Que sont les risques existentiels ? par Vincent Burnand-Galpin

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L’astronome royal britannique, Lord Martin Rees, affirme dans un livre de 2003 que notre civilisation a 50% de chance de survivre au XXIe siècle, un chiffre partagé avec quelques réserves par plusieurs biologistes, géophysiciens et écologues. Selon Phil Torres, dans Morality, Foresight and Human Flourishing – An Introduction to Existential Risks (2017), utiliser cette estimation signifie qu’un individu moyen a presque 4.000 fois plus de chance de mourir d’un effondrement civilisationnel que d’un accident d’avion. À l’échelle globale, 99,9% de toutes les espèces qui ont existé à la surface de la Terre se sont éteintes et une espèce moyenne de mammifère survit 2,5 million d’années. Selon la formule de l’astronome américain Carl Sagan (1934-1996), « l’extinction est la norme. La survie est l’exception ».

La notion de risque existentiel a été développée pour la première fois par le philosophe de l’université d’Oxford Nick Bostrom dans un article de 2002, « Existential Risks : Analyzing Human Extinction Scenarios and Related Hazards » publié dans la revue Journal of Evolution and Technology : « Un risque existentiel est un risque qui menace d’extinction prématurée une vie intelligente d’origine terrestre ou qui remet en cause de manière permanente son potentiel d’évolution en tant que civilisation. » C’est un risque mettant en péril l’intégralité de l’espèce humaine, son existence y est remise en cause à titre définitif.

Ce sont des événements dont, s’ils se produisent, l’humanité ne se remettra pas. Ce sont donc des événements uniques et très particuliers, qui ne peuvent arriver qu’une seule fois dans la vie d’une espèce. Et cela remet en cause le paradigme du risque dans lequel nous vivions jusqu’à présent. Nos stratégies pour les éviter peuvent s’appuyer donc uniquement sur l’anticipation plus que sur l’habituelle méthode essai-et-erreur. Si l’on a divisé par dix les morts par an sur la route en France depuis les années 1970, c’est en observant les accidents qui ont déjà eu lieu et en tirant les bonnes conclusions de sécurité. Les risques existentiels ne nous laissent qu’une seule chance et il faut savoir les prévenir sans aucune observation préalable.

Comme le note Phil Torres, « ces observations suggèrent qu’il est peu probable que les individus et le gouvernement fassent de la réduction des risques existentiels une priorité absolue. Étant donné qu’un programme efficace d’atténuation des risques se traduirait par l’absence plutôt que par la présence d’un événement observable, ce qui, en l’absence de bilan tangible, peut amener les gens à se demander si l’argent est bien dépensé. » (Morality, Foresight and Human Flourishing – An Introduction to Existential Risks, 2017 : 30)

Ainsi, selon Nick Bostrom, la réduction des risques existentiels est un bien public, au sens de non-rival (sa consommation ne nuit pas à celle d’autrui) et non-exclusif (il n’est pas possible d’empêcher sa consommation, même à ceux ne participant pas au coût de production) :

« En fait, la situation est pire que dans le cas de nombreux autres biens publics mondiaux en ce sens que la réduction des risques existentiels est un bien public… fortement transgénérationnel : même un État mondial peut ne saisir qu’une petite fraction des avantages – ceux qui reviennent aux personnes existantes. Les quadrillons de personnes heureuses qui pourraient voir le jour à l’avenir si nous évitons une catastrophe existentielle seraient prêtes à payer des sommes astronomiques à la génération actuelle en échange d’une légère augmentation de nos efforts pour préserver l’avenir de l’humanité, mais le commerce mutuellement bénéfique est malheureusement empêché par les difficultés évidentes des transactions » (Nick Bostrom, 2012, « Existential Risk Prevention as Global Priority », Global Policy).

Tirons-en, au passage, les conséquences : les générations futures préfèrent que nous leur laissions des dettes publiques (même phénoménales !) issues d’investissements massifs pour la transition écologique et un environnement sain qu’une dette publique saine et un environnement considérablement détérioré et inhabitable. Thomas Piketty dans le Capital au XXIe siècle le montre très clairement : dans l’histoire, les sociétés ont toujours trouvé des solutions aux problèmes des dettes financières. Mais il n’est pas certain que des négociations autour d’une table permettent de résoudre un jour le problème des dettes écologiques.

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8 réponses à “Que sont les risques existentiels ? par Vincent Burnand-Galpin”

  1. Avatar de MOYON Christian
    MOYON Christian

    « les générations futures préfèrent que nous leur laissions des dettes publiques (même phénoménales !) issues d’investissements massifs pour la transition écologique et un environnement sain qu’une dette publique saine et un environnement considérablement détérioré et inhabitable »
    Surtout qu’ils n’auront ni l’un ni l’autre.

    1. Avatar de timiota
      timiota

      Churchill, sort de ce corps ! (le déshonneur et la guerre, 1938 : « Vous avez eu à choisir entre la guerre et le déshonneur ; vous avez choisi le déshonneur, vous aurez la guerre. »)

      1. Avatar de Decoret Lucas
        Decoret Lucas

        Qu’est ce que je l’aime lui !

        Il y a des phrases comme celle là qui résume cruellement le tragique de l’histoire. Et qu’on ne peut contourner. Sauf à être un lâche.

  2. Avatar de Jacques Seignan
    Jacques Seignan

    La réflexion de Phil Torres « Étant donné qu’un programme efficace d’atténuation des risques se traduirait par l’ABSENCE plutôt que par la présence d’un événement observable, ce qui, en l’absence de bilan tangible, peut amener les gens à se demander si l’argent est bien dépensé » me fait penser à ce qui s’est passé pour le bug de l’an 2000. Il ne passa rien le 01.01.2000, effectivement, mais des crétins patentés en avaient conclu qu’il avait été inutile de s’en inquiéter autant ! Eh oui !
    Un des penseurs qui fut le premier à dire les choses clairement fut Paul Jorion : « Se débarrasser du capitalisme est une question de survie ». Désormais cette idée semble de plus en plus évidente pour ceux qui prennent la peine de s’arrêter de courir, d’avoir le nez dans le guidon et réfléchissent une minute.

    Au R.U. les 6 personnes les plus riches ont autant d’argent que les 13 millions les plus pauvres :
    https://www.huffingtonpost.fr/entry/au-royaume-uni-les-6-plus-riches-ont-autant-dargent-que-les-13-millions-les-plus-pauvres_fr_5de6fd70e4b0913e6f873da4

    En France 500 familles possèdent l’équivalent 30 % du PIB.
    https://www.lerevenu.com/placements/economie/france-les-plus-riches-detiennent-lequivalent-de-30-du-pib

    Ces gens-là sont devenus fous et ils sont enfermés dans leur cupidité psychopathique. Ils ne lâcheront rien et certains d’entre eux iront jusqu’au bout avec la menace d’extermination des pauvres ─ ce dont malheureusement le XXe siècle a montré la possibilité.
    Il est donc clair qu’il y a un risque existentiel mais votre approche, Vincent, est complètement à côté de la plaque. Il n’est plus question de « négocier autour d’une table » et ça restera toujours impossible avec les Maîtres animés par leur Religion Féroce, mais il est urgent de lutter en premier contre le capitalisme et ces zombies cupides qui en sont les acteurs.
    Aujourd’hui, ce 5 décembre 2019, peut-être que l’Histoire est enfin En Marche et ce grâce à l’auteur d’un livre intitulé « Révolution » !

    Pour tout dire, selon moi, lutter pour la fin de mois (et toutes les atteintes subies par 80 % de la population) est le seul affect qui permettra la mobilisation pour lutter contre la fin du monde. Il n’y a bien sûr aucune contradiction, simplement une recherche d’efficacité immédiate et puissante.

  3. Avatar de Arnaud Castex
    Arnaud Castex

    L’évocation d’un rapport monétaire et de la dette financière érigé ici en motif principal de l’action en faveur de la sauvegarde de l’humanité me semble errone, peu marquante et inopérante. Quel besoin d’en passer par la médiation de l’argent et la notion théorique de bien public ? La représentation des multitudes de générations futures menacées est elle aussi bien lourde la où la simple décence de l’amour de son prochain, de sa descendance directe devrait alerter, précipiter chacun dans l’alarme et l’action. Car tout est déjà là où dans un horizon de plus en plus court qui concerne nous, et nos enfants. C’est l’amour ou l’affect et le courages qui pourraient etre les declencheurs du sursaut.

  4. Avatar de chabian
    chabian

    Nous sommes / Vous êtes sur le Titanic. Mais, peut-être, avec un cout humain important, le navire pourrait rejoindre la rive. où s’échouer et sauver certains d’entre nous. Êtes-vous volontaire pour boucher la brèche avec votre corps, parmi d’autres ? ou volontaire pour danser sur la piste avec l’orchestre qui joue jusqu’à la noyade ? Ou volontaire pour vous ruer sur les barquettes de sauvetage, en écrasant femmes et enfants, malgré l’espoir nul de s’en sortir?
    La première attitude sert le bien commun à faire face au risque existentiel, elle ne nuit à personne et n’exclut pas les autres attitudes.
    Voilà où nous en sommes.

    1. Avatar de Decoret Lucas
      Decoret Lucas

      Dire bonjour aux invités monter sur la scène demander aux musiciens d’arrêter de jouer, et de donner des instructions pour sauver les meubles.

      1. Avatar de Decoret Lucas
        Decoret Lucas

        ( Dès que ce que je ne serai plus le tétraplégique Certains musiciens risque de m’en vouloir 😀 )

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