Relier les pointillés, le 18 février 2019 – Retranscription

Retranscription de Relier les pointillés, le 18 février 2019

Bonjour, nous sommes le lundi 18 février 2019 et ma vidéo s’appellera aujourd’hui « Relier les pointillés ».

Ce n’est pas la première fois que je vous fais un parallèle entre l’enquête que j’avais menée et qui m’avait conduit à prévoir une crise financière majeure qui serait causée par les subprimes et l’enquête que je fais en ce moment autour du Président Donald Trump.

Le parallèle à mes yeux est évident et relier les pointillés, c’est l’élément commun. Cela ne vous paraît pas évident. Vous me faites souvent des remarques en me disant que je parle de choses sans intérêt, pas importantes, aussi que je mets en relation des choses qui n’ont aucun rapport entre elles et c’est ça, précisément, bien sûr, je dirais, la valeur ajoutée, comme dans le cas de mon enquête sur les subprimes, c’est que je relie effectivement des choses qui, apparemment, ont l’air de n’avoir aucun rapport.

Et bien entendu, dans le cas des subprimes, et comme les quelques personnes qui ont pu prévoir ce qui allait se passer, ce sont des personnes qui, comme moi, ont ignoré les cadres préétablis, la logique en silo à l’intérieur de la science économique, le mur qui sépare en principe la science de la finance de celle de l’économie, tous ces éléments-là et puis les différents domaines particuliers : les sous-disciplines de l’économie.

Il fallait ignorer tout cela. Il fallait même aller ailleurs. Il fallait regarder qui étaient les emprunteurs subprimes. Il fallait faire de la sociologie, de la science politique, etc. Quiconque a un respect qui lui a été inscrit par les longues années passées sur les bancs d’école pour les noms des disciplines, des choses qui seraient en principe autonomes, qui fonctionneraient dans une logique qui leur serait propre, sans se relier à quoi que ce soit d’autre. Ces gens-là ne verront jamais grand-chose. Tout ça, ce sont des conventions de dire que ceci est de la science politique et ceci de l’économie. L’anthropologue ne voit aucune distinction, d’ailleurs comme la plupart des sociétés traditionnelles qu’il a observées, dans lesquelles il/elle a vécu et dans lesquelles il n’y a pas de distinction particulière entre l’économie, la politique, la religion. Tout cela va ensemble. Ce sont des distinctions qui ont été établies ensuite, par le souci des distinctions, ou alors dans le cadre de la « science » économique, par un souci dicté par les financiers de voir l’économie comme quelque chose d’autonome et, en particulier, qui n’a aucun rapport avec le fait qu’il existe des classes sociales à l’intérieur des sociétés, dont les rapports sont gérés par un rapport de force, qu’il y aurait des choses qui seraient de la propriété privée et qui ne relèveraient pas, comme le prétend la « science » économique, d’une sorte de science naturelle dans laquelle il y a la propriété privée chez nous, comme le fait que les abeilles font du miel. Non, les choses sont reliées et, souvent, l’explication consiste simplement à relier les pointillés.

C’est pour cela que je vais revenir brièvement sur cette histoire de M. Trump et de sa déclaration de l’état d’urgence pour justifier la muraille qu’il essaye de construire entre les États-Unis et le Mexique. Pour commencer, je vais rappeler que ce n’est pas une idée entièrement nouvelle. En 2006, sous le Président Bush, il y a effectivement une loi qui a été passée et une partie de ce mur a effectivement été bâtie. Le problème qui se pose aujourd’hui, c’est qu’il semble fort que cette promesse de bâtir un mur par M. Trump n’a pas grand-chose à voir avec l’actualité. On pouvait considérer qu’il y avait une situation à chaud à l’époque où Bush avait passé sa loi. Le problème de l’immigration illégale est de l’ordre de 10 % de ce qu’il était à l’époque de Bush, donc il n’y a pas d’urgence. Et, en fait, Trump s’est laissé prendre l’autre jour, quand un reporter que, d’ailleurs, ses collègues ont félicité pour le bon coup qu’il avait réalisé, lui a posé la question de l’urgence au nom de ce qu’il a fait. Quand il a dit assez stupidement : « Non, en fait, c’était simplement une façon d’aller plus vite ». On ne dit pas à propos d’un état d’urgence tel qu’il est défini par la loi, que c’est quelque chose que l’on aurait pu faire plus tard. Et en particulier quand ACLU (American Civil Liberties Union), dont je répète souvent que c’est ce qui ressemble le plus à un parti d’extrême-gauche en Amérique, en citant cette phrase de Trump, l’avocat principal de cette association lui a dit : « Continuez de causer Monsieur le Président, cela nous arrange bien » parce qu’il coupait la branche sur laquelle il était assis.

M. Trump est quelqu’un qui veut satisfaire sa base. Il le fait d’une manière qui peut être convaincante ou qui ne l’est pas. Quand Mme Ann Coulter, l’éditorialiste d’extrême-droite, dit qu’il n’y a qu’un seul état d’urgence en ce moment aux États-Unis, c’est le fait que le président est un imbécile – « an idiot » en anglais – elle attire l’attention sur le fait que M. Trump essaye simplement de satisfaire sa base en prétendant qu’il va construire le mur mais en le faisant d’une manière qui ne produira jamais l’effet escompté. Il essaye de rouler sa base et c’est ça que dit cette Mme Ann Coulter, qui était partisane, elle, du fait qu’il refuse une fois de plus d’accorder le budget nécessaire au fonctionnement de l’administration, du gouvernement. Elle aurait préféré qu’une nouvelle crise éclate plutôt que M. Trump signe l’accord qui permet qu’il y ait à nouveau un budget pour l’administration en prétendant qu’il va construire ce mur et en faisant une procédure qui ne tient absolument pas debout. Non seulement, il scie la branche où il est assis en disant qu’il n’y a aucune urgence mais, par ailleurs, une multitude d’acteurs peuvent déposer plainte quant à la manière dont il l’a fait. D’abord, il enfreint la constitution parce que M. Madison, un ancien président, un président du tout début, et un des founding fathers, un des pères fondateurs de la république américaine, avait souligné le fait que le président dirige l’exécutif mais que le législatif tient les cordons de la bourse, que c’est lui qui peut décider si oui ou non, un projet trouvera le budget qui lui est nécessaire. En essayant de contourner les choses, en invoquant une urgence nationale, ce qui lui permet de prendre de l’argent à l’intérieur du budget du Pentagone, c’est-à-dire du ministère de la Défense, il contourne l’esprit de la constitution mais Mme Coulter, un de ses soutiens importants à l’extrême-droite, souligne qu’il n’y arrivera jamais, que c’est une supercherie, que c’est une imposture parce qu’il sait que la multitude des procès qui lui seront faits sur cette question-là, sur la légitimité de déclarer un état d’urgence sur quelque chose qui n’est pas urgent, comme un moyen flagrant d’essayer d’obtenir un financement, que cela ne passera pas.

Pourquoi ? Parce que qui peut déposer des plaintes ? On peut déposer des plaintes pour des raisons environnementales, que ce mur empêcherait certains animaux de passer d’un côté à l’autre. Là, les commentateurs soulignent que, devant quelque chose qui est invoqué comme étant une urgence nationale, les lois environnementales aux États-Unis n’ont jamais fait le poids.

Il y a possibilité pour les propriétaires des terrains qui devraient nécessairement être confisqués pour pouvoir construire le mur, là aussi, les commentateurs soulignent le fait que, bien que, dans le cadre de la loi de M. Bush en 2006, un nombre considérable de propriétaires aient déposé plainte, cela a simplement retardé le processus parce qu’aucun n’a pu l’emporter contre ce qui semblait une manière légitime de confisquer les terrains nécessaires. « Exproprier », c’est le terme que j’aurai dû utiliser.

Il y a possibilité pour d’autres de déposer la plainte. Par exemple, les États dans un système où il y a un équilibre qui existe entre le pouvoir dont disposent les États et le pouvoir fédéral, parce qu’il s’agit d’une confédération. Il y a aussi la possibilité pour l’un ou l’autre d’invoquer telle ou telle chose, en particulier pour les 5 tribus amérindiennes dont le territoire est traversé par la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Ceux-ci ont pris l’habitude de déposer plainte devant les Nations-Unies mais vu la manière dont M. Trump traite les Nations-Unies, c’est-à-dire à suggérer qu’il ne fallait même pas tenir compte de ce qui pourrait être décidé par un tribunal éventuel attaché aux Nations-Unies, cela ne fait pas énormément de poids non plus.

La seule chose est que l’accumulation de ces plaintes déposées par les uns et par les autres fait que le processus sera retardé de manière considérable. Quand Mme Ann Coulter s’indigne en disant : « M. Trump, vous êtes un idiot ! », ce qu’elle veut dire simplement c’est, qu’avant que la décision puisse être véritablement prise de construire ce mur, il y aura longtemps que M. Trump ne sera plus président, même s’il repassait par un hasard extraordinaire qui relèverait du miracle pour un second mandat. C’est ça qu’elle dit. Ce mur ne sera jamais construit : « Vous pouvez dire, vous pouvez rouler des mécaniques, vous pouvez vous adresser à votre base en disant ‘Je tiens mes promesses !’, mais le mur ne sera pas bâti ! », ce qui est sa préoccupation à elle.

Quant à la logique de M. Trump lui-même, elle pourrait être d’un ordre tout à fait différent et ça, je le souligne depuis le tout début du processus, et en particulier quand il y avait eu cette manifestation suprématiste à Charlottesville qui avait conduit à la mort, en particulier, de Heather Heyer, une contre-manifestante. Je vous avais fait une longue réflexion sur M. Trump comme le dernier des généraux sudistes. Là, il y a une certaine logique chez Trump : il ne s’est jamais placé dès le départ dans une logique de vainqueur, il s’est placé dans une logique de vainqueur provisoire, tout à fait provisoire, comme un général sudiste, comme M. [Robert E.] Lee quand il gagne un certain nombre de batailles dans la Guerre de sécession. Il se situe comme quelqu’un qui finira par perdre mais quelqu’un qui apparaîtra comme admirable aux yeux d’une petite partie de la population et ça, je dirais, c’est tout à fait dans la logique qui est celle de sa famille dès le départ : une famille d’immigrants pauvres au départ qui réussissent, comme son grand-père, en tenant des bordels, comme son père en étant marchand de sommeil et comme lui a fait ses affaires par des combines d’ordres divers, dont l’argent sale venant d’ici et là constitue une manière de financement au cours de l’ensemble de ses affaires et qui lui évitait en particulier la faillite.

Je rappelais l’autre jour les 3 millions de dollars avec lesquels son père l’a sauvé d’une déroute absolue dans un de ses casinos à Atlantic City dans le New Jersey. Qu’est-ce que son père est venu faire ? Il a acheté des jetons dans son casino pour 3 millions de dollars pour dépanner son fils ! C’est sympathique, c’est l’esprit de famille, mais c’est comme ça que Trump a réussi jusqu’ici.

Et finalement, voilà la trajectoire sur laquelle Trump est engagé : il veut être admiré, il veut être adulé par un certain nombre de personnes. Le nombre de ces personnes n’a aucune importance pour lui. Il veut être adulé par certains. Ce nombre va baisser, il va diminuer.

Mme Coulter a une influence sur l’extrême-droite américaine. Si elle dit qu’il est un imbécile, il y aura un certain nombre de gens qui la suivront, à considérer que le président est un imbécile. Si elle dit « is a wimp », on n’a jamais vu un tel wimp… Un wimp, c’est comment dire… C’est « une lavette », comme on le dit en belge. Je ne sais pas comment on le dit en français… Ah oui, on peut dire c’est ‘une couille molle ». Ça, ça va lui retirer un certain nombre de partisans mais il lui restera ceux qui diront : « Il a voulu son mur. Il a fait tout ce qu’il a pu pour son mur. C’est simplement le système, c’est le deep state, c’est la manière dont le système est truqué contre des gens comme lui, d’honnêtes démagogues – pardon, d’honnêtes « démocrates » – qui veulent, au service du peuple, que les choses s’arrangent ! ».

Il y a des gens qui se mettent au service du peuple et il y en a d’autres qui se mettent ailleurs en prétendant être au service du peuple pour leur gloriole personnelle. M. Trump fait partie de ces derniers. Il ne fait pas partie des gens qui se sont véritablement sacrifiés d’une manière ou d’une autre pour leur peuple.

Les Américains ont une chance. Ils ont eu Abraham Lincoln et ils ont eu Franklin Delano Roosevelt. Quand on parle de Franklin Delano Roosevelt, il ne faut jamais oublier sa femme [Eleanor] qui était là dans les coulisses et qui a rédigé au moins la moitié de ses discours.

Il y a eu des gens admirables dans l’histoire des États-Unis. Quand on fait l’histoire des présidents, il y a des gens qui ne sont pas présentables. Il y en a qui sont à moitié présentables mais il y a, comme partout, des gens qui sont absolument admirables. M. Trump est tout à l’opposé. Ce qu’il lui faut, c’est quelque chose qui satisfasse son narcissisme et, pour satisfaire son narcissisme, finalement, s’il n’y avait que 2 ou 3 personnes qui diraient : « C’est mon héros. Je n’ai jamais rien vu de plus beau ! », cela le satisferait entièrement. C’est sur cette voie-là qu’il est maintenant engagé. Par ailleurs, il n’ignore pas que l’histoire va se terminer. Il n’ignore pas que la nasse se resserre.

Elle se resserre très lentement autour de lui mais on parle de Roger Stone, on parle de Manafort, etc., et chaque fois qu’il est question d’eux, il y a un élément de plus au dossier… Je vous l’ai dit dès le départ à propos de M. Mueller. Ce M. Mueller est une sorte de génie. C’est une sorte de parangon d’intégrité. Il avance un pion à la fois. Il veut que, au moment où M. Trump sera démis, sera forcé à la démission, où il choisira de se retirer par une autre manière, par sa propre démission ou par le suicide, il faut qu’à ce moment-là, une majorité de la population soit convaincue que l’on se débarrasse d’un personnage dont il fallait se débarrasser et ça, on n’en est toujours pas là. On en est toujours à 40 % de la population qui se reconnaît en lui, qui trouve qu’il est un bon président. M. Mueller a compris qu’il fallait que ce chiffre baisse davantage et il continue, pour cela, à avancer ses pions un à un en essayant de convaincre M. Trump que, bientôt, seront inculpés un de ses fils, sa fille, des gens qui lui sont à ce point proches qu’il préfèrera se retirer de la course. Il n’en est pas là parce que c’est quelqu’un… « He doesn’t take no for an answer », il ne prend pas non pour une réponse. Il continue imperturbablement et il utilise d’une manière extraordinaire, comme on n’a jamais vu avant lui, les prérogatives qui sont celles d’un président, au point que la crainte principale qui est exprimée par les juristes aujourd’hui, à propos de son état d’urgence, est que, par la suite, quand il aura disparu du paysage, on restreigne à ce point les pouvoirs du président que le régime américain aura changé de nature parce que le pouvoir du Congrès et le pouvoir du Sénat, parce que le pouvoir du législatif aura été haussé à un tel niveau que celui de l’exécutif aura été restreint de manière exagérée.

Voilà où nous en sommes. Un petit point sur quelque chose que j’évoquais hier dans une vidéo mais qui méritait davantage.

À bientôt.

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