Au-delà de la théorie néoclassique, l’économie de pouvoirs, par Sebastien Groyer

Billet invité.

L’économie de marché séparée du capitalisme implique une critique de la théorie néoclassique et l’intégration du pouvoir comme constituant incontournable alors qu’il était jusque-là laissé de côté. Le premier à avoir établi les bases de l’économie néoclassique est Léon Walras[1] en 1874, en créant un équilibre général théorique sous condition de concurrence parfaite. Cette théorie néoclassique sera largement critiquée pendant le XXème siècle par l’incapacité à faire survenir l’équilibre général ainsi que par l’irréalisme des conditions de départ.

Le terme de « défaillance du marché » en est venu à résumer toutes les imperfections du marché (externalités, biens publics, asymétrie d’informations, irrationalité, etc.) qui structurent la réalité et l’empêchent de s’approcher du marché parfait. Ce terme décrit les situations où le marché ne permet pas d’atteindre les prix optimaux qui permettent l’allocation optimale des ressources. L’efficacité théorique néoclassique est contrecarrée par ces échecs du marché.

Encore plus, les entreprises n’ont aucun désir pour la concurrence et essaient au contraire de se constituer une situation de monopole ou d’oligopole, source de profit élevé. Il est en effet tout à fait rationnel pour les producteurs de ne pas tendre vers un système où le profit est très fortement diminué. La théorie néoclassique est en ce sens anti-capitaliste puisque les profits y diminuent largement sous l’effet de la concurrence, phénomène opposé à l’objectif capitaliste de maximisation des profits. Les entreprises capitalistes développent donc des stratagèmes de contournement de la concurrence des stratégies anticoncurrentielles telles que l’érection de barrières à l’entrée, les acquisitions de concurrents, la différenciation de produits par le marketing et le design, etc.

Le pouvoir est le concept qui brille par son absence dans la théorie néoclassique, à un point tel qu’elle semble avoir été conçue délibérément sans pouvoir, dans le but de s’en passer. Il est cependant évidemment demeuré bien présent dans la réalité et le capitalisme s’en est emparé. La théorie néoclassique utilise donc l’idée de concurrence pour faire disparaître le pouvoir, pouvoir abandonné à des acteurs qui s’opposent à la concurrence. Elle n’est pas cohérente : les deux mécanismes de l’économie réelle, capitalisme et économie de marché, ont des objectifs et fonctionnements opposés : le capitalisme cherche à augmenter son pouvoir pour générer toujours plus de profit et l’économie de marché (dans sa vision néoclassique) cherche à le faire disparaître.

Une analogie imagée serait celle d’un bateau qui voudrait aller vers le nord mais où les plus puissants rameurs rameraient tous vers le sud. Il est toujours possible de penser qu’une force supérieure, systémique comme le vent (ou une main invisible) peut les manipuler et diriger le bateau vers le nord sans qu’ils le veuillent, mais la réalité est que le bateau va vers le sud, car la voile est baissée et le mât saboté. L’économie réelle se dirige vers la concentration du pouvoir et non sa disparition. Ce bateau est notre économie, clamant se diriger vers le nord mais se dirigeant vers le sud en réalité.

Une théorie contredite par la réalité, incohérente entre les comportements des plus puissants acteurs et son objectif est une théorie prête à être remplacée. L’accumulation de critiques des dernières décennies le prouve. Une nouvelle théorie économique alignant les comportements des acteurs avec l’objectif du système entier transformerait l’économie de marché et guérirait dans le même temps du capitalisme. Evidemment, la réintroduction théorique du pouvoir en constitue un pilier indispensable. Une économie de pouvoirs surgit, une économie à équilibrer pour préserver la liberté, une équinomie.

(Le livre Destins du Capitalisme dont est issu ce texte est en crowdfunding ici).

[1] Walras, Léon, Éléments d’économie politique pure ou théorie de la richesse sociale, Paris, Guillaumin, 1874.

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