabilité. Et ce n’est pas rien. Après tant de luttes politiques perdues et trahies, finalement sur un terrain, lequel nous avait été de toute évidence dérobé, nous voilà désormais défendre l’essentiel, avant même toute autre forme de résistance.

Nous évoquons vaguement notre passé, et encore moins les affaires politiques courantes. En réalité, il s’agit des ‘fake news’, nouvelles alors autorisées, présentées comme étant des événements importants. Tels, les primaires au nouveau parti, dit de centre-gauche, un conglomérat d’anciens Pasokiens (PS) et de réformistes berlinochromes et bruxellotrophes. Et nous évoquerons donc pêle-mêle, le sort réservé à certains sarcophages romains, entassés tout simplement dans un quartier pourtant aisé de l’agglomération d’Athènes, comme nous évoquerons les paradoxismes des chats adespotes ou hébergés, finalement bien moins radicaux que les nôtres.

Notre univers. Athènes, novembre 2017

 

Sarcophage entreposé. Au nord d’Athènes, novembre 2017

 

Hermès, aussi chat de ‘Greek Crisis’. Athènes, novembre 2017

Notre ami M. remarque encore, que d’une certaine manière, les embouteillages font leur retour en ce moment dans le quotidien de la ville d’Athènes. “Les gens, ceux ayant encore certains revenus, si possible fixes, les fonctionnaires par exemple, réadaptent leurs manières en la matière. Ils économiseront ailleurs et en réalité, ils se priveront, pour pouvoir éviter les rames bondées du métro et de Proastiakós (RER monoligne de la Région Attique). Ils veulent surtout éviter le contact, avec d’abord toute cette énergie négative des autres, puis, les agressions, les mendiants, les drogués, les vols, voire le bruit. Et aussi les grèves.”

“Puis, ils se rendent compte que même en voiture, leurs périples deviennent de plus en plus tendus, comme jadis du temps où nos circulions en moto. Toujours en état d’alerte. Les gens conduisent comme si tous les autres n’existaient absolument pas. La société n’est plus, et elle devient de part ce fait de moins en moins fréquentable, sauf pour nos choix orientés, que j’appellerai ‘de niche’. Depuis plus d’un an, je rencontre ceux qui visitent les Monastères, puis les moines, leur spiritualité. J’y retrouve le calme, une posture sincère, une sorte même de catharsis psychique. Je peux mieux tenir le coup, mieux comprendre peut-être les autres, et… autant je dirais moi-même. Et ce n’est pas qu’une affaire de croyance.”

“Dans mon service, comme partout ailleurs dans la fonction publique depuis la crise, les gens sont devenus mesquins, rancuniers, rapporteurs, jaloux, filous et surtout mouchards. Tous nos salaires ont été diminués, sauf qu’ils ne sont pas identiques pour chaque cas, alors, le grand jeu consiste à contester (symboliquement et parfois même par la voie officielle) les petits plus, ou avantages de tel ou tel collègue. Ils n’ont pas autre chose à faire, ils disposent du temps libre, et surtout pour certains d’entre eux, le fait d’avoir intégré la fonction publique, est lié aux clientélismes des partis politiques. Ces gens ne savent pas faire autre chose… ainsi, ils chipotent autour d’eux, pour mieux accroître leur propre espace, telle est leur conviction la plus profonde. ‘Ma survie, c’est la mort des autres’, sauf que nous n’irons guère très loin de la sorte.”

Athènes en 1917. Revues d’antan

 

Notre univers. Athènes, novembre 2017

 

La fin de la saison touristique. Hydra, novembre 2017

Pour P., l’épouse de M., tout est autrement plus simple. Elle travaille dans le privé à temps plein et alors miracle, son salaire est versé, “c’est alors un authentique privilège” comme elle dit, à ses yeux. “Je touche 650€ en net par mois, et pour une fois, nos rapports et interactions au travail ne versent pas forcement dans le négatif. Mon problème c’est qu’après le 20 de chaque mois, il ne reste plus rien de mon salaire, nous avons avec M., deux enfants, un foyer… une petite vie.”

Ce n’est pas de la complainte augmentée… devant la réalité sans doute, c’est plutôt que notre univers immédiat a pris ces rides, auxquelles très précisément nous n’avions pas pensé durant les premières années de la dite “crise”. Univers lequel n’est pas que de dimension politique, nous le savons aussi.

Notre ami D., insiste sur la décomposition alors totale du monde du travail. Et autant sur sa recomposition inédite, où plus rien n’est comme avant. Salaires, conditions, enjeux, comme autant s’agissant de l’ambiance. Il a rigolé comme nous et comme les autres Grecs, des 720 millions d’euros que le pantin Tsipras se dit prêt à “distribuer aux plus nécessiteux, au bénéfice d’à peu près 3,4 millions de citoyens sous forme d’aide exceptionnelle”, d’après son annonce “solennellisée” au soir du 13 novembre (medias grecs du 13 et 14 novembre) . Cela fait en moyenne 211€ par personne concernée. Dimitri donc en rigole. En plus, cette aide est conditionnée suivant ce que les intéressés peuvent posséder en biens, notamment immobiliers. Ce qui peut ainsi en exclure pas mal de Grecs en réalité.

Présentation et signatures d’un livre, pièce de théâtre. Athènes, novembre 2017

Dimitri, petit entrepreneur laisse plus de 65 % de son chiffre d’affaires en taxes, cotisations et impôts. Il en rigole donc de tout cela.

J’évoque le cas de mon ami Th., journaliste au chômage, licencié en décembre 2010. Depuis, il a travaillé en tout huit mois, pour gagner en moyenne 600€ par mois. Son salaire avant les rides non prévues de nos réalités, s’élevait à 2600€ par mois. Il a touché 20.000€ d’indemnités et 450€ d’allocation chômage durant sa première année sans travail. Nous nous sommes donc amusés à calculer. En ces 84 mois, il aurait gagné grâce à son travail 218.000 euros en net, plus les cotisations bien entendu. En déduisant les indemnités ainsi que les… microsalaires dont il avait été l’heureux bénéficiaire (218.000-20.000-450X12-600X8=187.800€) mon ami a ainsi perdu 187.800€ en net (et presque le double en brut).

“Couleur locale”, Athènes, novembre 2017

 

“Cobayes”, Athènes, novembre 2017

 

“Conférence de Psychologie ésotérique”, Athènes, novembre 2017

Forcé à vendre l’appartement hérité de son père (le fruit de 50 ans de travail) pour 45.000€, et cependant d’une valeur de 145.000€ avant la dite “crise”, il a alors perdu 100.000€ supplémentaires. Mon ami Th. a de ce fait perdu 287.000€ durant cette nouvelle période, son travail, son espoir de retrouver un emploi, sa Sécurité Sociale, sa santé. Les revenus de son épouse (médecin en libéral) ont baissé de 80 % tandis que les impôts, taxes et cotisations ont plus que triplé.

Le couple pense à terme vendre l’appartement qu’il habite, c’est l’héritage venu de la mère de mon ami, 50 m2… 50 ans de travail également. Subsistera alors leur dernier bien, l’appartement de l’épouse, hérité de la génération de ses parents. Le couple, paupérisé n’a jamais eu de dettes envers les banques sauf que les cotisations, les taxes, ainsi que le quotidien (se nourrir, se chauffer, si possible se déplacer, acheter ses médicaments) sont alors implacables. Mon ami voit même la mort surgir, “je n’ai pas peur”, me dit-il, et c’est un exemple de la paupérisation de la classe moyenne et autant des générations qui n’ont plus l’âge pour quitter le pays. Ainsi mon ami Th. a perdu 287.000€ (et en réalité davantage). Et il toucherait disons 211€ d’aide exceptionnelle, et encore ce n’est pas certain, car aux yeux de la sensibilité Syriziste, ces gens sont encore suffisamment et terriblement… possédants (deux appartements).

“C’est un plan, il émane de ce fameux 1 %, celui qui possède alors plus du 85 % des richesses du monde. Que les autres ne possèdent plus rien. Qu’ils soient réduits à recevoir des aides de survie, si possible sous forme d’agent virtuel, surtout virtuel, c’est ainsi que l’on fabrique du bétail contrôlable. C’est aussi de cette manière que le 1 % est en train de spolier tous les biens de la classe moyenne existante. La Grèce est un cobaye aux spécificités bien propres, hélas, les autres pays suivent et ils suivront, dans la mesure aussi, où nos métiers disparaissent sans forcément être remplacés. Sauf que peut-être tout explosera..”, dit-il notre ami D. en guise de commentaire.

Enfin, nous aurons évoqué la situation des jeunes. La presse grecque en ce moment l’évoque très largement, à l’occasion d’un récent reportage du “Der Spiegel”, consacré aux travailleurs pauvres que sont devenus les Grecs, et d’abord les jeunes, dans leur ensemble . Témoignages :

Le reportage de ‘Der Spiegel’. Novembre 2017

 

Jeune, travailleuse et pauvre. Grèce, 2017

“Je suis diplômé de la Faculté des sports, mais je n’ai pas trouvé de travail en tant qu’entraîneur, ou d’enseignant dans ma branche. Les conditions de travail dans la restauration rapide où je travaille sont misérables. La moitié de mes collègues sont obligés de travailler sans Sécurité Sociale (pas de cotisations). Il y a un moment, deux frères jumeaux y travaillaient et le patron, il avait seulement déclaré l’un des deux. Je travaille 40 heures par semaine et je gagne 490 euros par mois. Je ne suis jamais payé des heures supplémentaires, et encore je ne reçois rien non plus lorsque je travaille le jour de Noël ou durant d’autres jours fériés. L’exploitation des travailleurs est encore plus féroce dans les petites entreprises. Ils nous observent constamment avec des caméras. Je vis toujours avec ma mère, car louer un appartement avec mon salaire c’est impossible. Ma mère et moi alors ensemble, nous parvenons tout juste à payer les traites de l’emprunt immobilier et cela, très difficilement. L’argent gagné n’est le plus souvent suffisant que pour seulement les deux premières semaines de chaque mois.” Témoignage de Márkos Karidis, 30 ans .

Márkos Karidis, 2017

“Je travaille en tant qu’enseignant au sein d’un établissement privé, 25 heures par semaine, sauf que mon employeur déclare qu’il me rémunère pour seulement 15 heures par semaine, ceci, pour économiser sur mes cotisations de Sécurité Sociale et pour ne pas être obligé de me traiter comme un travailleur à temps plein. Mon salaire est de 500 euros par mois, mais seulement pour 9 mois  sur les 12 mois de l’année. Donc, je reçois en réalité 375 euros par mois. Je me sens… alors triplement perdant : mon assurance sociale assurance n’est pas de plein droit, je ne suis jamais payé pour les heures supplémentaires, ni durant les jours de fête, et enfin, les prestations chômage que je toucherais en cas de perte de mon emploi seront sensiblement réduites.”

“Je vis avec ma sœur, elle est enseignante dans une école publique. Nous n’avons souvent pas l’argent pour nous en sortir durant la totalité du mois, mais la situation pourrait même être pire. Parmi mes amis de l’université, seulement trois sur dix ont pu trouver un emploi fixe en tant qu’enseignants. Trois autres ont quitté la Grèce, et les autres, eh bien, ils ont du mal à joindre les deux bouts en plein univers des mini jobs sans rapport avec leurs études.” Témoignage de Giórgos Georgiádis, 27 ans .

Giórgos Georgiádis, 2017

 

’Chevaliers et banquiers’. “Quotidien des Rédacteurs”, novembre 2017

Je remarque que ces jeunes rencontrés par les reporteurs allemands ont, comme tant d’autres jeunes et moins jeunes ici, le regard mélancolique. Ainsi aussi dans un sens, une soirée entre amis. “Couleur locale”, “Cobayes” et… “Conférences de Psychologie ésotérique”. Sauf que nous avion bien pu rire, de même que lors d’une présentation et signatures d’un livre de pièce de théâtre cette semaine. Pluie sur Athènes, puis notre humour, même mouillé. Coûte que coûte. “Les jeunes – disent mes amis – ne connaissent pas d’autre situation, ils n’en auront pas connu d’ailleurs. Nos souvenirs de la vie et des salaires de l’avant crise, relèvent carrément de la mémoire pour historiens, et encore…” disent mes amis. Silence, on tourne… et place aux jeunes !

La taverne était pour tout dire quasiment vide. Il y avait notre table seulement, puis une tablée d’Albanais, une famille visiblement très Smartphone. Patrons et employés suivaient d’ailleurs un match de football à la télévision.

La vieille Grèce. Sur certaines surfaces, novembre 2017

 

Très vieille Grèce. Ancien cimetière d’Athènes, novembre 2017

 

Nouvelle… Grèce. Athènes, novembre 2017

Pluies et orages. L’air athénien sent déjà chaque soir le bois brûlé. Cette situation crisique grecque est alors vieille de huit ans. La vielle Grèce, la nouvelle Grèce, leur match, entre stéréotypes et affairisme immoral pour certains.

Irini, vétérinaire de quartier en est pareillement outrée. “Les humains dans ce pays deviennent de plus en plus barbares. Sur facebook, ils repèrent ceux qui aiment les animaux, qui se montrent vulnérables, et qui ont tout de même encore certains moyens. Ensuite, ils diffusent des images d’animaux qu’ils ont prétendument adopté, au besoin, ils les blessent pour que la douleur des animaux puisse être visible à l’écran et ils montent tout un scenario de chantage, psychologique d’abord, chantage tout court ensuite sur leurs victimes. En diffusant ces photos, de plus en plus atroces des animaux, ils sollicitent leurs victimes humaines pour leur verser de l’argent, sinon, ils tueraient ces animaux eux-mêmes, ou dans une version parallèle, ils les feraient euthanasier. Je ne sais plus que dire des humains… atroce”.

De nuit sous l’Acropole, de bien étranges machines à musique inventées sont ainsi exhibées par leurs créateurs, sollicitant l’obole des passants et des touristes. Aux dires des ministres, la saison touristique a été bonne, la Grèce sortira du mémorandum, et SYRIZA… est alors de gauche.

Étranges machines sous l’Acropole. Athènes, novembre 2017

 

Orages sur Athènes. Presse grecque du 14 novembre 2017

Le quotidien… et son esprit de suite. Sous le regard de Mimi, aussi chat de ‘Greek Crisis’ !

Mimi, chat de ‘Greek Crisis’. Athènes, novembre 2017

 

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* Photo de couverture: Le quotidien athénien. Années dites de “crise”

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